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28 mai 2023

Un pont entre deux rives

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                           Ma chère Val La jument verte de Val a eu l'idée d'explorer un peu les prix Nobel de littérature. Comme elle a bien fait. Nous nous sommes décidés sur le cru 1961, Ivo Andric. Nous avons opté pour son roman le plus connu Le pont sur la Drina. J'ai été enthousiasmé à la lecture de ce bouquin choral (terme qu'on n'employait pas à l'époque) dont le personnage essentiel est justement ce pont. Peu de choses sont aussi compliquées que les Balkans. Elles le furent de tout temps. Encore maintenant l'ex-république de Bosnie-Herzégovine, jadis yougoslave, est divisée en fédération de Bosnie-Herzégovine et République serbe de Bosnie. Comprenne qui pourra. Mais le roman débute bien avant, à la fin du Moyen Age. C'est une chronique de quatre siècles qui court du XVIe siécle à 1914, date où cette région entra définitivement dans l'histoire, en sa capitale, Sarajevo. 

                          Visegrad, sur la Drina, une ville où cohabitent, pas si mal, chrétiens, juifs, musulmans de Turquie. Un pont vient d'être bâti, un pont destiné à durer, reliant les deux rives, Bosnie, Serbie, Orient, Occident. Plus qu'un symbole, une date. Le pont sur la Drina sera notre personnage principal, le héros de notre histoire. Sur lui, et en dessous, de part et d'autre, s'agiteront pendant 400 ans une foule d'hommes et de femmes, dignitaires, petits fonctionnaires, paysans, commerçants, militaires. Du tout venant, la vie dans une de ces bourgades, un endroit que de nos jours on peine encore à identifier précisément.

                         Le pont sur la Drina est à mon sens un livre majeur, pas toujours très simple vu la multitude de personnages au long de ces quatre siècles. Mais on a l'impression que le pont grouille de vie, de rencontres, de rendez-vous, de querelles. Les différentes confessions se titillent bien un peu mais dans l'ensemble les hommes et les femmes s'activent à y rendre l'existence somme toute acceptable. Et l'on finit par s'attacher à tous, les confondant parfois mais tout cela convient bien à ce melting pot bosno-serbo-croate, où pope, rabbin et hodja ne dédaignent pas de converser, souvent sur ce pont ou aux abords. A ce propos un petit lexique aurait été bienvenu.

                        Evidemment tant d'années en communauté ne vont pas sans frottements et les hommes ne progressent pas toujours, bien au contraire. Et c'est ainsi qu'après ce voyage dans le temps, en ces Balkans si méconnus, où l'on a vu vivre toute une humanité du mendiant au potentat local, du petit commerçant au modeste éventaire au gros propriétaire, de la toute jeune servante à sa patronne omnipotente, on en arrive au XXe siècle, un aboutissement, un tournant, une fin de quelque chose.  

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                 Ivo Andric a publié ce livre en 1945. On a cru après-guerre que la Yougoslavie naissante apaiserait la poudrière balkanique. On sait ce qu'il en est advenu. Dans ce Sud-est  européen si mal défini, si susceptible (Macédoine du Nord, Kosovo, etc.), ce roman fondateur nous aide à nous y retrouver. La complexité balkanique reste cependant rétive à nos réflexes occidentaux. Je suis bien sérieux là mais surtout Le pont sur la Drina est une formidable chronique d'un pays multiple, tragique et cocasse, parfois presque burlesque et parfois cruelle. A (re)découvrir, on quitte à regret le pont Mehmed Pacha Sokolovic, ce fabuleux ouvrage d'art achevé en 1577 et inscrit à l'UNESCO depuis 2007. Andric, bosniaque de naissance, croate par son origine et serbe par ses engagements, en est une parfaite synthèse. 

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19 mai 2023

Les lendemains du Sud

Des-hommes-en-devenir

                   Voilà un formidable recueil de nouvelles. Bruce Machart (Le sillage de l'oubli) est texan. Oui, je sais, pour les Texans. Mais les dix nouvelles de Des hommes en devenir sont parmi les plus fortes que j'aie parcourues depuis assez longtemps. Ce bouquin fait la part belle aux hommes. Enfin je veux dire par là que ce sont des hommes que l'on y rencontre, des hommes ordinaires qui conduisent leur pick-up ou transportent des grumes dans une Amérique laborieuse pas toujours très amène. 

                   Des hommes que le lecteur cueille au moment où leur existence, déjà un peu rude, un peu, disons moyenne, traverse une zone de turbulence, souvent liée à un drame. Les titres de ces nouvelles sont à ce sujet très évocateurs de passages, comme des épreuves, des tests pour ces hommes à la quarantaine peu sûre pour la plupart. Quelques-uns de ces titres: C'est là que vous commencez ou Parce qu'il ne peut pas ne pas se souvenir ou La seule chose agréable que j'ai entendue. Des expressions qui surprennent, donnant bien l'interrogation de ces hommes face au drame qui bouleverse leur vie. Et c'est diablement humain de partager ces doutes et ces affres avec des personnages bien plus éloignés des archétypes qu'on ne le pense en général. A croire qu'un Texan serait un être humain.

                Une séparation, la mort d'une épouse, un dramatique accident du travail dans une scierie et une vie bascule. L'homme est-il capable de rebondir, de cette fameuse résilience si en cour dans notre vocabulaire choisi? Cette dizaine d'hommes en perdition, mais malgré tout en devenir (Men in the making), ce sont aussi des hommes en construction, il n'y a pas d'âge pour grandir. Un chien écrasé, un chauffeur de taxi amené à transporter le corps d'un nouveau-né, un homme mûr qui prend conscience de son père âgé, les coups durs , les blessures de l'existence, les familles brisées. C'est magnifique de pudeur et d'humanité. 

                 Un théâtre lyonnais a adapté ces nouvelles il y a quelques années. Je crois que c'était une bonne idée. Le Sud est décidément pourvoyeur de talents, fussent-ils texans. J'ai un peu songé aussi à Russell Banks, voir au Steinbeck de Des souris et des hommes, mais cela n'est qu'un sentiment peut-être.  Les femmes ne sont pas des comparses dans Des hommes en devenir, il me faut le préciser., c'est l'époque qui veut ça.

                Un homme peut savoir quelque chose de bien des façons - il peut le savoir d'expérience, dans ses tripes, d'après le bruit du vent, d'après l'odeur des pins et de la voix qu'il entend parfois dans sa tête quand il prie - et de toutes ces différentes façons, je savais que le Rouquin se trompait, qu'il faudrait bien plus qu'une nuit de travail dehors, dans le froid, pour qu'il connaisse un peu d'apaisement. Et pourtant, je voulais y croire. Je voulais que cela  fût vrai, pour que tout fût terminé. Pour nous deux (extrait de Le dernier à être resté en Arkansas).

