Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOGART(LA COMTESSE)
Derniers commentaires
Pages
litterature
11 mai 2020

Le lac réussi

CVT_Lake-Success_3357

                             Barry Cohen n'est a priori pas très intéressant. Ce spéculateur, on pense un peu au Loup de Wall Street, en quadragénaire, traverse une passe difficile. Son mariage bat de l'aile, son fils de trois ans est autiste sévère, et il se trouve sous le coup d'une enquête de la Commission Boursière. Tout cela ne me branchait guère. Mais l'auteur, Gary Shteyngart, a eu l'excellente idée d'expédier Barry Cohen dans un car, les fameux Greyhound, direction l'Ouest, le Nouveau-Mexique. On the road again donc, une fois de plus, avec ces rencontres improbables qui mettront Barry au contact d'une partie du vrai pays.

                             Le voyage réserve son lot de surprises qui mêlent un brin d'invraisemblance à l'humour souvent très amer de Gary Shteyngart. Nous sommes à la veille de l'élection de Trump. Et Lake Success est une vraie petite ville américaine pas très éloignée de New York. Un nom étrange, difficile à assumer. Mais Barry n'en a cure. Car le temps des succès est peut-être derrière lui et c'est dans la poussière des freeways, highways, et dans des Greyhounds au relents d'urine et de fast food, qu'il taille la route en fait. L'envers du capital, son fond spéculatif, prend l'eau et sa tour pour milliardaires de Manhattan ne sera bientôt plus qu'un souvenir.

                             On pense à Tom Wolfe, genre Bucher des vanités, avec un zeste de nostalgie fitzgeraldienne. Attention on n'est pas dans l'élégance un peu décadente de Gatsby le magnifique. Et l'Amérique des losers attend Barry à chaque escale sur la route de Phoenix, Nouveau-Mexique, où il espère retrouver Layla son amour de jeunesse. Barry, qui se définit lui-même comme un républicain fiscal modéré, se retrouve au contact de camés, mais de bas étage plus que de haut vol genre Wall Street, de barmaids de cinoche, de SDF crasseux, de chicanos édentés. 

                             Alors le fameux lévrier sur les autocars transaméricains, un Greyhound rédempteur? Vous verrez bien. Mais le monde U.S. donc un peu le nôtre, résistera mal aux coups de boutoir drôles et péremptoires, antipathiques fréquemment, mais humains sans être forcément pleins d'humanité. Le long périple New  York, Virginie, Georgie, Mississippi, Texas, Nouveau-Mexique est très instructif sur le pays à l'aube de l'ère Trump, mais épuisant. J'ai des envies de Wyoming, de Montana.

                            Merci à la personne qui m'a offert ce livre dont je ne connaissais pas l'auteur. Bientôt peut-être partagerons- nous un banc public, dans un jardin public. Do you remember?

                             

                            

Publicité
3 avril 2020

Brûler les planches

Bal des ombres

                              J'ai lu presque tout Joseph O'Connor, nouvelles ou romans. Plusieurs ont été chroniqués ici. Et je n'ai pas été déçu cette fois encore. Comme dans Muse l'auteur irlandais mêle une relation de fiction à la vie de trois célébrités, Bram Stoker, immortel auteur de Dracula et deux gloires britanniques du théâtre de la fin du XIXème siècle, Henry Irving et Ellen Terry, souvent comparée à Sarah Bernhardt. O'Connor est expert en grand romanesque et s'y entend pour les retours sur le passé, mais aussi la forme épistolaire et le journal pour nous entraîner dans l'inimité de ce trio qui brûle les planches de ces scènes londoniennes puis du monde entier. Où rôdent Dorian Gray, ce qui reste acceptable, mais aussi Jack l'Etrangleur, ce qui l'est moins.

                              Si Henry Irving et Ellen Terry connaissent une renommée internationale, Bram Stoker, lui, restera dans l'ombre toute sa vie. Ce n'est que plus tard notamment grace au cinéma qu'il triomphera bien que, comme souvent, sa créature soit devenue plus célèbre que lui-même. Tous trois se rencontrent au Lyceum Theater dont Stoker deviendra le régisseur. Comme toujours, de sa plume chatoyante et souvent enjouée, O'Connor excelle à nous faire vivre dans l'air du temps. En l'occurrence cette Angleterre victorienne si propice aux intrigues en coulisses et aux triomphes scéniques.

                              La genèse très laborieuse de Dracula parsème le récit régulièrement au gré des hauts et des bas de Bram Stoker, souvent rudoyé, voire humilié par le cabotin shakespearien génial Henry Irving. L'amitié survit malgré tout et Ellen Terry de toute sa grace illumine volontiers le trio. On sourit souvent à la truculence du récit qui court sur les trois carrières des protagonistes. George Bernard Shaw, par exemple, en prend pour son grade, jalousie des théâtreux. Joseph O'Connor est aussi à l'aise que lorsqu'il explore la poésie dans Muse,  le monde du rock dans Maintenant ou jamais, l'immigration dans L'Etoile des Mers. Mais tous ses livres sont formidables même si mon irlandophilie frise le déraisonnable.

                            Irving, parlant de Stoker: C'est un petit gratte-papier irlandais, Ellen. Il ne sera jamais rien d'autre. Ces prétentions à produire de la soi-disant littérature, c'est la malédiction des gens de son pays, je n'en ai jamais rencontré un seul qui ne se prenne pour un fichu poète, comme tous les autres sauvages à la surface de cette terre.

                            Dialogue Irving-Stoker: Et quel est donc le thème de ta dernière efflorescence artistique? - C'est une histoire de vampire. - Que Dieu nous garde. - En quoi cela pose-t-il des difficultés. - Les vampires ont été usés jusqu'au sang, si je puis dire - Il ya là ce que j'espère être un rôle majeur pour un acteur. Accepterais-tu de le lire? - Tu imagines Sir Henry Irving jouant un croquemitaine dans un spectacle de grand-guignol? Je ne crois pas, mon chéri.

9 mars 2020

Orphelin de fils

51afJ7Jv4VL

                    If... est le titre original du célébre poème de Rudyard Kipling. Pierre Assouline, brillant biographe de Simenon et  Hergé entre autres, se penche sur le célèbre Prix Nobel, essentiellement pendant la Grande Guerre. Kipling le romancier bien sûr, Kipling l'anglissime conservateur, mais surtout Kipling le père de John, qui va disparaître dans les plaines d'Artois, 19 ans, comme tant de jeunes Britanniques sous les obus allemands. Rudyard Kipling ne s'en remettra jamais.

