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BLOGART(LA COMTESSE)

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5 novembre 2021

Comme un contrat...léonin

Lions

                J'ai toujours été un passionné de la littérature israélienne, très incisive et très critique envers...Israel. Ayelet Gundar-Goshen, scénariste et romancière, née en 82, nous présente une sorte de face à face, d'affrontement entre le Dr. Ethan Green,  neurochirurgien israélien réputé et Sirkitt, la femme d'un clandestin érythréen qu'il a tué accidentellement en voiture. Au delà des aspects proches du thriller Réveiller les lions est une remarquable étude sur la situation explosive et kafkaienne de la région. J'enfonce là des portes ouvertes. Sirkitt a découvert l'identité du conducteur qui a pris la fuite. Ce n'est pas une femme soumise et bien que maltraitée par son mari mort elle demeure à sa manière une militante. La condition d'une femme africaine se moque bien de l'écriture inclusive. Tout autres sont les combats à mener.

                Ethan et Sirkitt vont finir par s'apprécier, avec modération. Sirkitt a trouvé un moyen de coercition, pour ne pas dire de chantage, pour amener le chirurgien  à composer. L'immigration est un vaste sujet , particulièrement favaorable aux démagogies bilatérales qui se portent toutes les deux très bien. Avec dans ce cas une spécificité régionale, ce qui est compliqué partout est pire la-bas. Ajoutons sur le plan polar, qui compte aussi, le personnage de Liath, l'épouse d'Ethan, inspecteur (ou trice) de police, chargée de l'enquête. Ethan aura bien du mal à garder la tête hors de l'eau. Le brillant praticien de la belle société israélienne va être amené à cotoyer le monde perdu, souterrain, des clandestins venus d'Afrique Orientale. 

                Le contact entre Ethan et Sirkitt, que je vous laisse imaginer peut-être à tort, va prendre une tournure inattendue. La clandestine africaine est un beau personnage qui ne s'en laisse pas conter, un personnage rare, mais une aubaine romanesque au sens noble. Réveiller les lions est ainsi un joli titre, que l'on peut prendre au sens noble, et qui éclaire les inégalités planétaires sans donner de solution simpliste. Un grain de sable parfois...

               Il y a un Erythréen gisant sur le bas-côté. Des cuisses noires figées dans une position qui n'a rien de naturel. Tout comme les bras. Oui, évidemment, rien dans ce tableau n'était naturel. Pas seulement parce que c'était un Erythréen écrasé mais aussi parce qu'il n'aurait jamais dû se trouver là en même temps que lui. La vie d'Ethan n'incluait aucun Erythréen écrabouillé sous son pare-chocs, aucun Erythréen éperdu de reconnaissance, ni même aucun Erythréen tout court. Et imperceptiblement, l'affolement et la culpabilité de la veille laissent place à de la colère.

             L'incipit: L'homme, il le percute précisément au moment où il songe que c'est la plus belle lune qu'il a vue de  sa vie. 

 

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30 octobre 2021

Malin Malouin

Masse

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                      Balade malouine post-révolutionnaire et sympathique lecture que cette livraison Babelio Masse Critique, que je remercie. Et l'occasion de rendre hommage à Palémon, maison d'édition sise à Quimper dont les nombreux romans noirs et policiers nous emmènent aux quatre coins de Bretagne. Hugo Buan, lui-même malouin, nous plonge dans les derniers mois du Consulat, avec l'enquête du commissaire Darcourt, ex-officier de Bonaparte, de retour à Port-Malo (les saints ne sont pas encore réhabilités) aux prises avec l'encombrant cadavre d'un meunier dans une cité turbulente, malodorante et braillarde. 

                      L'intrigue n'est en soi guère palpitante car les rancunes à propos des exactions de la Terreur, dix ans plus tôt, sont forcément tenaces. On voit à peu près autour de quoi tourne l'affaire. Mais Les âmes noires de Saint Malo a d'autres qualités. Une pittoresque et très remuante reconstitution de l'agglomération malouine à l'aube de l'Empire. Hugo Buan abuse peut-être un peu de la géographie, que de noms de rues, de places, de tavernes, de lieux-dits. On sent un peu le terroir. Peu importe. le peuple des dockers, des corsaires en goguette, des entraîneuses, des artisans, tout cela fourmille et nous donne soif. Sur un plan historique, très intéressante, la mise en place par Bonaparte de nouvelles  structures administratives, les rivalités entre fonctionnaires, comme un bulletin de naissance d'une France contemporaine, celle des départements, des découpages préfectoraux, de la police de Fouché sure le point de revenir au pouvoir.

                    Pour vous donner une petite idée, j'ai déjà recruté depuis le 25 novembre 1799 plus de deux mille indicateurs sur toute la France: des corporations entières de balayeurs, de marchands de vin, de laquais, de cochers, de valets de pied, des gens tout à fait qualifiés pour écouter les propos de table et de voiture.

                     Enfin un humour très solide court tout au long de notre histoire avec des personnages à grande gueule et à gosier sec. La balade a des senteurs marines , mais moins que des puanteurs citadines. Alors, nantis d'un mouchoir, je vous propose de retrouver le  commissaire Darcourt à la Belle Jambe ou au Chat qui Pète. Vous le reconnaitrez à son adjoint. Il est... mulâtre. Et, malgré que nombre de Malouins courent les mers et voient du pays, la plupart ne hantent que les quais, les bordels et les hospices, et sont bien étonnés de voir un tel officier officier. 

13 octobre 2021

Kelley cet inconnu

Masse

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                             Masse Critique Babelio, merci encore, que de découvertes. Et de redécouvertes. Notamment William Melvin Kelley que je viens de lire pour la troisième fois, dont deux grace à vous. Seul recueil de nouvelles de l'auteur, Danseurs sur le rivage, publié au début des sixties, se compose de seize textes courts sur la vie de familles noires américaines moyennes. Ce sont des nouvelles reliées, les personnages se retrouvant dans chaque histoire. Chose importante, l'humour n'en est pas absent et nous ne sommes pas dans une littérature strictement militante. Cela n'empêche pas ces scènes d'en dire beaucoup sur la société américaine de l'époque. En voici quelques-unes. Comme dans tout recueil elles peuvent être assez inégales. 