 

27 avril 2023

Cavalier qui surgit hors de la nuit

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                       Belle réédition du premier roman de Robert Penn Warren. Bien oublié aujurd'hui, le seul écrivain Prix Pulitzer à la fois roman et poésie a publié Le cavalier de la nuit en 1939. Je m'attendais à un livre fascinant mais je suis en partie déçu. Tout début du siècle dernier, les planteurs de tabac du sud des Etats-Unis, Kentucky principalement, doivent survivre face à la puissance des grandes compagnies. L'agriculture a de tout temps et en tout lieu connu des problèmes de cet ordre. En fait, avec ce premier livre, Penn Warren, l'un des grands du Sud (Faulkner, Caldwell, Ernest Gaines, mais aussi Flannery O'Connor, Margaret Mitchell, Carson McCullers), entame sa longue exploration d'une société américaine qui n'est plus celle de la conquête, mais celle des affaires.

                    Mr. Munn, Penn Warren l'appellera toujours Mr. Munn, sauf lors des dialogues, est un jeune avocat plutôt idéaliste, mais on sait le danger que représentent parfois les idéalistes. Ce sera d'ailleurs le thème du roman le plus connu de l'auteur, All the king's men, Les fous du roi ou Tous les hommes du roi, selon l'édition. Dans le but d'améliorer la condition des petits producteurs il participe à une organisation secrète  qui commence à détruire des entrepôts et des champs. Ayant choisi le camp des Cavaliers de la Nuit, Percy Munn en deviendra l'un des meneurs. Et les exactions des Cavaliers n'auront rien à envier au Klan, auquel on pense forcément en voyant la couverture de l'édition 10-18. Les scènes d'action et de représailles sont d'ailleurs fort bien rendues. 

                    Le cavalier de la nuit conte la sinistre progression du mal à partir d'une idée généreuse. Un grand classique du dérapage, universel. Plusieurs personnages s'embarquent dans cette histoire risquée, plus ou moins en proie au doute. Mr. Munn étant la clef principale et Penn Warren ne nous prive pas de ses interrogations, dilemmes, pas plus que des failles de sa vie privée. J'ai parfois trouvé cela un peu bavard mais ce n'est que mon opinion. Vers la fin du roman  l'écrivain nous entraîne par contre dans une très belle digression sur l'un de ceux qui aideront Mr. Munn dans sa fuite, comme un résumé de l'histoire de l'Amérique, un Go West en condensé, passionnant.

                  Vers la fin de la période du séchage, le nombre des incendies augmenta dans la région. Peu avant les élections, des gens paisibles et raisonnables se livrèrent à de violentes et fréquentes bagarres. En chaire, on récita des prières pour le rétablissement de l'ordre, et parfois pour que fût corrigée l'injustice qui avait causé les désordres et poussé le frère à lever la main sur son frère.

15 avril 2023

Soudain l'été dernier

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                 Il semblerait qu'on redécouvre La côte sauvage, roman plus ou moins culte, mais qu'est-ce que ça veut dire, de Jean-René Huguenin, publié en 1960. Mort en voiture en 1962, je n'avais aucun souvenir de cet auteur mais il est vrai que j'étais bien jeune même si la lecture était déjà très présente dans ma vie. Bretagne, 1960, le Finistère, une mère malade, un frère, Olivier, deux soeurs, Anne et Berthe. L'été, les vacances sur la côte. C'était avant que les grandes migrations ne deviennent un rituel et le littoral n'est pas encore bondé. Berthe l'ainée n'aura qu'un rôle secondaire, bien que névrosée elle aussi. Car avec La côte sauvage on est dans la névrose, et pas qu'un peu. Au théâtre on penserait à Cocteau, beaucoup, et à Tennessee Williams, pas mal. D'où  le titre de cet article. 

                Olivier revient de deux ans d'Algérie et retrouve surtout sa cadette Anne avec qui il a partagé son enfance, notamment dans la maison bretonne, cette grande maison de vacances propices aux passions. Anne doit épouser Pierre, forcément un ami d'Olivier. Mais avec un ami comme Olivier nul besoin d'ennemi. Elle est si belle cette Bretagne extrême, et les rochers acérés, les ilôts inhospitaliers, demeurent bien bénins comparés au maelstrom des sentiments et des brûlures des personnages. Olivier est un cauchemar à lui seul, c'est du moins ce qu'il m'inspire. Comme rien n'est simple parfois...

                Dans cette atmosphère étouffante se joue un drôle de jeu qui nous laisse mal à l'aise, perturbé, et l'on s'interroge sur ce frère et cette soeur, pas vraiment une osmose, mais pas non plus une connivence. L'indéfinissable, et des caractères qu'on n'a pas envie d'aimer, mais qui laissent des traces, en un roman fort, brutal et anguleux, de pierre et de nuit, qui fut encensé à sa sortie, et par les plus grands, Mauriac, Gracq, Aragon. La Bretagne, la plage, les marées, l'été de ces privilégiés (le milieu de Huguenin, tout à fait) sont un parfait décor pour ces fratries exacerbées et l'auteur y excelle, aussi à l'aise dans la peinture des âmes que dans l'ode à l'Ouest. Quelques dialogues.

              "Je regrette de t'avoir blessé si tu es sincère" dit Pierre, mais sa voix reste serrée, contenue. Ses yeux baissés interrogent ses pas. "Au  fond, jette-t-il avec dépit, tu es impuissant à aimer. Olivier se met à rire - En un certain sens, oui: comme tout le monde. Et, d'un coup de pied, il fait rouler un caillou sur la route. - Non. Pas comme tout le monde. Toi, tu n'aimes pas ce qui vit. 

              Ou entre Anne et Olivier. - Anne, tu te souviens quand on jouait au mort?

              - Tu as mal?

              - Non. Pourquoi? Enfin si... j'ai mal, j'ai toujours mal, c'est un maladie bizarre, Anne: comment te dire...je souffre de ne pas être Dieu. Tu ne veux pas qu'on joue au mort?

              La côte sauvage n'est pas une tranquille et belle escapade littorale. Et la famille Aldrouze nous laisse inquiets. Et si nous leur ressemblions un peu, un peu trop...Mais c'est à coup sûr une belle aventure littéraire. Morsures, coupures, blessures. A la fin on frissonne. Rentrons.

24 mars 2023

La vallée un peu perdue

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               C'est le huitième livre de Modiano our moi. Certains très anciens, La place de l'étoile, Rue des Boutiques Obscures. Curieusement je crois ne l'avoir jamais chroniqué et je vais tenter de m'en expliquer. 

               Tous ces livres sont courts, sonnent comme une incursion du lecteur dans un univers unique. Comme dans une géographie qui n'appartient qu'à l'auteur, et que lire Modiano ne suffira pas à rendre totalement intelligible. Mais qu'importe? Modiano, on le sait, n'est pas un orateur ni un grand adepte des médias. Mais moi j'aime bien la musique de chambre de cet écrivain si particulier. Mais comment en parler? Par le silence, je crois.