                   Louis Lambert, jeune professeur, a rencontré par hasard Kipling en cure thermale dans les Pyrénées. Grand admirateur, il est amené à donner quelques cours de français à John,17 ans. Il n'est pas facile d'être le fils de cette gloire plus que nationale qu'est l'auteur du Livre de la jungle. Kipling ne supporte pas toujours bien cette célébrité et regrette de n'être pas plus apprcéié pour ses poésie. C'est un auteur fêté, pas vraiment un "progressiste", plutôt antisémite, mais plus encore germanophobe pathologique, l'homme ne se posant pas de questions hors la gloire de l'empire britannique. Rappelons que nous sommes dans les années vingt.

                  Pierre Assouline nous intéresse surtout aux rapports de Kipling avec son fils John. Et plus encore à sa longue quête, à son deuil éternel du fils, et de ses reliques puisque John Kipling a rejoint la longue cohorte des fantômes de la Der des Der. Déjà Josephine, une des deux filles de Kipling, était morte à l'âge de six ans. L'écrivain adulé ne retrouvera jaamis tout à fait la lumière.

                  Tu seras un homme, mon fils, le poème, Louis Lambert finira par le traduire, c'était l'un de ses voeux les plus chers, ce qui n'enthousiasmait pas Kipling, très méfiant de tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à du journalisme, et chatouilleux sur le sens de ses écrits. Assouline, journaliste lui aussi, passionné par l'aventure Rudyard Kipling, n'idéalise pas l'auteur. Cet homme là n'était pas des plus ouverts, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais l'intérêt de ce livre est au moins autant dans ses lignes sur la guerre, dans lesquelles Pierre Assouline sait mettre des accents déchirants. Un très beau livre, multiple. Kipling arpentant les champs de batailles de France, cherchant d'éventuelles traces, c'est très fort.

                  A la vue des paysans qui commençaient à les combler, trou d'obus par trou d'obus, il ne trouvait plus les mots pour dire le sentiment d'impuissance qui sourdait de cette terre. Il y a comme ça des lieux où le passé dure plus longtemps qu'ailleurs.

                  Quinze ans après la disparition de son fils, elle lui était insupportable comme au premier jour. S'il avait pu se réfugier derrière un muret de pierres sèches il l'aurait fait. Il lui fallait partir sans tarder. La nuit allait tomber et un employé du cimetière, que Kipling rémunérait à cet effet, allait bientôt se présenter muni de  sa trompette pour jouer comme chaque soir à la même heure The Last Post, la sonnerie aux morts réglementaire en usage dans les armées du Commonwealth, à la mémoire et en l'honneur du lieutenant John Kipling, enseveli quelque part sous cette terre des plaines du nord dans un endroit "connu de Dieu seul".

                  Dans mon pays picard, je le rappelle parfois, foisonnent les cimetières militaires, de toutes les couleurs, bien que le mot de couleurs soit mal choisi pour évoquer la Grande Guerre.

3 mars 2020

A l'écart

L'écart 

                           Un petit pas de coté, du côté nord de de l'Ecosse, ce pays aux îles innombrables et aux oiseaux opiniâtres. Mais un livre, si bon soit-il, n'est pas forcément qu'un livre. Un livre c'est parfois l'autre, qui vous a offert ou même prêté cet ouvrage . Il (ou elle) vous l'a prêté parce que, probablement, c'était une façon d'être ensemble, encore un peu, encore une heure. La personne l'ayant lu a cru, à bon escient, et connaissant a minima quelques goûts communs, prolonger ce curieux sentiment de partage à travers une oeuvre aimée, souhaitant le même accueil chez l'autre. J'ai donc reçu L'écart d'Amy Liptrot avec beaucoup de plaisir et quelqu'un que j'apprécie aura apprécié que je l'apprécie. Merci.

                           C'est en fait un récit quasi autobiographique que nous livre la jeune auteure écossaise. Née en 1986 dans les Iles Orcades, au nord de l'Ecosse, Amy nous conte comment après des années à Londres, une dépendance alcoolique majeure, et beaucoup d'errances nocturnes, elle décide de retourner dans ses îles natales. Ou comment faire le lien entre la fêtarde junkie des nuits londoniennes et la solitaire aux grands vents de la Mer du Nord. Et si la jeune femme ne condamne pas ses folies d'antan (elle envisage parfois d'y recourir à nouveau, très clairement) elle trouve dans ces confins septentrionaux un équilibre moral et physique. 

                           C'est notamment l'observation des oiseaux marins, les bains de mer et l'astronomie qui vont restaurer la confiance en son propre destin. Sur ces îlots de falaises et de rochers, vierges d'arbres et où vivent plus de moutons que d'humains, à traquer le si discret râle des genêts, à admirer la constance des sternes arctiques lors de leurs migrations records, à compter les si bruyants pétrels et fulmars, elle va refaire surface et retrouver la paix de l'âme. Nul ne sait, surtout pas elle, ce que seront les années du retour au continent. Mais, mieux armée après ses conversations avec les phoques, ses nuits au téléscope à guetter les aurores boréales, ses plongées dans ces fonds préservés et aussi riches que les Maldives, nul doute qu'Amy, une autre Amy, la troisième peut-être? verra un nouveau jour se lever.

                           Je dois ce beau voyage insulaire à quelqu'un qui a des goûts littéraires très proches des miens, qui me ressemble aussi par bien des aspects. Je lui dois donc beaucoup.

22 février 2020

Je vous présente Emily

unnamed

                         Emily Maxwell est déjà apparue dans d'autres romans de Stewart O'Nan que je n'ai pas lus. De cet auteur j'ai lu par contre, et chroniqué, Des anges dans la neige et Derniers feux sur Sunset, très favorablement. Emily (Emily, alone en V.O) est l'héroïne de ce très beau roman. C'est une vieille dame, pas si fréquent en littérature. Veuve, elle vit à Pittsburgh, Pennsylvanie. Et tout le roman est une rencontre avec le quotidien de cette femme, disons middle-class, qui vit assez confortablement mais a l'habitude de faire attention. Elle soigne son chien Rufus qui lui coûte cher, plus très jeune lui non plus. Elle prend soin de sa voiture et avec sa belle-soeur, seule également, aime bien les  expos et la musique classique. 