                           Je l'ai expliqué dans mes deux chroniques précédentes sur Kelley (Jazz à l'âme, Un autre tambour), il y a quelque chose de musical dans ses textes, un rythme, une pulsation, un swing, un choeur gospel, que sais-je. Et pas mal d'émotion. Un de mes préférés est Pas tout à fait Lena Horne, gentille querelle de deux vieux amis déclinant, et dont l'unique divertissement est de compter les plaques minéralogiques des voitures sur leur pas de porte. Engueulades et attendrissements. 

                           Une autre semble avoir été inspirée par le classique shanty (chant de marin) Drunken sailor. Un marin ivre rêve d'un bordel et d'une fille couleur de miel et longues jambes de danseuse. Concrétisera-t-il? Connie est l'une des plus veilles histoires au monde. Enceinte, sait-elle seulement quelle décision prendre? Aucun misérabilisme, seulement une sorte de conseil de famille dans lequel chacun a ses bonnes raisons.

                           Pleurez pour moi clot le livre. Peut-être la nouvelle qui me touche le plus. Cela ne vous surprendra pas. Wallace Bedlow quitte son Sud pour rejoindre son frère à New York. Working hard. Mais Oncle Wallace, c'est raconté par son neveu Carlyle, est un géant sensible et un chanteur guitariste de folk, de blues, Kelley reste assez évasif. Le hasard en fera une vedette. Brièvement il réunira Blancs et Noirs en une farandole magique. Carnegie Hall, rien que ça. J'entendais Oncle Wallace chanter plus fort que jamais. Les gens se ruaient vers lui, pleurant et souriant comme des fidèles qui tombent en transe dans une église. On aurait dit qu'ils étaient tous sur la scène pour tâcher de l'approcher assez pour le toucher, lui serrer la main, l'étreindre, et même l'embrasser. Et puis la chanson s'est arrêtée. 

 

 

8 octobre 2021

L'Ecrivraquier/26/Nossie.Ode au laid.

                     

L'Ecrivraquier

                   Les comtes transylvaniens de ma jeunesse, croisés dans quelques salles obscures de mes natales bourgades, avaient toujours, et c'est bien le moins pour des princes du sang, possédé un maintien plus que patricien, une morgue balkanique, un élégant mépris aristocratique. Cette altière arrogance n'était pas sans beauté. Et Christopher Lee en Dracula distillait une fascination sans égal. Un monarque de l'hémoglobine, un ciseleur aux canines délicieusement excavatrices. J'ai toujours vénéré cet acteur par ailleurs francophile et phone d'une belle culture. Ne voulant m'attarder sur la laideur que du point de vue du Septième Art, je vous présente en avant-première une chronique qui devrait être publiée prochainement dans la revue Les laides heures, pérodique moche et et disgracieux, cauchemardesque pensum que je vous conseille d'éviter.

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                      Peur rime avec laideur, pas une rime riche, pas de riches heures. Horreur, hideur, pas haut les coeurs mais des haut le coeur. D'obscures et pas belles tractations ont empêché mon triste héros d'endosser la nom du célébrissime comte moldo-valaque. Moldo-valaque, ne trouvez-vous pas que ça sonne déjà très laid? Comment peut-on être moldo-valaque? Le Non-Mort, c'est l'appellation quasi officielle de Nosferatu, en vieux roumain. Quand il arrive à l'écran il est précédé du plan d'une hyène dans le piedmont balkanique. La hyène, symbole animal de la laideur et du dégoût, alors imaginez une hyène des Carpathes. Outre son rire sardonique, qui nous est épargné vu que le film est muet, on comprend que là où est la hyène pas de plaisir, et que cette aberration géographique et zoologique n'est qu'un préambule avec le choc tératologique de l'apparition de ce clone de Dracula, sans la haute stature du Comte, sans son habit de soirée rehaussé d'une cape de prestige. Le choc du Comte Orlok, une anthologie de la laideur sous toutes ses coutures, à commencer par une inversion des critères esthétiques de la vampirologie. 

                      L'expressionnisme transfigure la laideur. Pas la mocheté. Voir Munch, voir et entendre son Cri. Nosferatu, Non-Mort, à peine vivant. A mes yeux quintessence de la laideur en un art qui aime jouer avec les contrastes, du glamour hollywoodien aux affres, souvent mitteleuropéennes de la monstruosité.  C'est qu'au coeur meurtri de la laideur savent parfois se nicher le rejet et la xénophobie. Bref. Passons à l'examen du sujet, j'oserai dire l'autopsie.

                      Cet avatar du noble mais dégénérescent héros de Bram Stoker conjugue les imperfections. Dieu que ce mot est faible.Et quand je dis Dieu je pense à Héphaïstos plus qu'à Apollon. Héphaïstos, que sa mère Héra jugea si laid qu'elle le balança du haut de l'Olympe. Un précurseur, ce forgeron bancal et poussif, aux pieds tournés vers l'arrière. 

                      Personnage emblématique de cette Symphonie de l'horreur Orlok a tous les attraits d'un rat, la finesse d'une chauve-souris, la séduction d'une gargouille. Qu'il repose dans la cave, gentiment allongé dans son cercueil, semblant regarder de méphitiques voûtes, le visage d'un blanc cadavérique, la laideur raffole des pléonasmes. Une oreille démesurée, excroissance indécente, semblant guetter une proie. Les poignets sont croisés sur un étique abdomen, aux doigts polyarthritiques, qu'on dirait faits pour saisir mais incapables de lâcher prise. 

                       Objet d'un jeu d'ombres, le Non-Mort est hors champ, effrayante lanterne maléfique, s'incurvant vicieusement, juste assez pour que les phalanges de la main droite frôlent une porte prometteuse d'indicibles  frayeurs. L'homme, c'est beaucoup dire, l'homme est un royaume de l'ombre à lui seul. Appendice nasal tiré d'une innommable caricature antisémite. Des épaules quasimodesques mais qui n'abritent pas le coeur du doux sonneur de Notre-Dame. 