              Je briserai ce silence, mais juste un peu. Modiano ne se commente guère, il se vit. Essentiellement à travers les déambulations, souvent parisiennes ou banlieusardes,  de ses personnages dont on ignore, à la fin tout autant qu'au début, la réalité profonde, doutant même de leur existence. Chevreuse, lieu emblématique d'une Ile-de-France riante, dernier opus du Nobel, est bien dans cette lignée, pélerinage de proximité, qui, moi, me touche d'une drôle de manière, tout en me laissant étranger àu mystère modianesque. On se raccroche en modianie comme on peut. Aux années de l'Occupation par exemple, toujours dormantes des décennies plus tard. Ce fut une période propice aux trahisons, aux faux-semblants, aux papiers frelatés et aux suites douteuses. Souvenirs dormants (c'est aussi un titre de Modiano) empreints de questions sans réponses, de mystères, de compromissions, de petites ou grandes lâchetés.

              C'est qu'ils sont diablement humains malgré tout, ces hommes et ces femmes, ces incertains, ces presque spectres. Ils oscillent entre années cinquante et deuxième millénaire, mais nous, lecteurs modianisés, avons depuis lontemps perdu le fil du temps. Entre appartements beaux quartiers et verts pavillons des environs, entre cafés où l'on attend, une photo sur la table, un(e) inconnu(e) et acenseurs capitonnés comme pour des confidences. Entre hôtels et bancs publics.

              Beaucoup de noms propres chez Modiano, personnes, villes, quartiers, rues, résidences. Il s'en dégage une poésie indéfinissable, etc...J'en ai déjà trop dit. Si vous lisez Modiano vous savez. Si vous ne l'avez jamais lu allez vous balader dans son sillage. Les effluves en sont, en sont, en sont...Vous verrez bien. Silence dans les rangs. Suivez ses traces. D'ailleurs on file beaucoup chez Patrick Modiano. 

              "J'étais pendant deux ans le chauffeur d'une dame. Elle est morte ici dans un petit appartement au troisième étage."

               Bosman ne savait quoi lui répondre. Enfin: "Une dame qui habitait Nice depuis longtemps?"

               Le taxi suivait le boulevard Victor-Hugo. L'homme conduisait lentement.

               "Oh, monsieur...C'est compliqué. Elle habitait Paris quand elle était jeune...Puis elle est venue sur la Côte d'Azur...D'abord à Cannes, dans une grande villa à la Californie...Puis, à l'hôtel...et puis square Alsace-Lorraine, dans ce tout petit appartement.

               - Une Française?

               - Oui, tout à fait française, même si elle portait un nom étranger.

               - Un nom étranger?

               - Oui. Elle s'appelait Mme Rose-Marie Krawell.

                Bosman pensa qu'une dizaine d'années auparavant ce nom l'aurait fait sursauter. Mais, depuis, les rares instants où certains détails de ses vies précédentes se rappelaient à lui, c'était comme s'il ne les voyait plus qu'à travers une vitre dépolie.

             

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3 mars 2023

Fantaisie pour éloge funèbre

Masse

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                      Je suis un peu déçu de La pire amie du monde d'Alexandra Matine, que j'ai lu grace à Masse Critique Babelio qui me fait confiance depuis bien longtemps et à qui je dois de belles découvertes. Les grandes occasions explorait le thème constant des conflits de famille, et plutôt bien. La pire amie du monde est un peu trop shoegazing à mon gré. Et c'est volontairement que j'emploie un mot anglais. L'auteure a parsemé son roman de nombreux mots dans la langue de Shakespeare, qu'elle a  cependant écrits en italique. Curieuse démarche. Mais nous sommes dans un milieu branché, forcément in.

                   L'héroîne s'appelle Cyr. Plusieurs personnages féminins sont nommé d'un diminutif peu explicite sur leur sexe. J'ai cru y voir un signe des temps. Mais soyons justes, La pire amie du monde n'est pas sans intérêt. Bien sûr cette génération de trentenaires m'énerve profondément et beaucoup de leurs codes me sont inaccessibles. Je cesse maintenant de maugréer. Cyr doit écrire et lire pour les obsèques de son meilleur ami tragiquement disparu en Thaïlande. Est-ce mieux qu'à Saint Brévin les Pins? Excusez-moi, ça me reprend. Elle a quelques jours pour ça, le corps prenant du temps pour être rapatrié.

                   C'est cette sorte de vacance que nous vivons avec elle. Variation sur le deuil, finalement assez intéressante, un peu déstabilisante, Cyr d'adressant à son ami mort, joli témoignage qu'on maîtrise au fil du livre. Et puis les nombreux retours dans le passé, douloureux, Cyr ayant perdu sa soeur et sa mère à quelques mois d'intervalle, quelquefois tragi-comiques. Les substances prohibées jouent leur rôle, la mode, pardon, la fashion, les rencontres hype, la vie à Amsterdam. Quelques belles idées dont une diablement originale, Cyr est accro aux montages Ikea. Ce monde m'est totalement exotique mais pourquoi pas. 

                  Parfois on s'éloigne de Cyr, pas un modèle d'empathie, ni de modestie. Mais la poésie s'invite de temps en temps, ne serait-ce que ce plongeur de canal qui s"engage à retrouver une alliance, en trois tentatives, pour 40 euros, qui la retrouve effectivement et s'en va en refusant 20 euros de plus. Quant au vocabulaire déjà évoqué c'est parfois snobement snob, parfois plutôt sympa, comme le verbe friendzoner, qui dit bien ce qu'il veut dire. De temps en temps on s'interroge. Ainsi que pensez-vous de Quand tout le monde a pris place un croquemort avec une tête de caviste spécialisé en vin nature monte sur l'estrade? Il y a aussi oversized, highlighter, steel drum, hard feelings, push-up, payroll. But we do with.

 

 

 

 

 

 

 

22 février 2023

Et si...Et si... version Melbourne

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           Troisième lecture de l'auteur australien Elliot Perlman (Trois dollars, La mémoire est une chienne indocile), qui m'avait déjà réjoui. Ce roman explore le monde de l'entreprise, plus exactement celui très particulier des ressources humaines. Un grand cabinet d'avocats, une société du bâtiment, tous deux au coeur de Melbourne. Deux puissances qui s'épaulent et parfois se déchirent.

           On ne quitte pas la ville et on ne déserte guère les milieux d'affaires, ce qui pourrait s'avérer vite ennuyeux. Or ça reste picaresque et somme toute comique avec beaucoup de causticité. Le harcèlement sexuel est un prétexte à explorer les multiples faux- semblants et chausse-trappe qui sont le quotidien de ces grandes entreprises. Mais Et si le cheval se mettait à parler reste une comédie et non un réquisitoire. Les manipulations internes et les coups bas juridiques sont un peu obscurs et pour tout dire c'est parfois compliqué.

           Mais l'ambiance y est. Les plus puissants sont pleins de morgue et les moins favorisés ont les dents longues. Cadeaux empoisonnés, inénarrables réseaux sociaux, indiscrétions, l'on fouine pas mal dans ce roman. Plaignantes victimes, elles-mêmes plus ou moins machiavéliques, harceleurs moyens, très moyens, la société australienne de Melbourne n'en sort pas grandie mais ne sommes-nous pas tous des Australiens et les antipodes ne se rejoignent-ils  pas forcément pour le meilleur? Mais à tout prendre la créativité se loge parfois dans les memos et les machines à café.