                        Avec ses enfants éloignés c'est un peu difficile. Ses petits-enfants, elle ne les voit guère que our Thanksgiving ou Noël. Elle vit la vie de pas mal de vieilles dames seules. Elle fatigue un peu maintenant, Emily. Des souvenirs, des projets à sa mesure, une semaine par an de retrouvailles familiales, parfois décevantes. C'est donc une vie parmi d'autres que Stewart O'Nan, très fin observateur, nous invite à partager. Et je m'y suis senti bien, moi, dans la maison d'Emily, dans sa voiture malgré sa conduite mal assurée, à écouter ses coups de fil à ses enfants, à partager sa peine lors des mauvaises nouvelles de ses amies de son âge. 44 ans de profession de santé et des milliers de soins à domicile m'ont rendu sensible à la gériatrie. 

                        Bien sûr le temps passe et l'inquiétude grandit. O'Nan nous a si bien installés dans le récit, au plus près, des jours d'Emily. Ici un malaise, là une perte d'équilibre en son cher jardin. Peu de romans se penchent ainsi sur les aînés. De courts chapitres tels les jours et les heures d'Emily. La vie reste assez douce pour Emily, de bons voisins, un véto empathique avec Rufus, une femme de ménage de confiance. Mais le trouble demeure. Il n'est facile nulle part d'avancer, passé certaines bornes. 

                        Jamais grandiloquent, surtout pas ruisselant de pathos, terriblement humain, Emily est un livre d'une limpidité bouleversante. Bon sang, qu'est-ce que c'est formidable la littérature parfois.

Publicité
14 février 2020

Tout ce que nous n'avons pas fait, un jour tôt ou tard nous accable.

logo_babelio

51Sp8vgj+gL

                         C'est un livre français tout récent que j'ai découvert grace à Babelio, premier livre de Bruno Veyrès, médecin niçois, qui nous propose un roman qui m'a fait beaucoup penser à ceux de Philippe Labro dans les années 75, très empreints d'éléments personnels, L'étudiant étranger, Un été dans l'Ouest. Sauf que l'action se déroule une douzaine d'années plus tard, plus près de Jim Morrison que de James Dean. L'histoire de Clive, jeune homme modeste de l'Idaho, mort au Vietnam, nous est racontée par le prisme des souvenirs du narrateur qui passe l'été 1972 dans les Rocheuses, hébergé par sa mère dans la chambre de son fils disparu.

                         Bruno Veyrès explique avoir toujours été marqué par la guerre du Vietnam. Il dit surtout ne pas avoir écrit un livre de plus sur cette guerre. C'est un livre sans le moindre Vietnamien et assez peu de scènes du conflit. Rappelant aussi la magnifique première partie du film de Michael Cimino The deer hunter (Voyage au bout de l'enfer), assez fine description de la vie dans une bourgade de l'Ouest. Romanesque certes, avec idylle sur fond de drive-in, amitié sur Rolling Stones et banquette arrière suggestive. Ne pas attendre de Tout ce que nous n'avons pas fait tout ce que l'on voudrait foudroyant d'originalité ou fulgurant d'magination. Mais c'est un roman qui se lit avec plaisir, notamment pour quelqu'un né la même année que Clive (moi, par exemple).

                        Le titre, maintenant. Il est très beau. Tout ce que nous n'avons pas fait, ça nous concerne tous. Dans la vie l'important n'est pas toujours ce que nous avons réalisé, pas toujours. Il nous faut nous pencher sur les gestes que l'on n'a pas  su faire, les mots que l'on n'a pas su dire. Ainsi de Tom, notable local qui n'a pas vraiment aidé Clive, orphelin de père suite à un accident de travail dans la scierie de Tom. Ainsi de Susan, épouse de Tom, mère de Simon et Rose, qui a refusé la bienveillance à ce bouseux de Clive courtisant Rose. Ainsi de Clive lui-même qui comme beaucoup a oublié de dire à sa mère veuve tout son amour. Le roman exalte gentiment les bons sentiments, avec un côté intemporel rassurant. Bien sûr ce n'est pas tout à fait vrai et America will not be the same. Cinquante ans plus tard on voit les manifs pacifistes un peu différemment.  Comme toujours rien n'est si simple.

                       Ca finira mal et on le sait depuis les toutes premières pages. Et Bruno Veyrès se fait plus juste, je trouve, à l'heure des remords des uns et des regrets des autres. Car, inexorablement, pour tout ce que nous n'avons pas fait, il est bien tard maintenant. Ce sera tout ce que nous ne pouvons plus faire. Nos impuissances fatales, il nous faut vivre avec.

                        Merci à Babelio et aux partenaires d'édition. Ils me font confiance régulièrement depuis des années. Et réduisent un peu la liste de Tout ce que je n'ai pas lu

7 février 2020

Qu'as-tu fait de ton talent?

jour

                   Premier livre en France pour Phillip Lewis, Les jours de silence est une oeuvre majeure. Je crois avoir deviné que ma colistière Valentyne La jument verte de Val sera de mon avis. On verra. Nos lectures communes, régulières, nous ont conduits cette fois à une découverte importante dans la déjà prolifique et souvent talentueuse littérature américaine. Phillip Lewis vit en Caroline du Nord et y a situé son roman dans lequel on ne peut s'empêcher de trouver des relents autobiographiques.

                  Comme souvent il faut citer le titre orginal qui éclaire un peu la lanterne du lecteur car les traductions sont souvent des tractations. The Barrowfields, ce sont les contreforts des Appalaches, ces montagnes de l'Est américain, tout en mousses grises, éminences rocheuses et souches pétrifiées. Une bourgade, Old Buckram, où le narrateur Henry a vécu avec sa famille, dans une grande bâtisse maudite, famille dont le père, Henry lui aussi, a un jour disparu sans laisser de traces. Henry le père était un intellectuel autodidacte qui admrait Thomas Wolfe, Faulkner ou Fitzgerald, et se livrait lui-même à l'écriture se rêvant l'auteur d'un roman-somme, le grand roman de l'Amérique. Ils sont quelques millers depuis deux siècles à avoir espéré cela. De Twain à Roth, de Dos Passos à Styron, and so on...