                        Mais la laideur s'extrapole et s'exporte. La voilà de sortie. Il quitte le château sur la pointe des pieds. Les yeux exorbités, sous un chapeau moyenageux ridicule, ongles interminables idéaux pour déterrer. La posture est effroyable de surenchère. Urbain, le Comte nous présente ses alliés, armée de rongeurs mais sans joueur de flûte, la peste au faciès insoutenable, la descente aux enfers, l'attaque de l'Ouest au sourire insupportable. Film centenaire aux lourdes implications freudiennes, aux hystéries subtiles, méfiez-vous. Il y a en Nosferatu quelque chose du syndrome de Stockholm. Si, lors de sa scène d'amour avec la belle Ellen, à l'étage d'un hôtel particulier londonien, poignardé par la hideuse lumière d'un nouveau jour, il nous apparaissait victime, séduisante victime. Max Schreck (Schreck veut dire terreur) qui incarna Nossie (j'ai fini par l'appeler Nossie tant j'en suis familier), fut lui aussi une victime. Une rumeur le prétendait réellement vampire. Après des décennies d'études je ne me hasarderai pas à dire le contraire. Mais là, j'ai froid. Pas vous?

         

1 octobre 2021

L'heure de l'Apeirogon

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                     Ce bon vieux blog respire encore un peu. Et quand on tombe sur un livre extraordinaire pas question de garder ça pour moi. J'étais déjà un lecteur fidèle et zélé de l'Irlandais Colum McCann, que ce soient ses nouvelles (La rivière de l'exil, Treize façons de voir) ou ses romans (Les saisons de la nuit, Transatlantic). En fait seuls deux romans traduits en français m'ont échappé. Ceux qui me lisent depuis longtemps savent ma folie irlandaise. Ce n'était donc pas une surprise de lire un bon livre de McCann.

            Le destin d'Israel et de la Palestine m'a toujours passionné. La littérature israélienne* est d'ailleurs absolument remarquable de clairvoyance à ce sujet. Je n'ai pas eu l'occasion de lire un auteur palestinien. Colum McCann vient d'un pays qui s'y connait en dissensions internes, quel bel euphémisme. On dirait que cela lui a donné une extraordinaire acuité pour nous infiltrer à ce point dans les méandres de l'immémorial conflit.

           Un apeirogon est une figure géométrique au nombre infini de côtés. C'est déjà vertigineux. Tout aussi vertigineuse est la dextérité de McCann quant au destin des deux peuples. Et des deux familles, celle de Rami, israélien, fils d'un rescapé de la Shoah, ancien soldat de la guerre du Kippour, et celle de Bassam, palestinien, qui a surtout connu geôle et spoliation. Tous deux vont se rencontrer, se connaître et devenir des militants de la paix, mais c'est plus que ça. Tous deux ont perdu une fille. Tout les sépare.

           L'auteur ne se contente pas de dire les sentiments et les actes des protagonistes, de leurs épouses respectives. Il ne se satisfait pas non plus de d'exprimer leur courage, leur noblesse et leurs faiblesses face à l'indicible in-fini de la situation. Long aller-retour sur la genèse du conflit, les enfances et les jeunesses perdues de Rami et Bassam, leur évolution, leur volonté. Découpé en 1000 chapitres, de 1 à 500, puis de 500 à 1, certains ne font qu'une ligne, Apeirogon passionne intégralement (chose rare en littérature) et nous rend un peu plus compétents sur le sujet. Et l'émotion est là, qui sourd à chaque expression, comme l'eau d'un puits du Neguev pourtant avare, comme un thé partagé, comme le rire de Smadar, 13 ans ou d'Abir, 10 ans, fracassées par l'Histoire, enfants sacrifiées.

            On trouve tout dans ce livre, la vie quotidienne à Jérusalem ou à Jericho, de somptueuses références aux mathématique, à la poésie, à la médecine, à l'ornithologie. Tout cela est irracontable et magnifique, comme la relation entre Rami et Bassam, jumeaux de douleur, membres du Cercle des Parents, ils sontaussi l'Esoir...Mais Apeirogon, si l'on est autorisé à en parler et à le conseiller, il faut le lire, impérativement. Je pratique peu les extraits mais en voici quelques-uns. Rami, Bassam, vous ne les oublierez pas. 

             Les morts se produisent à dix ans d'intervalle: Smadar en 1997, Abir en 2007. Lors d'une conférence à Stockholm, Bassam se leva pour dire qu'il avait l'impression que la balle en caoutchouc avait voyagé pendant toute une décennie.

              La plupart des 750 000 Palestinens ne transportaient rien de trop lourd, persuadés qu'ils étaient de regagner leurs pénates quelques jours lus tard: d'après la légende certains avaient laissé la soupe bouillir sur les fourneaux.

              Rami est allé en Allemagne avec moi il y a quelques années de ça, mais c'est une longue histoire, j'ai dû le convaincre d'y aller, il haïssait les Allemands. Il n'avait jamais cru pouvoir y aller. Mais il y est allé. Et il a vu un pays différent de celui qu'il imaginait.

              Pris  dans sa totalité,  un apeirogon approche de la forme d'un cercle, mais un petit fragment, une fois grossi, ressemble à une ligne droite. On peut finalement atteindre n'importe quel point à l'intérieur du tout. Tout est atteignable. Tout est possible, meme l'apparemment impossible. 

               Ma plus belle lecture depuis un nombre indéfinissable  de jours et de mois. Vertigineusement vôtre. Une envergure exceptionnelle. 

* Lu récemment, peut-être y reviendrai-je, l'excellent Réveiller les lions d'Ayelet Gundar-Goshen.  

 

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24 août 2021

Out of time

      So long Charlie. Que dire quand rien ne va? Ca ne se fait pas. Toi, l'élégance même. 

22 août 2021

L'Ecrivraquier/25/Edward Hopper

L'Ecrivraquier

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                         Edward Hopper m'a de tout temps fasciné. il me fait penser à Leonard Cohen. Tous deux sont de ces rares artistes qui bouleversent, émeuvent mais nous font aussi un mal de chien, avec une envie, heureusement furtive, de se foutre à l'eau. A consommer avec modération. Alors voilà, à l'heure où ce blog est devenu bien peu disert, ce que cela m'a inspiré. 