          - Vous êtes l'avocat de ses adversaires! Comment pourriez-vous l'aider?

          - Vous voyez tout ça sous un angle antagoniste. Moi je suis créatif. C'est une version postmoderne dr la résolution de conflit alternative.

          - Betga, mais enfin comment voulez-vous être à la fois l'enquêteur de Torrent et l'avocat des parties adverses?

           Cependant Et si le cheval se mettait à parler n'atteint pas l'intensité si profonde de La mémoire est une chienne indocile

  

16 février 2023

Digital animal (Ich bin ein Berliner)

Masse

L-instant

                          Amy Liptrot m'avait beaucoup intéressé avec L'écart, il y a trois ans. La voilà de retour chez moi grace à Babelio Masse Critique, que je gratifie d'un grand merci. Titre court également, L'instant. Fugitif? Présent? Passé? Futur? Amy quitte ses chères îles nordiques, les Orcades, pour Berlin, cosmopolite, hype et amnésique. Autant dire que l'atmosphère est différente. Mais les oiseaux...

            La trentaine, libre et branchée, ultraconnectée même. Mais Amy semble à l'aise dans cette ville où l'on parle surtout l'anglais. Elle parle beaucoup d'elle, se définissant joliment comme migrante lifestyle et provisoire, et non économique ou climatique. C'est certes une forme de luxe, mais elle cumule les petits boulots entre deux fêtes techno. Et surtout Amy est de cette génération de mutants accro à ce petit objet lumineux présent partout. Vous connaissez peut-être. Et les oiseaux...

          A priori tout pour m'inintéresser si j'ose ce barbarisme. Et pourtant Amy m'a touché, un peu énervé aussi. Elle parvient à joindre le numérique et l'ailé, nullement incompatibles. Capable de Je ne veux rien de plus qu'une source biquotidienne de textos subjectifs et de Je veux juste une épaule sur laquelle m'appuyer. Mais surtout elle nous immerge en un double point de vue dans Berlin, ville extraordinaire dont on croit connaitre l'histoire. Ville de toutes les substances, des rave parties, des bains nocturnes, des addictions, mais aussi championne de la verdure où pullulent entre autres les étonnants ratons laveurs. Je vous conseille l'inventaire à la Prévert version Porte de Brandebourg. 

         Rencontres, sexe, art, art du jour, parfois caduc la semaine suivante. Berlin où le vieux aéroport de Tempelhof est transformé en piste à tout faire, skate, camp migrant, lieu de deal, bauge à sangliers, et où le célèbre Tiergarten abrite toutes les faunes possibles. Amy Liptrot, je l'avais laissée dans ses îles lointaines, déjà connectée mais aussi nageuse de Mer du Nord et passionnée d'oiseaux. Et on les retrouve, ses chers oiseaux, parfaitement adaptés à la métropole, plus intelligents que jamais. 

         Disponible, prête à bien des expériences, attachée aux changements, curieux oxymore, la trentenaire touche juste. Et dans mon cas partuculièrement en ornithologue amateur. Cycliste matinale voire nocturne, rossignols, martinets, faucons crécerelles et surtout ses chouchous les autours, rapaces prédateurs fascinants, les maîtres des nuits berlinoises, n'ont plus de secrets pour elle. Tout cela soigneusement collecté sur les écarns à tour dire, à tout montrer, à tout faire. 

       Peu geek, j'ai pourtant envie de vous conseiller cette année allemande, peu germanophone tant la pression internationale pèse sur cette ville différente. Bien sûr je suis plus porté sur les ailes du désir. Dans une vidéo je regarde un oiseau blanc, le splendide faucon gerfaut, manger la chair blanche d'un aitre oiseau blanc, un cygne. Autre citation, plus sobre, Mon projet est de trouver un raton laveur et un amant. Dans quel ordre, Amy? 

1 février 2023

Une piste classique

Masse

au loin

                      Babelio et Masse Critique (merci encore) m'ont cette fois envoyé sur une sorte de western hommage à la photographie des pionniers, écrite par un auteur français, Jean-Louis Milesi. Le photographe Edward Sheriff Curtis (1868-1952) est connu aux USA pour son travail sur les Indiens au tout début du siècle dernier. On estime qu'il traversa 125 fois les Etats-Unis, visita 80 tribus amérindiennes et prit 40 000 clichés. Ce travail d'ethnologue lui fut facilité par John Pierpont Morgan et Teddy Roosevelt et constitua une somme unique sur la vie des Indiens, photos, mais aussi quelques films. Le livre de Milesi est un roman dont l'essentiel est consacré à ses toutes premières incursions dans les tribus du Nebraska. 

                     J'aurais aimé m'enthousiasmer mais rien ne m'a vraiment transcendé. A travers l'arrivée de Curtis chez les Indiens je trouve que l'auteur survole l'époque, en chapitres très courts pour montrer l'état des lieux. La brutalité d'une insitution religieuse, chargée de rééduquer les jeunes indiens, l'omniprésence des armes inhérente au pays, les progrès de la photographie, la pruderie et l'intransigeance de l'éducation, tout cela est évoqué dans Au loin, quelques chevaux, deux plumes... A l'origine, un fait historique, la pendaison de 38 Sioux dans le Minnesota en 1862. Indirectement et des années plus tard cet évènement décidera de la vie de Curtis, de son investissement dans la cause indienne. 

                   Alors on suit facilement tous les épisodes de cette sorte de feuilleton sur l'Ouest et la façon d'en relater l'histoire. La voie en est bien balisée. Poussière et pluies diluviennes, chevaux à la peine, marchand douteux, bandits de grands chemins. L'indien nu  fascine la femme du politicien, les nonnes étouffent sous leur robe de bure, on y mange parfois des insectes et la vie ne vaut pas très cher. Alcool à tous les étages. Un peu de tout dans cette histoire de l'Ouest. Je m'attendais à une sorte bio, même romancée, bien davantage axée ssur cet étonnant photographe, peu connu en Europe. En Europe où l'on connait beaucoup mieux ceux qui un peu plus tard ont décrit l'entre-deux-guerres et la grande crise (Walker Evans, Dorothea Lange). A l'évidence Edward Sheriff Curtis mérite plus et mieux. 

                 Je modère mon propos. Ca m'arrive. La fin du livre, La Photographie, c'est pas mal quand même. Vieux proverbe indien: il faut toujours attendre la dernière bouchée de viande séchée avant de recracher. 

25 janvier 2023

Please allow me introduce myself

Des diables

                   Joseph, plus très jeune, joue du piano dans les gares et les aéroports. Quelle belle image. Je crois qu'il en faudrait dans les écoles, à la poste, voire en prison. Rêvons. Il se raconte. A seize ans il perd ses parents et sa soeur dans un accident d'avion. Il se retrouve aux Confins, une sorte d'orphelinat bien nommé aux fins fonds de l'Ariège, entre France et Espagne. Dans cet établissement un piano mais nul n'a le droit d'y toucher, probablement un peu diabolique.