               Le dernier en date pourrait être Phillip Lewis tant son exploration des rapports familiaux, un père et son fils essentiellement, mais aussi frère et soeur, est aigüe et précise. Ces relations se développent dans l'immense maison sur les hauteurs, quasiment hantée, un quintuple meurtre-suicide y aurait été jadis perpétré. Confiné dans son immense bibliothèque, le père, avocat peu argenté et beaucoup alcoolisé, aime sa femme qu'il va quitter, respecte ses enfants qu'il va abandonner. Henry le fils, en quelque sorte suivra ses traces. Mais ce roman est si riche et profond qu'il faut s'y investir sans en savoir plus. 

              La passion pour la littérature, la difficile existence d'une famille, la relative misanthropie du père, les racines et les dévoiements, autant de pistes sinueuses et labyrinthique quelquefois, qui donnent toute sa valeur à ce grand roman américain. 

              (Le fils, parlant du père) Jusqu'à ce moment une part de moi avait voulu croire en lui sans réserve. A présent la façade soigneusement entretenue se dissolvait sous mes yeux, et j'en étais profondément blessé, car je voyais sur son visage éteint la tristesse entendue de qui sait que ceux qui croyaient en lui n'y croient plus.

              (Idem) Je pensais à lui, là, sous l'herbe mourante, lui que le temps implacable avait réduit au silence avant qu'il ait pu donner voix au chaos qui bouillonnait et rugissait en lui.

23 janvier 2020

Sagesse en Pyrénées

ames simpls

                         Ce livre est une belle réussite d'intelligence et d'humanité. On me l'a conseillé, il m'avait totalement échappé alors que je suis d'assez près l'édition, sans pour cela acheter tellement de livres neufs. La place, je ne l'ai plus. Le budget, moins qu'avant. Je privilégie la Bibliothèque  qui hélas tourne à la ludothèque avec adolescents couchés, au sens propre, devant les écrans. J'ai donc acheté Des âmes simples de Pierre Adrian, auteur de moins de trente ans, par ailleurs chroniqueur sportif et cinéphile (La piste Pasolini).

                        Dans un village perdu, fin fond des Pyrénées, à portée d'Espagne, le narrateur, jeune, retrouve un vieux prêtre qui officie dans cette obscure vallée, en liturgie mais surtout en refuge pour toutes sortes de déclassés , jeunes ou vieux, croyants ou non, délinquants, marginaux de tout poil et tout sexe. Si ce sujet a déjà été traité le beau livre d'Adrian se distingue par plusieurs aspects. D'abord Pierre ne prend personne de haut ni du Très-Haut. On n'est pas dans l'âme torturée du Journal d'un curé de campagne de Bernanos. Des âmes simples pourtant n'exclut pas les doutes et les interrogations et une certaine violence n'en est pas absente, qui n'est pas uniquement un mal citadin. Du petit peuple qui échoue chez Pierre on comprend que malgré le bon pasteur, au sens profane, la partie ne sera pas forcément gagnée. Tant d'errances.

                        Mais Des âmes simples possède aussi aussi la ténacité d'un gave des Pyrénées. Pierre Adrian trouve des mots magnifiques pour peindre la montagne, la montagne et ses  créatures, hommes, animaux, arbres et minéraux. Sa prose est admirable et on éprouve une belle émotion devant ces paysages d'exception. Et puis des pages magnifiques sur la gare de transfert avec l'Espagne, une épave, un vaisseau échoué là, symbole du gâchis que savent si bien organiser les humains. Quelque part entre vallée d'Aspe et rocher de Marie-Blanque, et dans leur propre coeur.

                        

15 janvier 2020

Argentina Negra

Dark

                     Je ne connaissais que de nom l'écrivain cinéaste argentin. Un compagnon de blog de longue date m'a offert un roman qui lui tenait à coeur. Ca je l'ai compris très vite en feuilletant Dark. L'Amérique du Sud, dont il est très fervent, la nuit, l'écriture, la mémoire qui revient et qui étouffe un peu, un certain goût pour les bars et la musique qu'on y entend. La musique, vous voyez le genre, selon la latitude, blues, fado, reggae, flamenco, tango dans ce cas. De la tripe.

                    Buenos Aires, années 50. Un adolescent, 16 ans peut-être, s'essaie à un début de rupture familiale. Un inconnu, la cinquantaine, l'aborde, un peu obscur, un peu mystérieux. Il lui sert de cicerone en l'emmenant dans une capitale méconnue, lieux insolites, monde interlope. Lui offre des vêtements que sa famille réprouverait. L'achète-t-il?

                    Ce bref roman, 140 pages, est fascinant et intense. Roman d'initiation bien sûr, mais par petites touches. On saisit bien le trouble de Victor le jeune homme face à Andrés. Quelques rencontres, gymnases, plages, une prostituée notamment, est-ce le début de la perdition? Puis Andres se fait plus rare, faut-il s'en inquiéter? De plus, en ces années d'Amérique Latine, les pouvoirs politiques ne font pas dans la tendresse. Edgardo Cozarinsky qui quitta l'Argentine de 74 à 85, en sait quelque chose. Victor, un demi-siècle plus tard, devenu écrivain, se souvient. Lisant Dark on comprend que l'histoire ne se départira jamais d'une réelle ambiguité. Ca nous a plu, à mon ami blogueur et à moi.

                   Oui..., les garçons de ton âge n'aiment pas le tango, ils n'en comprennent pas les paroles et sa musique les laisse indifférents. Mais peu importe. Le tango t'attend. Un moment viendra dans la vie où en l'écoutant tu t'apercevras que le tango raconte tout ce que tu ressens. Tout ce que tu as vécu.

11 janvier 2020

Dans les montagnes du Tibet

panthère  

                             Sur que ni l'auteur ni le livre n'ont besoin de moi.  Il n'avait pas besoin non plus du Prix Renaudot, non qu'il ne le mérite pas. Mais objectivement voilà un auteur invité, presque omniprésent, fêté, suivi, adulé. Je ne l'avais jamais lu, ne goûtant guère ses interventions télé et le prenant aussi pour un cabotin, ce qu'il est d'ailleurs. On me l'a offert. Et Sylvain Tesson a écrit là un livre formidable. La panthère des neiges dont il est juste de considérer le photographe Vincent Munier presque comme coauteur est une vraie et belle création littéraire. Le mythique félin n'y fait pourtant que quelques rares apparitions mais l'attente du plaisir, et Tessson y fait souvent allusion, est l'essentiel. La quête, rien que la quête...ou presque.