  🎸

11 août 2021

Au mitan du dernier millénaire

Masse

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                                      Timide retour sur la planète blog. Babelio et Gallimard ne m'oublient jamais. Je les en remercie. Dernière livraison, le pavé historique de Nadeije Laneyrie-Dagen. Histoire intéressante mais long, très long bouquin, que L'étoile brisée, entre Christophe Colomb et Léonard de Vinci, entre fin du Moyen Age et Renaissance. C'est cette période en effet qui constitue la toile de fond de l'histoire de deux frères juifs dans l'Espagne de la fin du XVe siècle. Encore enfants ils échappent aux massacres et vont connaître un destin très différent. L'un marin cartographe proche d'Amerigo Vespucci, l'autre médecin ami de Martin Luther. Mais ce ne sont que les deux protagonistes initiaux de cette saga de cinquante ans où nous allons rencontrer une foule d'autres personnages, tous à la croisée des chemins, au noeud de l'Histoire qu'a constitué le début du Cinquecento.

            Ils sont très nombreux, et ont 742 pages à remplir. Il n'en reste pas moins que L'étoile brisée est un bon livre qui brasse large tant culturellement que géographiquement. Florence, Londres, Alger, Séville, l'Allemagne, le Nouveau Monde, et la Renaissance, l'intolérance, l'esclavage, rien ne manque.  Comme rien ne manque j'aurais aimé qu'un thème soit privilégié. Mais peu importe, on se laisse emporter, chapitres relativement brefs, personnages bien construits, intrigues dans les cours royales. On fait même un petit tour au Camp du Drap d'Or, un sujet en soi. 

           Madame Laneyrie-Dagen est professeure d'histoire de l'art, spécialiste de la Renaissance. Son ouvrage est parfaitement documenté, notamment sur l'essor du commerce maritime, les luttes d'influence, les monarchies s'adaptant aux récentes découvertes, la science encore incertaine de la cartographie (le plus passionnant à mon goût). Cette fresque historique est une lecture tout à fait recommandable. Le temps parfois nous est compté et d'autres livres méritent peut-être davantage notre urgence. J'en ai lu quelques-uns dernièrement. En ferai-je un billet? Peut-être. Mais on a tous quelque chose en nous de lacéré, il me semble. 

15 juin 2021

Ca fait plus de quinze ans

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19 mai 2021

Hem Hem Hem

Masse

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                               Babelio et 21g, merci. 21g c'est le nom de cette maison d'édition, et c'est aussi le poids de l'âme d'après le Dr MacDougall, médecin américain du XIXe siècle. C'est un beau cadeau dans lequel passe effectivement beaucoup d'âme, et qui m'a enthousiasmé. Jeb Brown, que je ne connais pas, mais je connais très peu d'auteurs de BD, est à la fois le dessinateur et l'écrivain de Hemingway à Paris. Une splendeur pour qui s'intéresse au célèbre baroudeur écrivain qui en eut assez en juillet 1961. Son père, sa soeur, son frère et sa petite-fille Margaux ont également choisi la nuit. 

                             Hemingway à Paris raconte en fait différents épisodes de sa vie, les plus emblématiques, qui ont contribué à l'extraordinaire popularité du Nobel 54. Un personnage hollywoodien, bigger than life, qui a tout eu, tout vu, tout su, tout lu et tout bu. Moi qui ne suis pas un grand relecteur, aurai-je le temps de relire au moins quelques-unes de ses nouvelles? La chronologie est un peu bousculée mais nul doute, Ernie est bien là, bien en pages, bien en couleurs, bien en action. Un ouragan cet homme-là. Un ouragan comme il en souffle sur les Keys, ce chapelet d'îles extrêmes de Floride qui s'égrènent, Key West, Key Largo, de quoi rêver au marlin merveilleux comme Le vieil homme et la mer

                             On retrouve Papa (l'un de ses surnoms) à Paris à deux reprises en 21 et 24. Besogneux à la tache d'écrire, la célébrité attendra encore un peu. Le rhum, la boxe, les courses hippiques, les copains, les complices, Fitzgerald, Ezra Pöund, James Joyce. Blaise Cendrars, la Grande Guerre. Le trait de Jeb Brown cerne admirablement le géant des lettres en devenir, sur fond de Notre-Dame, de bateaux-mouche ou de Closerie des Lilas. Quelle joie de se replonger dans cette ambiance Paris années vingt, vous savez, ces années d'entre deux.

                            Vous n'échapperez pas non plus à l'Espagne en ces mêmes années vingt. Le chapitre Aficionados et muletas évoque la passion d'Hemingway pour la corrida qu'on n'est pas obligé de partager. Tout en nuances n'écrit-il pas Il faut voir la corrida comme une tragédie, elle symbolise le combat entre l'homme et la bête, rouge du sang du taureau ou rouge du sang du torero.

                            Hemingway, on le sait, était un excessif et Jeb Brown l'illustre parfaitement, nous donnant envie de revenir à Paris est une fête, Pour qui sonne le glas, Mort dans l'après-midi, Le soleil se lève aussi... Bizarrement Hollywood n'a guère su célébrer Hemingway. Alors faites vous votre propre cinéma de Papa, commencez par ce joli voyage de 94 pages, inauguré par les train des Keys et clos par la Tour Eiffel. Puis, comme je devrais le faire, relisez au moins quelques morceaux choisis du chantre de la Lost Generation. 

 

15 mai 2021

J'ai vu Poly

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                     Poly*, film à peine sorti l'an dernier, est maintenant disponible en DVD, Blu-Ray et VOD, éditions M6 vidéo, depuis le 14 avril. Cinétrafic/DVDtrafic m'a demandé mon avis sur ce film qui évoque naturelllement l'enfance pour plusieurs générations de téléspectateurs. Cécile Aubry a ainsi créé dans les annnées soixante toute une série de romans jeunesse sur les aventures du célèbre poney, ainsi que de nombreuses saisons d'un feuilleton TV. On ne parlait pas encore de séries. 