                  Les pensionnaires de ce pénible centre ont entre huit et dix-sept ans. Joseph y est placé l'été 1969. Neil Armstrong fait quelques pas appelés à un certain retentissement. Mais Joseph, lui, s'intéresse à Michael Collins qui tourne en rond autour de la Lune, taxi driver oublié de l'Histoire. Jean-Baptiste Andréa emmène aussi Beethoven dans cette aventure adolescente en ce lieu clos, malsain et cruel. L'ambiance carcérale est cependant étoilée d'humour et de fantaisies malgré la dureté de l'abbé directeur et le sadisme du surveillant. La société secrète me fait penser aux mythiques Disparus de Saint Agil, drolatique roman et film des années trente. Dans ce huis clos, cachots et obscurité mais un espoir. Au sens propre, Pyrénées obligent, un espoir au bout du tunnel. 

                L'amitié, l'amour se faufilent dans la vie de Joseph, qui se remémore les leçons de son vieux professeur de musique, pas toujours très tendre, mais si efficace. L'auteur réussit un très beau roman, émouvant et lumineux, tragique et drôle. Ce livre est finement martelé, un sens du rythme surprenant avec entre autres un culte (voir le titre) au Sympathy for the devil des Stones. Joseph est vraiment un héros de roman par excellence, balloté par la vie, cabossé mais debout, jouant son hymne à la liberté en majeur. On souffre, on peine, on aime avec lui et son souffle nous contamine, presque au sens propre. Après Des diables et des saints je crois que vous approcherez du gars ou de la fille qui joue du piano Gare du Nord (c'est la mienne). 

14 janvier 2023

Eloge du court

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                Roberto Saviano est célèbre plus pour le sort qui lui est promis que par ses écrits. Depuis Gomorra (2006) consacré à la Camorra, triomphe littéraire international, devenu film de Matteo Garrone puis série, Saviano vit à l'étranger sous protection, menacé par la pieuvre napolitaine. Deux nouvelles dans ce mince recueil. Seule la seconde, La bague, revient sur la mafia, narrant en vingt pages comment Vincenzo et Giuseppe, deux jeunes napolitains n'ont pu survivre. Leur crime, avoir tenté de résister à l'horreur ancestrale. Sobre, serrée, essentielle, l'écriture de Saviano installe très vite le décor. Et la honte de vivre là, en cette ville gangrenée où le simple fait de naître est une faute, où le premier souffle et la dernière quinte de toux ont la même valeur, la valeur de la faute. C'est bref, précis, la violence y est fulgurante j'oserai dire, hélas, efficace. Cette saloperie de société criminelle, bien loin du Parrain, se porte bien. 

              La première nouvelle, Le contraire de la mort est sous-titrée Retour de Kaboul. Maria n'a que dix-sept ans quand son amoureux s'engage dans l'armée. Et c'est l'Afghanistan. A priori seul ascenseur social envisageable pour un petit gars de Naples. Et puis les talibans, un camion, ou un char. Maria ne sait pas très bien et semble peiner à comprendre. Sans grandiloquence ni pathos Roberto Saviano cerne bien la jeune Maria, presque une enfant. Ces guerres récentes, un peu oubliées. Les morts de Bosnie, du Kosovo.

              80 pages, regroupées sous le vocable Scènes de la vie napolitaine, et c'est assez pour saisir le drame intime de Naples, de la Campanie, et accessoirement du monde entier. Je ne tresserai jamais trop les louanges de la concision. A l'heure où le moindre auteur nous gratifie de 500 pages parfois indigestes, où tout metteur en scène de cinéma croit déchoir en dessous de 140 minutes, ça me plairait, ça, l'essentiel. 

2 janvier 2023

L'apprenti puisatier

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            Je n'avais jamais lu le Prix Nobel 2006. La femme aux cheveux roux est un très beau roman qui en dit beaucoup sur la Turquie d'aujourd'hui. Très riche, assez complexe, qui donne le ton d'une littérature très indépendante, forcément peu en cour à Ankara. Abandonné par son père, Cem vit seul avec sa mère dans ce qui est encore la campagne près d'Istanbul. Il travaille pour un puisatier avant son entrée à l'université. Il fait la connaissance d'une comédienne de théâtre, aux cheveux incendiaires, le double de ses dix-sept ans. Une seule nuit bouleversera sa vie. Vingt-cinq ans ont passé.

            Vingt-cinq ans ont passé, Cem a bien changé, Istanbul aussi, et toute la Turquie, cet état sur deux continents, ce qui n'est pas fréquent. Etudes brillantes, un mariage plutôt heureux, mais sans enfant. Loin des travaux physiques exténuants, Cem est devenu un géologue réputé, puis  businessman, plutôt acquis aux idées neuves, obsédé par un drame dont je ne dévoilerai rien, et aussi par la paternité, le mythe d'OEdipe meurtrier de son père, omniprésent au long du roman. La réussite économique de Cem ne suffira pas, malgré son épouse aimante et aimée, à faire de lui un homme en paix.

            Les ombres du passé n'en ont jamais fini. Qu'est devenu son maître puisatier? Disparu depuis si longtemps? Les scènes très belles de forage artisanal à la recherche de l'eau, encore rudimentaires en ces années, sont parmi les plus belles du livre. L'initiation de cette fin d'adolescence a été double, la quête de l'eau, si cruciale, et l'éveil amoureux pour la belle actrice, ardente à la chevelure de feu, ensorcelante. Ainsi donc, quelques semaines dans la vie d'un tout jeune homme suffisent à orienter douloureusement toute uen existence. Brûlure jamais tout à fait ne s'apaise. 

            La femme aux cheveux roux passionne de bout en bout et donne envie d'approfondir l'oeuvre d'Orhan Pamuk. Istanbul est bien sûr plus qu'un décor. On voit la ville changer au fil du bouquin, devenir tentaculaire et indéfinissable. Métropole, mégapole, mégalopole, elle échappe aux personnages qui tous, finissent par s'y perdre. Tout est si fragile, comme le sol turc, en proie aux séismes. De l'hommage au théâtre populaire, engagé, aux remords et regrets d'un père qui s'ignore, le voyage dans la vie de Cem est une belle expérience. 

            

19 décembre 2022

Off Broadway

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                 Broadway de FabCaro est un livre de 190 pages, agréable, plutôt amusant, mais qui s'essouffle vite. C'est souvent le cas, l'humour tournant vite à la recette. Mais ne pinaillons pas, un peu de bonne humeur ne saurait nuire. Le plus drôle c'est dès le début. Les gens d'un âge certain comprendront mieux en riant un peu jaune. Bleu colorectal? Bleu colorectal est la superbe couleur de l'enveloppe plastique envoyée aux Français d'un certain âge (ça c'est pour éviter le pléonasme) pour prévention. Cette couleur obsède notre héros qui est normalement trop jeune pour cette réception. Erreur prémonitoire?