                           Mais La panthère des neiges, cette Moby Dick version himalayenne, est surtout un hymne, pas un manifeste écolo, hymne à la nature, à la vie, à l'homme aussi. Je  n'irai pas jusqu'à dire à la foi en l'homme. Tesson reste à  mon avis sceptique, sauf sur son art. Mais encore une fois, ma surprise m'a surpris. Ce bougre de baroudeur a une fameuse plume tant pour décrire les orbes d'un rapace que le chant des loups en partance pour les crimes nocturnes. Des ânes sauvages, des charognards et les yacks, si chevelus et si emblêmatiques. Et, puisque le vie grouille en dépit du bon sens et des 35 degrès en négatif, quelques hommes aussi, et des enfants de dix ans menant les lourds herbivores. Le monde est fascinant et Tesson, parfois bavard et souvent fonceur, apprend le silence et la patience.

                          Elle, l'once impératrice de ces blanches altitudes, de ces rocailles glacées, chevalière à la longue absence, qui se confond, minérale, entre pierre et nuage, nous toise de sa morgue splendide, de son mépris souverain. Combien de temps encore? Un vrai grand livre que traversent quelques préceptes orientalistes qui ne sont pas mes passages favoris.

41pv3Ufk57L

                            J'ai aimé également l'adaptation en BD par Virgile Dureuil du beau récit de neige et de vodka, de longues marches et de bois coupé, de pêche et d'hommes rudes, Dans les forêts de Sibérie. Introspection, profonde peut-être sur les rives du lac Baïkal, profond sûrement. 

5 janvier 2020

Une autre comtesse

41-x+lWdtYL 

                  Jean-Marie Rouart est un écrivain classique. C'est pour moi une belle qualité. Souvent complice de Jean d'Ormesson et doté de pas mal d'esprit, chose pas si fréquente, il a fréquenté des comtesses. Moi, moi, les comtesses, bien que le pseudo ancestral y fasse référence, je n'en ai pas connu sauf Maria Vargas la Comtesse aux pieds nus, et ses obsèques sous la pluie de la côte napolitaine. La comtesse de l'académicien est une Russe, dite blanche, de la communauté exilée qui a fui la révolution bolchevique de 1917.

                 L'auteur s'est inspiré du scandale dit des ballets roses, belle expression pour une bien sordide affaire, à la toute fin de la Quatrième République, quand valsaient les cabinets ministériels. Dans une très belle langue française on retrouve politiciens retors, pas forcément si vénaux ni véreux, pas non plus des parangons de vertu, un photographe aux relations troubles, du goût pour les jeunes filles, à une époque où la majorité attend 21 ans. Des magistrats aussi, plus ou moins aux ordres. Mais c'est parfois facile au citoyen lambda de juger ceux qui jugent. Savez-vous que parfois le notaire est innocent et l'ouvrier agricole coupable? Mais cest mal vu, que le notable soit innocent et vice-versa.

                Il y a dans La vérité sur la comtesse Berdaiev de vraies passions amoureuses tout aussi nobles dans le haut du pavé. Après tout on peut se consumer d'amour sur son lit de soie en sirotant un millésime. Mais ces sentiments se heurtent aux luttes des pouvoirs qui se contrefichent de la gauche comme de la droite. Et voguent ainsi les destins, la Roche Tarpéienne et le Capitole copinant pour le meilleur et pour le pire. Rouart nous attache particulièrement à ces Russes défaits par la faucille et le marteau, pas tous chauffeurs de taxi sur la Côte d'Azur, mais qui surent souvent garder certaines saveurs et traditions de l'empire des tsars. 

                Un président de la Chambre des Députés se voit photographié tel que l'honnêteté et la décence m'interdisent de le préciser davantage. Les scandales sexuels n'ont pas attendu Harvey Weinstein ni Me too. L'occasion pour le très fin Jean-Marie Rouart de dresser de beaux portraits de dignitaires en difficulté, de demi-mondaines en appartements sponsorisés, bien que le terme demi-mondaine fasse plus référence à la Troisième qu'à la Quatrième (je parle de la République), et que le terme sponsors puise être avantageusement remplacé par, disons protecteurs. Heureux temps passé, celui des arrangements, des chapeaux qu'on porte et qu'on fait porter, de Jeanne Moreau offusquant dans le lit des Amants de Louis Malle. Comme un vague souvenir pour moi, j'avais huit ans et croyais que les ballets rowses concernaient les petits rats de l'Opéra.

              

28 décembre 2019

Sophie, telle

Trois fois

                    Je n'avais pas du tout aimé Quand le diable sortit de la salle de bain. D'ailleurs je m'en suis débarrassé très vite. Voir Les malheurs de Sophie .Je n'aurais jamais acheté Trois fois la fin du monde. Nous en serions restés là si une amie ne me l'avait laissé dans les mains, me disant que ça se lisait vite,. Alors pourquoi pas? Résultat: pas si mal, curieusement organisé en trois parties très dissymétriques, mais pas si mal. Enfin n'exagérons rien.

                   La première fin du monde, à mon avis, on peut la sauter, une cinquantaine de pages sur l'univers carcéral. J'en ai marre de la prison à la télé, au cinéma, dans les livres. Joseph Kamal y a atterri après un braquage qui a mal tourné. Divry s'y complait dans le sordide et la surenchère. C'est facile et somme toute assez moche. Tant pis pour Joseph. Mais il en est sauvé par une deuxième fin du monde, qui ne court que sur quelques pages et qui raconte la catastrophe, très sobrement.