                     Nicolas Vanier, célèbre voyageur, musher, chantre de la nature, plutôt tendance neige et glace, déjà metteur en scène, dans un registre très voisin du retour de Belle et Sébastien, n'a pas cherché à moderniser cette histoire. Seule différence notable, c'et une petite fille, Cécile, qui est la complice de Poly. Concession un tantinet dans l'air du temps. Pas grave puisque nous avons droit aux magnifiques paysages gardois, rivières qui s'agitent, abords des Cévennes toutes proches. C'est joliment filmé, sans aspérités autres que les rochers et les ruines. Vanier signe là un film pour la jeunesse (on préfère maintenant dire les jeunes, nuance). Avec les limites de l'exercice en une époque où les images ont depuis longtemps débordé les salles obscures et les écrans télé pour envahir les chambres d'enfant.

                    Côté nuances les personnages, c'est pas trop ça. Le patron du cirque est un grand malfaisant qui maltraite Poly (Timsit s'est sûrement amusé, mais on n'y croit guère). Cluzet reprend un rôle très proche de L'école buissonnière, homme vieillissant bourru mais au fond, si tendre. Julie Gayet est une maman courage, infirmière dévouée et divorcée, pas si fréquent dans ces années là. 

                    Je ne suis pas sûr que les enfants actuels, même très jeunes, soient réceptifs à ces gentilles histoires sur fond de Twist à Saint Tropez. Pourquoi pas? A condition que les instances de la Gendarmerie Nationale n'exigent pas le retrait du film tant les deux pandores enquêtant sur la disparition de Poly sont au comble du ridicule, dignes du Gendarme de Saint Tropez (deux fois cité, Tropez) mais sans l'abattage de De Funès. 

                     A noter que Poly est proposé avec quelques bonus, classiques, scènes coupées, l'histoire de Poly, TV, livres. Pour les exégètes. A noter aussi qu'il devrait être à nouveau en salles lors de la réouverture. 

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10 mai 2021

In the name of rock/Joey

                         Dans ce cas précis Joey est un prénom féminin. Peu à rajouter, sinon que Nick Drake (1948-1974), ne fit que trois disques avant de sombrer dans les travers habituels et de mourir, n'atteignant même pas le club des 27. Il n'avait que 26 ans, et contrairement aux autres membres du club, n'avait eu que très peu de succès de son court vivant. 

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                         Rejeton tardif du British folk, sorte de Van Gogh troubadour, son influence n'a fait que grandir. Peu de prénoms féminins auront été aussi bien chantés que cette Joey. Je définirai Nick Drake comme un chanteur du XIX° siècle, égaré au XX°, sur les traces d'un Shelley, d'un Byron, la guitare en plus. Bon c'est pas tout ça, je vais m'y mettre. Ce sera moins bien. 🎸

9 mai 2021

Battant

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                             On redécouvre, enfin c'est mon cas, William Melvin Kelley (1937-2017). Le géant oublié des lettres américaines, écrit 10-18, grande maison du livre s'il en est, qui m'a fait connaitre bien des talents. Après Jazz à l'âme, chroniqué il y a peu, voici Un autre tambour, le premier roman de Kelley (1962). Les deux titres font référence à la musique, mais aussi à l'action, le tambour ayant une consonnance guerrière. Et ces deux beaux romans battent en effet au rythme des pulsations, comme un quartet de jazz, allant à l'essentiel. J'ai pensé au cinéma de John Cassavetes. 

                             Dans une ville du Sud, ce sud de Faulkner, de Caldwell, de Flannery O'Connor, sur lequel on a déjà tant lu, en juin 1957, Tucker, jeune fermier noir, empoisonne sa propre terre, abat son bétail et brûle sa maison. A sa suite toute la population noire quitte la ville. Les blancs de la véranda, réunis comme tous les jours, n'en croient pas meurs yeux. Faut-il se réjouir de cet exode? A travers quelques personnages, notamment la famille Willson, les aristocrates descendants dun général de la Confédération, Kelley nous plonge dans quelques dizaines d'années de cetet histoire du Sud, si douloureux, victime de tant d'incompréhension.

                              On y rencontre pourtant pas mal de bonnes volontés. Une amitié entre un noir et un blanc y est esquissée, battue en brèche par le climat en ces années cinquante. Kelley écrit comme dans une mouvance Richard Wright ou James Baldwin, écrivains "politiques" réfugiés en France un certain temps.Lui-même  a quitté l'Amérique assez longtemps, vécu à Paris et Rome, s'est établi un moment en Jamaïque. Cependant Un autre tambour n'est pas un livre pamphlet et s'apparente plutôt à une fable où Tucker Caliban, descendant d'esclave, devient celui par qui le scandale arrive. Le roman évite le manichéisme, souvent une plaie dans ce genre d'ouvrage. Tucker agit, silencieux, avec un air de Bartleby, le scribe d'Herman Melville, qui préférerait ne pas le faire, son travail. C'est assez impressionnant, Tucker décidant, un jour, de cesser le travail de la terre. Go North Young Man. 

                              Le livre doit son titre à une très belle citation de Thoreau. Si un homme ne marche pas au pas de ses camarades, c'est qu'il entend le son d'un autre tambour. Une phrase qui sonne comme une ébauche de liberté, une majesté.

 

5 mai 2021

Fraîcheur d'Islande

Lumière   

                Jon Kalman Stefansson m'avait enthousiasmé avec sa trilogie magique pour laquelle j'ai appris par coeur la phrase Entre cile et terre La tristesse des anges fond sur Le coeur de l'homme. Lumière d'été, puis vient la nuit est antérieur à ces merveilles, pubié en Islande en 2005. Dans un petit village des fjords occidentaux de l'île où la lumière n'est ni fréquente, ni durable, d'où l'admirable titre, huit chapitres ciselés comme un rocher de lave nordique nous installent dans une ambiance à la fois familière et fantasque. Oeuvre chorale s'il en est, une histoire de choeur qui nous immerge dans la vie de tous ces personnages en un village au coeur de ce pays pas comme les autres, seul au monde au grand large atlantique, Lumière d'été, puis vient la nuit nous fait vivre au plus près d'eux, un quotidien d'amitiés et de rivalités, de générosité et de mesquinerie, en un cercle quasi fermé, comme toute vie insulaire. 