                 Notre héros habite un pavillon de banlieue, lotissement des Acacias, les lotissements ont toujours des noms très verts. Il travaille dans un bureau de je sais pas trop quoi. Tristan, son fils de 14 ans, a un peu dévissé en caricaturant deux de ses profs en position intéressante mais un peu délicate. Jade, sa fille de 18 ans, lui demande de brûler des cierges afin de défigurer une rivale. Problèmes de haies et d'apéros avec le voisin. Et un projet auquel il n'adhère pas, mais pas du tout, une semaine de paddle à Biarritz avec un couple d'amis.

                 Les amis, si on veut les garder, plus ou moins, il ne faut jamais rien faire avec eux. Et surtout pas le barbecue, cette sinistre pantomime qui consiste à jouer l'homme des bois, boire du rosé et surveiller les enfants. L'horreur. Notre héros a 46 ans, pas l'âge des prélèvements, sauf fiscaux. Broadway, c'est la comédie musicale de fin d'année de sa fille en terminale, ratée. Ratée aussi, mais en douceur, la vie de notre héros. A la manière d'un film avec Dubosc ou Commandeur qui nous faire rire un quart d'heure,  sourire dix minutes puis trouver le temps long.  En général il reste encore une heure vingt. 

15 décembre 2022

Seine de vie

Roman-Fleuve

                          Trois hommes dans un bateau est un roman anglais comique qui eut son heure de gloire, publié en 1894. Philibert Humm devrait vous faire passer un bon moment avec ce Roman fleuve qui reprend le sillage du canot de Jerome K. Jerome. La Seine remplaçant la Tamise. Ils sont jeunes, ils sont trois, ils n'ont aucune connaissance de la navigation et ils décident de descendre le cours de la Seine de Paris au Havre. Croisière pour le moins hasardeuse mais surtout désopilante, sorte de huis clos aquatique marinier pour nos héros plus près du potache post-acnéique que du matelot même d'eau douce.

                         Eau pas si douce que ça. L'entrée en Seine des trois hurluberlus est d'entrée placée sous le régime d'une démocratie relativement relative. Un capitaine, un major ça sonne pas très marin) et un écopier (ça, ça sonne bien aquatique). On sent d'emblée un remake de Mutiny on the Bounty. Le canoé d'occasion a été baptisé le Bateau.C'est beaucoup dire. Ne croyez pas qu'il suffit de se laisser porter par le courant, comprennent-ils au bout d'une journée, distants seulement de quelques stations de métro du Trocadero. 

                         Malgré le rideau de douche sur la tringle élevée au rang de mât nos explorateurs n'avancent guère. Abordage sur des rives parfois hostiles même si on ne signale aucun cas de cannibalisme dans la vallée de la Seine. Il faut aussi compter avec les péniches, la Vahiné, la San Francisco, aux noms exotiques et qui joignent à peine la Belgique, voire les navires vrais dans le port de Rouen. Avec le flou artistique entourant un tel périple ni interdit ni autorisé. Et des autochtones parfois sympa, portés sur la dive bouteille même sans bateau à l'intérieur. Roman fleuve est illustré de quelques dessins remarquables et prestigieux, un réchaud à pétrole Eva-Sport, un lance-pierres destiné à la survie, que l'équipage perdra très vite, un récepteur radio portatif à piles c'est à dire un transistor, une paire de chaussures bateau en 43. Prometteur, non? 

                       J'ai apprécié les chapitres titrés à la Jules Verne dans ses Voyages extraordinaires. Quelques exemples. Où l'on découvre que nos rames sont des pagaies (il faut attendre la page 101)-Réquisition d'une chaussette sur l'île aux Dames.-Ventre mou du récit (noter la lucidité de l'auteur)-Faux bonds et ricochets. Et que dire de la réelle poésie des villages baignés par Dame Seine, Port-Pinché, Pampou, Tournedos, La Bouille. De belles rencontres aussi avec Sylvain Tesson, en avance sur notre infernal trio de quelques milliers de décalages horaires, Johnny, maître es karaoké et rosé, Monsieur Mallard, 91 ans, profession chantier naval-café-buvette-raconteur d'histoire qui évoque avec émotion 1945, pas la capitulation mais la crue historique du 16 février, 6,87 mètres sous le pont d'Austerlitz. Peut-être aussi un satyre hante-t-il les rives de Seine, en mal d'ondines?  Pas de confirmation, des doutes.

                     Juste quelques formalités. Notamment l'officiel document des Voies Navigables de France. Vous devez obtenir une décharge de vie. Sans ça, à partir de Rouen ils ne vous laisseront pas passer. 

                      Le moral était fixe. Les conditions de navigation excellentes. L'avenir tout tracé. Mais l'avenir n'aime pas bien qu'on le trace. Je crois même qu'il a horreur de ça.

                     Embarquez donc sur le Bateau, ce canoé deux places où ils sont déjà trois. Passagers clandestins le Surréalisme, Devos, Desproges, Monty Python en Seine-et-Oise. Suprême rigolade, ils ont donné un prix à Roman fleuve. Fluctuat et un peu mergitur. 

                      

 

 

10 décembre 2022

Cinéphilie m'était contée en quatre mouvements

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...Ou quelques ressentis sur ce qui me semble le crépuscule de la cinéphilie à moins que ce ne soit le mien.

        Le cinéphile est un roman de de l'auteur américain Walker Percy, National Book Award en 1962. Ca passe pour une oeuvre maîtresse. J'ai enfin décidé de le lire, espérant m'y retrouver au moins un peu. Foin de tout ça, Le cinéphile est plutôt perçu comme un parent du Sud américain, la Louisiane en l'occurrence, vaguement proche selon certains du Roquentin de La nausée, voire de Meursaut L'étranger. Comme d'habitude on ajoute Faulkner qui plane toujours sur toute littérature sudiste, bien que relativement peu lu en France. 

        Ceci dit j'ai moi-même découvert Le cinéphile bien tard. En toute logique, et sans aller jusqu'à en être nauséeux, je suis resté totalement hermétique, comme étranger à l'histoire de Binx. Binx habite la Nouvelle Orléans, Binx a un emploi stable, Binx est un distant, tellement distant que je l'ai très vite perdu de vue. Binx s'ennuie, et m'a bien ennuyé. Binx est ou serait cinéphile mais bien peu de références véritables qui m'auraient réjoui. Bref c'est une chronique très court métrage que je vous délivre à propos de ce Cinéphile dont l'ironie m'a conduit à l'ire ennui très rapidement. Et apparemment à ma connaissance aucune adaptation du Cinéphile au cinéma. Restons-en là. 

MIROIR

            Le multiplexe de ma ville propose depuis peu une programmation patrimoine. C'est louable et ce n'est pas moi qui trouverai à y redire. Pour cela il faut être deux, un écran et un spectateur. Ce fut le cas. Bergman et moi en tête à tête en copie restaurée. L'insulaire de Faro n'a certes jamais été un roi du box office. A travers le miroir n'a rien de la gaudriole ni du blockbuster. Mais tout de même l'effort eût mérité un peu mieux. Nostal je suis, voire passéiste, m'accusera-t-on. La semaine prochaine Accattone. Qui pour voir le premier film de Pasolini? Baroud d'honneur avant liquidation?