                   La troisième apocalypse est de loin plus attachante. Suffira-t-elle à rallier vos  suffrages? Dans un style un peu irritant, abusant du verlan dont elle semble penser que c'est le summum de la créativité littéraire, s'amusant à passer du je au vous, caprice, l'auteure parvient cependant à nous intéresser, même à nous émouvoir, avec Joseph-Robinson, qui trouvera deux Vendredi, un mouton et un chat. C'est à l'histoire de sa survie qu'on assiste. Et ça n'est pas désagréable. On finit par souhaiter le meilleur à Joseph bien que Divry continue de délivrer un message pas mal démagogique déjà très présent dans le livre cité plus haut. A savoir, mais vous aviez compris, que l'homme parmi les hommes c'est l'enfer, et que l'homme seul c'est...l'enfer. Bien. Par contre en parlant des arbres et des fruits, de la nature et de la vie qui grouille malgré tout, elle se révèle un peu plus intéressante. Pour le reste elle nous l'assène un peu.

21 décembre 2019

Lenindegrade

ville 

                    David Benioff (24 heures avant la nuit, mais aussi l'un des nombreux scénaristes de Game of Thrones) signe là un roman de guerre avec épisodes de violence mais aussi de truculence dans le cadre du siège de Leningrad en 1941. Lev, ado juif de 17 ans et Kolya à peine plus âgé fuient les bombes allemandes comme ils peuvent. Le hasard les amène en quête, improbable en ces jours de disette, d'une douzaine d'oeufs pour le mariage de la fille d'un colonel.

                    Les aventures de nos deux amis mêlent presque joyeusement une sorte de cavale en pleine guerre glacée dans une Leningrad crevant de faim et des éléments burlesques sur cette même famine par exemple. Souvent drôle bien que rire du cannibalisme ne soit pas du meilleur goût. Chacun tente de survivre de son mieux et que ne ferait-on pas pour une douzaine d'oeufs quand on est classé voleur pour Lev, déserteur pour Kolya?

                   David Benioff s'est inspiré de la vie en Russie de ses grands-parents avant leur émigration aux Etats-Unis. De cette vadrouille dans Piter, surnom familier de Saint Petersbourg, on touche du doigt l'horreur d'un siège, cette pustule supplémentaire sur la gangrène guerrière, où il convient de se méfier de ses amis, les ennemis ayant au moins l'élégance d'être déjà en face. 

30 novembre 2019

Rester, restare, bleiben

je reste 

                                 Marco Balzano est un auteur italien de quarante ans et nous propose un beau roman classique sur un épisode très méconnu en France, l'annexion après la Grande Guerre d'une partie de l'Autriche par l'Italie. Le Haut-Adige est une région de montagne. C'est en fait le Tyrol du Sud. Trina est le personnage principal, une femme solide et en avance sur son temps, mère,,enseignante et résistante. Pas banal, cette région a subi les deux dictateurs. Le combat de Trina se cristallisera aussi sur la construction d'un immense barrage dans une Italie d'après-guerre qui rappelle mon cher Néoréalisme qui cependant oublia quelque peu l'extrême nord italien et alpin, plus à l'aise dans le Mezzogiorno ou les grands centres urbains.

                                 Sur ces pentes souvent enneigées impossible de ne pas citer les deux géants montagnards, Dino Buzzati et Mario Rigoni Stern. Mais là je ne vous surprends pas. Bien sûr Je reste ici est un roman tout récent qui prend en compte les préoccupations écologiques, comme Paolo Cognetti déjà évoqué ici. Mais la trame reste romanesque et la lecture en est très agréable. Un moment écartelés entre deux pays, deux langues, deux dictatures,  les villageois tenteront de faire le juste choix. Mais les "reconstructeurs" du miracle économique italien ne sont pas épargnés et paysans et ouvriers ne sont pas forcément des parangons de vertu.

                                La photo de couverture est réelle. C'est tout ce qui surnage de la noyade du village de Curon en 1950 pour faire place au barrage dans la région du Trentin-Haut-Adige.

 

11 novembre 2019

A la une

 s-l640

                       Ne le répétez pas mais j'ai passé avec mon amie Val (La jument verte) une nuit assez agitée, un peu compliquée mais très sympa. Un peu handicapé car en fait je n'ai jamais lu ni Alice au pays des merveilles ni De l'autre côté du miroir. Et Fredric Brown s'y entend pour mélanger les éléments fantastiques et policiers. L'action se déroule en une seule nuit. Doc Staeger dirige un journal très local, le Carmel City Clarion, plus ou moins du côté de Chicago. Doc, qui ne possède qu'un employé, assume tout dans sa feuille de chou, et cherche d'ailleurs à vendre. Il assume même l'absence totale d'informations un tout petit peu importantes dans Le Clairon. Depuis toujours. Mais ce soir...

                       Mais ce soir c'est différent, allez savoir pourquoi. Après le bouclage de l'édition Doc traverse la rue pour s'en jeter un chez Smiley. Ca lui arrive. Il aime le whisky, jouer aux échecs et parler de Lewis Carroll. C'est un peu comme une secte, ça, les fans de Lewis Carroll. A partir de là tout peut arriver. Tout arrive. Les quelques douze heures qui suivent vont être fertiles en péripéties hautement improbables mais plutôt drôles et malgré tout bien ancrées dans une Amérique fifties et rurale. Bon, c'est une histoire d'hommes, je vous préviens, avec verres, flingues, bagnoles.

                      Laisser sa raison au vestiaire et partir pour la nuit de Carmel City. La nuit du Jabberwock, mais vous connaissez tous le, ben si, le Jabberwock. Demandez à Alice. A moins que le Jabberwock...C'est toujours un peu fou-flou avec lui. Mais certaines balles sont bien réelles, les calibres sérieux, et quelques morts ne se reléveront pas. Fredric Brown est un auteur tricompartimental. Polar, science-fiction, humour. Et parfois c'est pêle-mêle. Très réussi en ce qui concerne La nuit du Jabberwock. J'ai apprécié la bourgade dans sa nuit ordinaire, une nuit des années cinquante, qu'on qualifierait maintenant d'un peu macho. Les femmes sont en effet totalement absentes. Même pas de blonde à la mèche fatale, ou d'entraîneuse de bar. Faut dire que des bars, il n'y en a qu'un, aux rares clients, qui laisse le temps de philosopher ou de faire échec et mat, encore faut-il qu'on soit au moins deux.