                Petit conseil quand on aborde les rivages de la souvent très haute littérature islandaise, notamment pour ce type de portrait de groupe, avec nombre de protagonistes. Les prénoms islandais sont souventparfpois faciles, Elisabeth, Kristin, mais encore plus souvent on a un peu de mal à identifier prénoms masculins et féminins. Notez-les au début. Revenons à nos moutons islandais. Au long de ces huit textes, on ne peut parler de nouvelles, il y a interaction entre certains personnages. Et il émane de ce livre magique une fantaisie drolatique, une poésie surréaliste, des images comme des nuages suspendus dans l'incertain. Je vais donner quelques extraits, je le fais rarement mais c'est si beau. D'autant plus que Stefansson sait faire preuve d'humour.

               Le temps passe et nous traverse, voilà pourquoi nous vieillissons. Dans cent ans nous reposerons au creux de la terre, il ne restera plus que des ossements et peut-être une vis en titane que le dentiste aura mise dans une dent de notre mâchoire supérieure pour que le plombage reste en place. 

                Parlant de l'humanité, Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Nous sommes à la fois le juge, le peloton d'exécution et le prisonnier attaché au poteau. Pourtant nous vivons comme s'il n'y avait rien de plus naturel. En toute absurdité. Nous nous contentons simplement de réfléchir de temps en temps aux évènements irrationnels, aux informations extravagantes, à l'absurdité des circonstances, à la déraison de la vie. Kafka aurait-il pris un vol pour Reikjavik? 

                Et puis je citerai deux titres de chapitres, qui à eux seuls valent qu'on lise ce très bon bouquin. Je suis de ceux qui se pâmeraient pour moins que ça. Les larmes ont la forme d'une barque à rames et On pense à tellement de choses dans une forêt, surtout lorsqu'un fleuve majestueux la traverse. Faire avec JKS le voyage c'est s'imprégner d'une ambiance originale qui permet de ce sortir de de cet été et de ces nuits avec l'impression d'avoir traversé un poème généreux flirtant avec un fantstique léger, un conte où les nombreux personnages ne s'en laissent pas conter et vivent au mieux amours, amitiés, rêves et déceptions. Aidés de musique et d'alcool, personne n'est parfait. 

               Petit vade mecum suite au petit conseil susdit: Kjartan, Kiddi, Aki, Brandur, Gaui, masculins, Sigriour, Asdis, Solrun, Eyglo, Puriour, Gerour, féminins. Mais peut-être suis-je à la limite de la discrimination avec ces références outrageusement genrées. Lisez Jon Kalman Stefansson, magique comme une aurore boréale.

             

26 avril 2021

Milano, il viaggio

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                                La Milan d'Alessandro Robecchi n'est pas la ville de la mode, même pas celle du foot. Et le si blanc Duomo, splendeur gothique, mon dernier voyage à ce jour, n'y est jamais cité. Ceci n'est pas une chanson d'amour, certes non, car les cadavres s'y ramassent à la pelle, les baffes et les pruneaux aussi. Mais la ballade milanaise, sorte de Bas-fonds Tour, parkings, banlieues, campements, squats, ne manque pas de charme. Le fonctionnement de cette enquête repose sur trois duos, pas tous des parangons de vertu, qui recherchent les mêmes méchants, très. 

                                Deux tueurs, qui font bien leur métier, pudiquement nommés le blond et l'associé, qu'on croirait sortis d'un film de Lautner. Deux gitans, j'allais dire qui font bien leur métier mais c'est un peu délicat. Et Carlo, producteur télé d'émissions de haute noblesse, ça s'appelle Crazy Love, vous voyez le genre, et son assistante Nadia. Ces trois tandems enquêtent en Lombardie sur plusieurs meurtres un peu compliqués. Bon, je vous la fais courte. Comme dans beaucoup de polars je n'ai pas tout compris des interactions entre les victimes et les assassins, parfois interchangeables. Des amis de Goebbels, un groupe rock nommé Zyklon B., etc...On s'en fiche comme de notre première escalope milanaise. Mais quelle chouette ambiance, presque parodique et surtout, surtout, souvent très drôle.

                                Dans un style assez cinématographique et rythmé, les dialogues pourraient être signé Michele Audiardo, et donnent tout leur sel à ce périple dans les arcanes, les entrailles plutôt de la capitale économique de l'Italie. Amateurs de Rome ou Naples, ce n'est pas pour vous et question couleur locale c'est nero su tutti i piani. A propos de Ceci n'est pas une chanson d'amour le Corriere della Sera cite Giorgio Scerbanenco, polariste italien que je révère, auteur entre autres de Les Milanais tuent le samedi ou A tous les rateliers. Pas faux même si Alessandro Robecchi  lorgne presque sur le pastiche. Bon, je vous laisse à quelques aphorismes. Presque poétiques parfois. Surtout si l'on trouve que Lüger et parabellum riment bien avec Glock 17 et Smith & Wesson. Rendez-vous à la trattoria, entre la friche industrielle et le squat 38. 

                                On dit qu'ici, entre Milano Centrale, le viale Brianza et la via Soperga, une fois, en 1924 après l'assassinat de Matteotti, un homme a trouvé une place pour se garer. 

                                Carlo écoute et mange lentement. Il ne se rapelle pas précisément quel jour Dieu créa les gambas, avant l'homme mais après les étoiles, il croit, il pense, oui, bref, il devait péter la forme.

                                Ils sortent de l'autoroute et tournent à gauche, vers l'aéroport Malpensa. Le grand aéroport de Milan qui se trouve à Varèse, celui qui aurait dû devenir le hub italien, puis une usine à salaires pour cadres, puis le dernier bastion de sécessionnistes maîtres chez eux, qui est à présent le terrain de pétanque le plus long du monde.

                                J'allais oublier Bob Dylan, victime collatérale, enfin le poster de Bob Dylan, dont Carlo est un admirateur et qui a pris une fameuse bastos à sa place dans son appartement. Bob passera tout le bouquin avec un joli trou entre les deux yeux. Ses chansons ponctuent ainsi Ceci n'est pas une chanson d'amour. Parfaitement incongrues dans le contexte, c'est évidemment délicieux. 