Azor

         Versant un peu plus rose de la cinéphilie, cette maladie en voie d'extinction (pas comme certaines), je présentais il y a deux semaines Azor, film helvético-argentin d'Andreas Fontana. Et...des spectateurs relativement nombreux pour un film totalement inconnu, y compris ou presque, de moi-même. Azor, c'est la quête d'un banquier suisse dans l'Argentine des colonels, suite à la disparition de son associé. Le film est glacé, très peu explicite, secret comme Fort Knox, feutré comme une ambassade, voire labyrinthique. Rien de tape à l'oeil, ni simpliste ni angélique. J'aime bien les films qui laissent le spectateur à sa réflexion, à ses interprétations, parfois à sa sieste car Azor emprunte un chemin discret. 

         Les gens ne parlent guère à la suite d'un film. Mais j'aime à croire que quelques pépites dignes d'intérêt peuvent encore de ci de là intéresser, émouvoir ou amuser. Fabrizio Rongione, l'un des acteurs fétiches des Dardenne, trouve là un rôle très éloigné, aux antipodes de leur univers.

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         Et pour finir molto allegroso, se réfugier sur ARTE replay, certes parfois un peu hautaine et condescendante, mais qui nous emmène quelquefois loin des sentiers battus. Sentiers parfois très enneigés, empruntés presque par hasard. Ce fut le cas, consultant les films proposés, quand j'ai découvert que le roman Pas facile de voler des chevaux, de Per Petterson, norvégien de son état, l'un de mes auteurs favoris, avait fait l'objet d'une adaptation au cinéma. Ca s'appelle L'été où mon père disparut. Je ne vous en dis pas plus. De grace, regardez-le. Je crois qu'il n'est jamais sorti en France. 

 

2 décembre 2022

Revoir Naples et mourir

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                François Garde est un romancier qui me réjouit toujours. Quel bonheur, si l'on est un peu amateur d'histoire, de se plonger dans ce joli roman qui explore la galaxie des maréchaux d'empire, ces soldats souvent sortis du rang que Janus Napoléon sut élever sur des trônes et renier tout aussi naturellement dans nombre de cas. Joachim Murat, roi de Naples, fut l'un des plus prestigieux. Modeste fils d'aubergiste du Sud-Ouest il devint le beau-frère de l'empereur en épousant Caroline Bonaparte.

                Octobre 1815, quatre mois après Waterloo, Napoléon navigue vers un caillou perdu en plein Atlantique. Murat, désormais ex-roi, tente de revenir en grace auprès de ses anciens sujets. Dans la grande débandade qui suit la fin de l'empire chacun essaie de sauver sa fortune et sa peau. Fait prisonnier par les fidèles des Bourbons il va vivre six journées de réclusion, un procès bâclé, une exécution sans délai. Le prince Joachim Murat se penche sur sa vie. Et c'est absolument passionnant. Roi par effraction, habilement bâti avec alternance du court emprisonnement du souverain de circonstance et des années de conquêtes, de victoires et de déboires, est une sacrée aventure, digne de Dumas, probablement sertie de quelques libertés avec la grande histoire. Peu importe, les Français qui aiment justement l'histoire, que je crains peu nombreux tant règne l'ignorance, se régaleront. Rares sont les époques où l'ascenseur social, certes assez guerrier, pouvait fonctionner. Sachant qu'un ascenseur peut parfois vous envoyer par le fond.

               Murat, en quelques jours de geôle, réinterprète les étapes de sa vie exceptionnelle, de son enfance gasconne aux batailles impériales, de son mariage dans l'ombre de Napoléon au palais de l'Elysée qui fut sa résidence. Murat, une vie d'action, de hauts et de bas, des brutalités de sa répression en Espagne (Goya) aux rêves d'unité italienne. En quelques sorte un précurseur même si cela tourna court. Joachim Murat, roi de Naples périt sous les balles des Bourbon, jugement pour le moins expéditif.

               Roi par effraction, à lire comme un feuilleton de cape et d'épée, chevauchées et intrigues, trahisons et ingratitudes, une Europe à feu et à sang, et l'extraordinaire destin d'un gamin d'un village du Quercy. L'Aigle déchu dans son île hors du monde avait au moins permis ceci. Il arrive que les aigles ressemblent aux vautours. 

              

 

 

25 novembre 2022

Pauvre Don

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                         Voilà un roman qui éclaire l'actualité, bien que se déroulant en 2018 dans cette région que bien peu connaissaient. Benoît Vitkine nous plonge dans ce pays où tout nous semble gris, où la guerre est présente depuis huit ans. Maintenant chacun de nous sait un peu tout ça. Un enfant retrouvé poignardé, ce n'est qu'une horreur de plus dans cet enfer. Un officier refuse de s'en désintéresser et va mener l'enquête. Cette enquête ressemble à bien des enquêtes. Tous les thrillers, tous les polars du monde se donnent la main pour compliquer les choses, c'est l'une des lois du genre. Mais on sait bien qu'une autre règle est de nous immerger dans un pays, une ville, une époque, un milieu, etc.

                        Et ce milieu dans le cas de Donbass est clairement identifié, surtout à la lueur des neuf derniers mois. C'est même le titre du livre. Le bassin industriel du Don. Qui n'a jamais été glamour. mais qui touche le fond. Rappelons qu'une guerre même pas larvée fait rage dans cette région depuis 2014. Alors la recherche d'un assassin dans ces conditions relèverait presque de l'anecdote. Mias Benoît Vitkine, qui est aussi journaliste, prix Albert-Londres pour ses reportages tant chez les séparatistes pro-russes que les loyalistes ukrainiens, sait nous faire vivre le quotidien de ces vieillards, ces femmes seules, ces laissés pour compte, totalement ignorés des médias. 

                        La corruption règne et tout est objet de trafics, de tous les côtés car rien n'est simple quand on manque de tout. Les veuves, les mères, les grand-mères, les femmes en général survivent du mieux possible. Dignes, les mères, rare note d'espoir.  Rajoutons les interminables séquelles de la guerre d'Afghanistan et les ravages "usuels" de la drogue, je ne parle même pas de la vodka ignominieuse, et l'on obtient ce dramatique cocktail de déliquescence fatale. C'est tout cela que j'aurai retenu de Donbass, thriller réaliste poignant et désespérant. A lire, hélas.

                       

                       

5 novembre 2022

Soleil levantin

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                        J'ai été séduit par ce beau bouquin de l'auteur franco-libanais Sabyl Ghoussoub. Pas vraiment un roman Beyrouth-sur-Seine, c'est le regard de l'écrivain-journaliste d'une trentaine d'années sur la diaspora libanaise des année 80 et la vie à Paris de ses parents telle qu'ils ont pu ou voulu la lui raconter. Kaïssar et sa femme Hanane sont arrivés en France en 1975, pour quelque temps. Mais voilà. Très vite le Liban jadis prospère et envié sombre dans une ahurissante guerre civile, interminable et quasi incompréhensible tant les factions sont multiples et peu accessibles au commun des Européens. 