                    Tout cela, entre Alice et le roman noir, se lit avec délices. Pas tout compris à la résolution de l'énigme, mais approché très furtivement l'univers de Lewis Carroll, qui se limitait pour moi jusqu'à présent au génial I'm the walrus des Beatles. Mais qu'en pense Val, à qui j'ai rendu sa liberté au lever du jour? Mais à tout hasard, si quelqu'un sonne à la porte, méfiez-vous. Il n'est jamais complètement exclu que ce soit lui.

                        Nous trinquâmes, flacon contre bouteille, et il avala le tout selon sa stupéfiante méthode. J'étais en train de reboucher la bouteille de whisky quand Yehuda Smith mourut.

 

 

 

 

 

 

2 novembre 2019

Il y a bien d'autres îles

Masse critique  

gardiennes

                                Plutôt côté thriller ésotérique cette fois chez les amis de Babelio que je remercie ainsi que les Presses de la Cité. On est dans la confection, convenable mais sans intérêt vraiment littéraire à mon sens. Un moment pas désagréable, un livre lu avec une certaine curiosité, puis un désintérêt croissant et enfin quelque chose qui ressemblerait à l'ennui. On est dans ce que j'appelle les enfants ratés de Da Vinci Code. Seul point original, à la rigueur, l'idée d"une île hollandaise battue par les vents où seraient rassemblés tous les livres du monde de tout temps.

                                Tout cela dans un monastère où officient des moniales rendues muettes. Sur fond d'eugénisme et d'expérimentations dignes de L'île du Dr. Moreau (relisez plutôt H.G.Wells) l'héroïne, spécialiste des livres anciens, se trouve embarquée dans une invraisemblable aventure, lestée d'un mari embarrassant et de secrets sur son père écrivain qui n'ont pas intéressé le lecteur égaré que je suis devenu au fil des pages. Heldenskon, l'île fictive restera pour moi dans l'oubli, gouffre où ont déjà sombré bon nombre de mes lectures. Les gardiennes du silence, de Sophie Endelys, lui, rejoindra la petite cohorte des ouvrages catalogués "bancs publics" dont j'ai déjà parlé. Rassurez-vous, amis des livres, sans maltraitance automnale car soigneusement entourés d'une enveloppe protectrice.

19 octobre 2019

Sourire

Sourire   

               Sourire est le mot qui convient à la lecture de ce bien joli roman sur lequel je ne déborderai pas d'objectivité tant le sourire, non étrusque, mais si avenant de la personne qui me l'a offert m'est cher. L'auteur était espagnol, très populaire en son pays, mort très âgé en 2013. Le sourire étrusque a été publié en France en 1994. Et si ce livre compte tant pour moi c'est aussi parce que l'action se passe à Milan, qui était ma capitale 2019. Donc déjà grazie Signora per questo libro.

               Salvatore, veuf âgé et malade, quitte sa chère Calabre pour se soigner en enfer, à Milan, dotée de tous les péchés du monde. Il y retrouve son fils Renato, sa belle-fille Andrea, et surtout il y trouve Brunettino, bébé de son état et petit-fils de Salvatore. Brunettino était d'ailleurs le nom de partisan de Salvatore lors de la guerre. José Luis Sampedro a écrit le roman en 1985. Révélation aux yeux du grand-père, le petit va devenir l'objet de toute son attention, de toute son affection. Et l'aïeul n'aura qu'une idée, inculquer les valeurs  du Sud, de la terre, du labeur qu'ignorent évidemment son fils fonctionnaire, sa belle-fille enseignante et tous ces décadents lombards.

L'ultime Pieta de Michel-Ange

                   Variation sur le vieux rat des champs atterri parmi les rongeurs citadins, Le sourire étrusque, c'est un sarcophage vu dans un musée romain, qui a séduit Salvatore et donné son titre au roman. A peine revenu d'une semaine milanaise ce joli livre m'y a ramené tambour battant. Au soir de sa vie le vieux berger du Mezzogiorno va découvrir l'art d'être "il nonno" et rencontrer une veuve fort bien de sa personne. Il va aussi s'enthousiasmer, moi aussi, pour la Pieta Rondadini du Château Sforza, oeuvre torturée et inachevée de Michel-Ange. Et puis, on frôle le conte de fées, l'université va même honorer le conteur calabrais authentique qui restitue à sa manière les vieilles légendes sudistes. Ecrite par un Espagnol l'histoire de ce vieil Italien est un régal qui mettrait  en appétit même un Milanais rancunier.

brian-cox-jj-feild-thora-birch-characters-rory-macneil-ian-emily-film-le-sourire-etrusque-2018-realise-par-oded-binnun-mihal-brezis-12-avril-2018-vu-allstar89662-photo-libraryvallee-du-po-productions-avertissement-c

                        Comme souvent j'ai cherché une éventuelle adaptation ciné, a priori inconnue de mes services. Et bien elle existe, transposée, magie du cinéma qui en a fait une production suisse où un vieil Ecossais débarque chez son fils à ...San Francisco. Grands-pères de tous les pays...

                      

 

 

9 octobre 2019

La fureur d'écrire

fureur

                        Le nom de James Agee est bien méconnu en France. Seuls quelques cinéphiles savent qu'outre les scénarii d'African Queen et La nuit du chasseur il est l'auteur de Louons maintenant les grands hommes,  brûlot signé avec le photographe Walker Evans sur la situation des fermiers du Sud dans les années trente, et bien plus tard d'Une mort dans la famille, Prix Pulitzer 1958 à titre posthume.

                        Rodolphe Barry, déjà auteur de Devenir Carver, passionné des lettres américaines, nous plonge dans la vie agitée, douloureuse, presque sacrificielle (le terme ne lui aurait pas déplu) de James Agee (1909-1955). Né dans le Tennessee Agee, tiers-mondiste avant la lettre, très engagé en une gauche américaine loin de se satisfaire du New Deal de Roosevelt. Au point qu'on peut se lasser de sa perpétuelle attitude de révolté donneur de leçons. C'est un peu mon cas à la lumière de l'excellent ouvrage de Rodolphe Barry. C'est que James Agee coche toutes les cases. Hypersensible, alcoolique, tabagique au possible, débauché au sens moral de l'époque, antiestablishment maladivement. Ecrivain, journaliste, critique littéraire et cinématographique admirateur et admiré de Charlie Chaplin, il n'eut de cesse de pourfendre les injustices. 