 

23 avril 2021

Que tout change pour que rien ne change

Borgo   

                       Scènes de la vie quotidienne de Mimmo et Cristofaro, Palerme, Sicile, une Palerme contemporaine, pas celle de Don Corleone. Borgo Vecchio, le vieux bourg, quartier pauvre, c'est peu dire. Les deux enfants y traînent beaucoup, l'un battu par son père, l'autre se consumant pour Celeste, fille de Carmela. Celeste est souvent sur son balcon tandis que sa mère reçoit des hommes, c'est son métier qu'elle exerce consciencieusement sous le regard de la Vierge au manteau. Mais il y a un héros, Toto, un peu Robin des Bois d'une métropole sicilienne archaïque. Borgo Vecchio pourrait friser voire respirer le misérabilisme. C'est sans compter la verve et le punch de l'écriture de Giosuè Calaciura.

                     Car Borgo Vecchio est un roman délicieux, bref, c'est souvent une qualité, mais qui explore l'humanité palermitaine avec la tendresse d'un film néoréaliste (à cette référence ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je fonds), l'humour en plus, un peu désespéré, l'humour. Souvent brutal, le propos de l'auteur ne s'embarrasse pas d'un exotisme rédempteur, ni de facilités descriptives. Mais qu'est-ce qu'on les aime ces figures d'un Mezzogiorno toujours englué dans une misère endémique et une délinquance précoce inextinguible. Carmela, la sainte putain, la petite Celeste, rêveuse et décidée. Mimmo, relativement privilégié et Cristofaro, dans cette chronique d'un martyre annoncé, et Nana, cheval de son état, à la fois déifié pour ses performances en course et maltraité comme une bête de somme. 

                       De belles et longues phrases, d'une grande poésie, traversent, fulgurantes, ce Borgo Vecchio, sorte de chorégraphie de rêves et de violence, parfois drôles, avec par exemple le curé, receleur au tabernacle, souvent émouvantes, je pense à l'ode au pain et aux scènes de marché. A ce beau ballet ne manque même pas la trajectoire fantastique d'une balle dans la cité sur les traces de Toto. Du grand baroque, de l'opéra, grandiose et pouilleux. Un déluge d'images, envoûtant, ce déluge étant à prendre au sens propre durant tout le troisième chapitre, impressionnante symphonie pour navires en folie et flux punitif sur le peuple des ruelles. 

                       Aux premières lumières du jour, on découvrit que la mer avait brisé toutes les digues et avait pénétré dans la ville par la porte du Quartier. Il régnait un calme de déluge universel. Ceux qui dormaient encore furent réveillés par les sirènes des bateaux qui ne trouvaient plus le port et s'enfonçaient versl'intérieur car ils voyaient encore de la mer à l'horizon alors que les instruments indiquaient la fin de la navigation.

                       La Sicile a ses grands, très grands romanciers. Le Lampedusa du Guépard, le Sciascia des pamphlets politiques,le Pirandello des Nouvelles Sicilennes, et aussi Brancati (Le bel Antonio), Vittorini, Camilleri et son commissaire Montalbano. De toute évidence Giosuè Calaciura, né en 1960 à Palerme, ne dépare pas. 

 

 

 

 

18 avril 2021

Hélas pour Arras

Masse

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                     C'est un roman sur la Révolution Française, genre qui fait flores depuis quelque temps. Et sûrement pas le plus intéressant. Il me semble d'après ce que j'ai lu chez Babelio que je ne suis pas le seul à n'avoir guère apprécié. Babelio, mon ami, tu n'y es pour rien s'il n'y a pas la moindre étoile au frontispice de 30, rue de Saintonge. Mais, si l'auteure pense qu'il suffit de bien se documenter sur la langue française en ces années révolutionnaires, je pense qu'elle se trompe. Sûr que Françoise Dag'Naud maîtrise bien le parler populaire, très rude et cru, de tous les voyous à cocarde qu'elle nous présente. Ca ne m'a pas amusé le moins du monde. 

                    Plus grave, l'intrigue, une aventure d'Axel de Sainte-Croix, fringant lieutenant a échappé de peu au couperet quotidien, juillet 94, enfin thermidor, la Grande Terreur, Robespierre ignore encore qu'il suivra Danton de quelques semaines. A Arras il se retrouev chargé d'une curieuse mission, retrouver son capitaine accusé de trahison. On espère encore un livre d'aventures virevoltant, certes sans élégance, mais avec fougue. Hélas, hélas pour la si belle ville d'Arras, c'est plutôt un ramassis d'invraisemblances qui nous envahit. Les clichés sont clichissimes. Les fourbes fourbissimes, le peuple vulgarissime, les gargotes infâmissimes. Une fille de salle s'avère une belle agente secrète, est-ce comme ça qu'on dit? Le parler de la Révolution, pittoresque sur deux pages, s'avère une très grosse ficelle qui m'a bien vite irrité la couenne.

                    Y paraît qu'pour deux sous la bagasse s'amatinait avec tout l'monde et s'arrangeait de tous les paroissiens du pays. On dit qu'elle les zaurait harpillés. Pis, elle aurait emmiasmé d'jeunes recrues de l'armée du Nord...

                    J'oubliais, la préface est signée d'Alain Dag'Naud. Elle est enthousiaste. 

                     

14 avril 2021

Transat au XVIIème

Masse

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                       Babelio (merci encore) m'a cette fois proposé un roman d'aventures mâtiné de polar qui nous entraîne sur l'Atlantique en 1665. Les passagères du Paragon nous offre une enquête en huis clos où l'ancien juge Howard et le comédien Garin tentent de percer le mystère d'un marin vidé de son sang dans la cale du navire. Le Paragon est un trois-mâts qui effectue des voyages réguliers entre Plymouth, à l'ouest de l'Angleterre, et la Virginie. Embarqués officieusement les deux hommes vont connaître une traversée agitée. Les matelots du voilier n'ont rien d'angélique,  les passagers rien de loups de mer. Cependant Howard résout l'énigme un peu vite à mon gré. Peu importe, cela ne nous mène qu'à la moitié de cette histoire. Débarquant à Jamestown, Virginie, les deux hommes, étrange attelage entre le magistrat et le bateleur, vont s'apercevoir que le monde colonial qui s'éveille a tout de la piraterie, comme l'univers marin qu'ils viennent d'affronter.