                       Des chapitres très courts et pleins de punch, un aller-retour permanent passé-présent qui requiert un peu d'attention, comme des vignettes du quotidien parisien des parents, émouvant, assez souvent désopilant, et duquel émane un portrait de famille détonant. C'est un livre que l'on lit très rapidement tant les aléas de la vie de famille sont cocasses et pittoresques. Le père, cultivé, un peu susceptible et imprévisible, fréquente volontiers les hippodromes et les petis bistrots parisiens. Sa carrière universitaire tourne court, il a l'insulte facile et n'est pas toujours très compréhensif. 

                       La mère, un tantinet possessive, une mater familias accro aux délicieuses habitudes connectées si chères à la nouvelle vie de l'humanité, nous offre de beaux moments, notamment en cuisine, quand il y en a pour quinze y en a pour vingt, ou quand elle fait ses courses avec une copine. Bien sûr le temps passe et le Liban, non seulement ne se relève pas mais naufrage totalement. L'essentiel se passe à Paris mais on pense au pays là-bas, qui a vu tant de corruption, de cruautés, d'assassinats.  

                      Faillite totale que quelques grandes familles n'ont pu sauver, bien au contraire...Ce pays a été traversé de tant de soubresauts qu'aucun roman à mon sens, et malgré l'intérêt majeur de Beyrouth-sur-Seine, n'est capable de nous faire comprendre la complexité de cette terre des cèdres. Ne dit-on pas que Dieu lui-même peinera à reconnaître les siens. 

 

5 octobre 2022

Soucis siciliens sourcilleux

 Taormine

                       De Taormine nous ne verrons rien, ni les îlots ni le légendaire théâtre. A peine un hôtel et un garage. L'hôtel est de luxe. Le garage douteux quant à ses tarifs. Melvil et Luisa, couple au bord de la rupture, tente une escapade ultime, comme si ça marchait, ce truc là, pour repartir à zéro. Exit donc la délicieuse Taormine, bon souvenir qui s'éloigne en ce qui me concerne. Taormine ne fait pas 140 pages, en courts chapitres. Trois quarts d'heure suffisent à l'excursion.

                       Melvil est antipathique, et Luisa guère moins. Mais nous on n'est pas comme eux. Je n'avais jamais lu Yves Ravey. J'ai seulement lu qu'on évoquait à son sujet Simenon, les hard-boiled américains, voire Modiano. Une écriture sèche, sobre et behavioriste (ça fait cuistre ça, non?). Bref, c'est le cas de le dire, Taormine ne laisse guère place aux sentiments, mais l'absence totale d'émotion rend très efficace cette espèce de mini thriller autour de la lâcheté. Et ce qui fonctionne c'est qu'on se dit, c'est un peu l'objectif: Qu'aurais-je fait, moi, en ces circonstances? 

                     Mais au fait, qu'a-t-il fait? Et surtout que n'a-t-il pas fait? Délit de fuite, enfin, disons qu'il n'a pas daigné vérifier l'objet non identifié qu'il a percuté violemment avec sa voiture de location à la sortie de l'aéroport de Catane. Tout le roman ne sera que l'itinéraire et le séjour du couple en perdition. C'est peu dire qu'entre petits arrangements avec les mécaniciens et serveurs d'hôtel, visites touristiques avortées vu l'ambiance, et querelles incessantes entre Melvil, homme sans qualités et Luisa qui peine à sortir de sa pusillanimité, ces deux voyageurs ne pensent bientôt plus qu'à échapper  à leur éventuelle responsabilté. 

                    Petits trafics sans importance avec les autochtones que leur carte de crédit intéresse en priorité, tractations de minables à minables, bien veule l'humanité au pays du Guépard. On passe pas mal de temps en et autour de la voiture, une caisse de passage moche et étriquée où ils resteront quand même une nuit entière. Bienvenue chez les mesquins presque assassins. Laideur et bassesse que les beautés d'Agrigente ou Syracuse n'occultent pas.  Mais un très bon roman, sec et à l'essentiel.

                    Une chose est claire? Luisa, ai-je repris. On aurait eu tort de revenir sur nos pas. Si je t'avais écoutée, on aurait fait demi-tour. C'est bien ça que tu voulais, non? faire demi-tour? à toute force, retourner au snack-bar? Tu te souviens que j'ai laissé le dépliant de l'hôtel sur la table...Et alors, Melvil, qu'est-ce que ça change qu'on l'ait oublié, ton dépliant? Qu'est-ce que j'en ai à faire de ce truc...? J'ai repris: Et toi, Luisa? Tu te vois entrer dans le bar à ce moment-là? Tu ne comprends vraiment pas! Imagine, on vient de percuter un obstacle, et toi tu débarques là au milieu...? non...? franchement? Tu te serais jetée dans la gueule du loup.

                    Le nom de famille qu' a choisi Yves Ravey pour son couple, et ça n'étonnera personne...Hammett. Et l'avis favorable de Dasola Taormine - Yves Ravey

25 septembre 2022

Le mâle absolu

Le voyant d'Étampes par Abel Quentin

                 Peu enclin à m'intéresser à Jean Roscoff, universitaire alcoolique juste retraité, ancien soixante-huitard, j'ai cependant daigné lire Le voyant d'Etampes que l'on m'avait prêté. Bien m'en a pris. Non que le personnage soit particulièrement sympathique mais il m'a quand même touché par ses maladresses et son inaptitude à respirer l'air actuel. Décidé à écrire un essai sur un poète américain méconnu ayant vécu en France et mort au volant dans l'Essonne. Cet essai, Le voyant d'Etampes, va lui valoir bien des complications publiques et privées. 

                 Gravitent autour de lui une ex-femme prompte à donner des leçons, une fille forcément lesbienne, un ami pas très enthousiaste, et surtout des souvenirs de tous les combats, un bien grand mot, qu'ont soi-disant livré les gens de cette génération. Shoegazing et nombrilisme à tous les étages. La carrière littéraire de Roscoff est en cale sèche. Un premier essai sur les Rosenberg, mort-né, vu qu'il défendait une possible innocence des époux à l'instant même où fut prouvée leur culpabilté. Mais Le voyant d'Etampes va autrement déstabiliser notre ami et lui rendre la soixantaine orageuse.

                  C'est que dans cet essai Roscoff, suprême insulte, titanesque malveillance, se permet de parler de Robert Willow (un peu un mix de James Baldwin et de Richard Wright, qui furent les coqueluches du petit monde germanopratin, si avenant) sans trop insister sur le fait qu'il était noir. Peut-on écrire ou dire ça? Et puis de toute façon, à quel titre ose-t-il parler au nom d'un homme de couleur, lui mâle blanc hétéro, pouah?

                 C'est volontairement que j'inachève cette chronique. Sûr de deux choses malgré tout. Un, Jean Roscoff, plutôt pas très intéressant, a fini par me devenir sympathique tant le déluge cancelo-bienpenso-démago-néoconformiste est ahurissant. Et deux, lisez Le voyant d'Etampes. On y rigole souvent, d'innombrables drôleries sur cette société. Puis on est terrifié. 

                 

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