                       Hollywood fit appel à lui. Il n'y fut guère heureux mais aucun écrivain de talent ne fut à l'aise comme scénariste à Hollywood tant leur imaginaire fut bridé par les majors. Rodolphe Barry n'occulte pas l'asociabilité d'Agee ni ses si tumultueuses relations avec ses femmes, dont trois épouses et de nombreuses et parfois très jeunes maîtresses. Le critique cinéma ne se fit pas non plus que des amis tant il avait la dent dure. Barry cite ainsi à propos d'un film de guerre:" Quand un groupe de dix acteurs maladroits tombent maladroitement et font semblant d'être morts un sourire maladroit aux lèvres, est-ce rendre justice à la réalité endurée par des soldats?"

agee

                       Agee fut l'un des rares à soutenir Chaplin jusqu'au bout et Barry raconte l'émouvante scène de James venu sur les quais de Manhattan saluer le départ du Queen Elisabeth qui emmène le maître du Septième Art en Europe, la plupart des Américains ne le reconnaissant plus. Les deux hommes ne se reverront jamais. Cette approche de la vie de l'un des grands Américains du siècle dernier, l'un des moins célébrés, est un passionnant roman vrai qui m'a donné envie de relire Une mort dans la famille. Même si je pense que le meilleur Agee se niche dans les textes courts, articles, critiques.

1 octobre 2019

Trio pendant la guerre du Kippour

9782070388554

                                   Publié en 1977 en Israel, peu après la guerre du Kippour, L'amant est une passionnante variation d'Avraham B. Yehoshua sur la si complexe situation du pays et sur la société israélienne. Ce roman, vieux de 40 ans, n'a à mon avis pas pris une ride. Adam, garagiste prospère, recherche Gabriel, fraîchement revenu en Israel, disparu pendant ce conflit, et accessoirement l'amant de sa femme Assiah. Autres personnages, leur fille Daffy et le jeune mécano arabe Naïm. Curieuse errance des différents protagonistes. Si l'on a peu de nouvelles de Gabriel on s'attache aux pas d'Adam qui sillonne la nuit dans s a dépanneuse le pays à sa recherche. C'est que depuis le départ de Gabriel les relations conjugales d'Adam et Assiah ont pris un sérieux coup de vieux. Elle, professeur, semble ne se vouer qu'à ses élèves, à en devenir quelque peu fantômatique.

                                  Le très jeune Palestinien Naïm est amené à être apprenti au garage, avec le statut particulier des ouvriers arabes. Et, confus et fasciné, tombe amoureux de la la toute aussi jeune Daffy. A eux deux, sauront-ils poser un regard neuf sur ce pays? Un autre personnage compte beaucoup, qui paraît presque fantasmé, irréel et en même temps deus ex machina, la grand-mère de Gabriel, mourante et ressuscitée. Dépeinte un peu monstrueuse en son agonie, ces lignes m'on mis mal à l'aise, elle se ré-humanise au cours de l'histoire. L'amant est un beau roman qui illustre bien l'incommensurable complexité israélienne. 42 ans après sa publication il ne semble guère plus simple d'y démêler espoir et crainte.

                                 Après Shiva, Le directeur des ressources humaines,  L'année des cinq saisons, Rétrospective (celui qui m'a le plus passionné), nul doute qu'Avraham B. Yehoshua, maintenant octogénaire, ne soit devenu un classique contemporain majeur de la littérature israélienne, l'une des plus vives au monde.

15 septembre 2019

Les bleus d'enfance du Danube

41rDFkcOa-L

                          Val https://lajumentverte.wordpress.com/ et moi n'avons pas hésité à nous lancer dans l'enfance et la jeunesse de Janos Szekely. Je pense qu'elle sera de mon avis pour considérer L'enfant du Danube comme un très grand roman, entre Dickens et Gorki, par exemple. Mais il nous faut dire un mot de l'auteur (1901-1958), hongrois d'origine, scénariste à Berlin, Vienne puis Hollywood. Paru en 1946 aux Etats-Unis sous le pseudo original de John Pen et le titre Temptation, le livre sort en Hongrie en 48 où il est très vite retiré des librairies. En 56, plus ou moins (?) chassé par le maccarrthysme, Janos Szekely revient s'installer à Berlin. Il y fait une demande de retour en Hongrie. Malade, il ne reverra pas son pays natal. Une vie.

                          C'est son enfance et son adolescence que raconte Szekely au long de 850 pages, passionnantes, rudes, pittoresques et bouleversantes. Ignoré, au sens propre, de son père de hasard, quasiment abandonné de sa mère aux mains d'une vieille prostituée, mais pas au grand coeur car les filles dites de joie peuvent aussi être des carnes (on pense bien sûr à l'univers londonien d'un Dickens, déjà cité). On suivra ainsi Bela une quinzaine d'années. le plus passionnant pour moi est la vie d'un grand hôtel de Budapest où il débute à 15 ans. Cette sorte d'hotel de luxe où tout peut arriver, souvent vu au cinéma, avec sa faune de demi-mondaines, je suis mesuré, d'escrocs, d'indics, d'homme d'affaires plus ou moins véreux, de girouettes politique. La foule des petites gens aussi, travailleurs inlassables, souvent noctrnes, et qui rentrent à pied dans leur lointaine banlieue, le tramway trop coûteux.

                          Roman d'apprentissage évidemment, de tous les apprentissages, y compris celui du sexe, une beauté fatale et alcoolisée, aux doigts troués, vaguement épouse de sénateur, fera l'affaire en ce qui concerne Bela. Les amitiés, les trahisons, les tentations, le mauvais alcool, et la conscience politique pas très claire encore, tout cela mène au rêve de la valise, Vienne, premier port, si j'ose dire, pour l'Amérique.

                          L'enfant du Danube est une fresque, pas un roman choral malgré la multiplicité des personnages. Szekely est bien sûr en grande partie Bela. de très beaux portraits, la mère de Bela, son père, à éclipses, la faim, elle aussi est presque un personnage. La lecture est très fluide et c'est un grand livre de la ténacité, une immersion dans cette Mitteleuropa dont j'aime tant l'histoire pour le moins chaotique. Ne craignez pas d'affronter ce pavé car il est d'une bien belle facture.

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>
BLOGART(LA COMTESSE)
Publicité
Archives
BLOGART(LA COMTESSE)
Newsletter
32 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 369 743
Publicité