                       Trafiquants d'armes, massacreurs d'indiens, esclavagistes, rien ne manque...sauf le suspense. Si le côté voyage fonctionne pas mal l'enquête n'est vraiment pas menée de main de maître. Je ne suis pas sûr qu'elle intéresse vraiment Guillaume Dalaudier, et du coup, on traverse la deuxième partie dans une propriété familiale dont le maître s'avère un tyran local acoquiné avec une brochettes de marins malhonnêtes et de négociants véreux, tout cela n'est pas vraiment passionnant. Sans être catastrophique l'histoire, cousue de fil blanc, est de celles qu'on oublie vite. 

                        Le plus réussi est peut-être le duo d'enquêteurs lui-même, improbable tandem de l'ex-juge et du baladin, tous deux seuls pour des raisons différentes. Howard, le magistrat, homme mûr à la recherche de son épouse, et Garin, comédien tinérant auquel la peste a ravi femme et enfant, s'ils ne sont pas du même monde, forment une bonne équipe, qui pourrait être récurrente en cas de succès de librairie. Pour l'enquête ce n'est pas Conan Doyle, pour l'aventure ce n'est pas Dumas. Mais pourquoi pas?

10 avril 2021

Aube eurasienne

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                         Nos lectures communes, à Val La jument verte de Val et moi, nous font voyager. Ce fut au tour du Vietnam avec le beau livre de Duong Thu Huong Terre des oublis. Je ne crois pas avoir jamais lu d'auteur vietnamien. Duong Thu Huong (c'est une femme née en 1947) est une ancienne des jeunesses communistes pendant la guerre. Très critique à l'égard du parti elle a fini par en être exclue en 90, assignée à résidence. Elle vit maintenant en France.

                         Un trio: Mien, son second mari Hoan, et son premier mari, Bôn, porté disparu lors de la guerre du Vietnam, resurgi quatorze ans après. Mien, heureuse auprès de Hoan, riche commerçant et bon époux, père de leur jeune enfant, accepte la mort dans l'âme de retourner vivre auprès de Bôn. Hoan ne lui en veut pas vraiment et lui conserve tout son amour et continue de lui assurer une belle aisance matérielle. Tout le roman alterne entre ces trois personnages secoués par la vie, avec quelques personnages secondaires bien sentis, amis de l'un ou de l'autre, tous formidablement campés par l'auteure.  700 pages format poche passent ainsi très allégrément, ce qui m'a surpris. Narration éblouissante, dit la quatrième de couv., à juste titre.

                         Bôn, le vétéran communiste, rentré meurtri n'est pas loin d'être une épave. Mais reste un homme qu'on ne se résigne pas à condamner. Après tout n'est-il pas l'époux légitime de Mien? Presque misérable, usé, détruit, comme humilié, Duong Thu Huong lui conserve une certaine tendresse qu'elle nous fait très bien partager. Aussi bien Bôn que Mien ou Hoan s'expriment directement, c'est en italiques dans le texte et je trouve cela très bien. Ainsi de Bôn: J'ai raté le coche.Ce train ne reviendra plus jamais. Il n'y a plus que de l'herbe et des feuilles mortes dans la cour de la gare, il n'y a plus de voyageur attendant le train, il n'y a même plus de trace de ce train d'autrefois...Je me suis trompé. Le train de la vie n'offre qu'un seul voyage, il ne revient jamais dans une gare qu'il a quittée... Particulièrement bien décrite, la quête de Bôn égaré dans la jungle après la guerre, est saisissante, impressionnante. Le fantôme de son sergent...

                       Hoan, riche terrien, élégant et cultivé, voue un culte à son épouse Mien. Une certaine grandeur d'âme, ce qui n'est pas si fréquent en littérature en ce qui concerne les nantis (relativement). Ne pas se fier au côté apparemment lisse du personnage. Ses relations avec les prostituées humanisent considérablement Hoan et finiront par grandir son sentiment pour le statut des femmes. Car le Vietnam entier, lui non plus, n'est pas tendre avec elles. Duong Thu Huong nous fait partager le quotidien tout de labeur et de modestie de ces dames, tant aux champs qu'au foyer, souvent rudimentaire, la plupart du temps nourri d'un modeste mais omniprésent bol de riz gluant. 

                     Mien, épouse, mère de famille, jolie femme de bonne foi, sincèrement éprise de Hoan, et sincèrement triste de la déchéance de Bôn, fait preuve de pas mal d'autonomie, partagée entre deux devoirs, mais éveillée et comme préparant la société vietnamienne, archaïque et si patriarcale, à certains changements. Le livre est passionnant de bout en bout. Les descriptions de la jungle, des cultures, de l'heure du thé, des arbres, sont fabuleuses. Loin d'un exotisme bon marché, et réussissant aussi à éviter le pamphlet post-colonial, ce n'est pas le propos, Terre des oublis ne les risque pas, les oublis. 

                     La femme est un monde mystérieux, incompréhensible. Elle se désintéresse de la logique ordinaire et n'écoute que la voix de son coeur. C'est pourquoi l'homme n'arrivera jamais à sa hauteur... La femme est plus clairvoyante que l'homme sans doute justement grâce à ce fond obscur de son âme où l'intelligence s'arrête, où l'intuition érige ses antennes invisibles mais efficaces.

 

26 mars 2021

Que diable allez-vous faire?

Diable

                      Le diable m'a titillé de retourner au Sud profond des bluesmen originels, me pencher une fois encore sur la légende Robert Johnson. Et d'y perdre un peu de temps étant donné que le blues ça s'écoute plus que ça ne se lit. Bien fait pour moi. Damn I did'nt need being on the road again. Les auteurs de cette biographie ont compulsé une fameuse documentation. Ces historiens de la musique américaine ont exploité des registres municipaux peu fiables, écouté depuis 40 ans des vétérans de la scène blues du Mississippi de ces années trente, vérifié de multiples sources, ce qui nous vaut de très nombreux fac-similés sans intérêt, et pas mal de photos dont la qualité d'impression est certes médiocre. 

                     Après cette petite méchanceté sur ce livre je veux dire que, bien qu'alourdi de tous ces documents, et débordant de noms de musiciens, villes, lieux-dits, salles de concert, terme bien pompeux pour désigner les jukes, mal famés au whisky frelaté et aux bagarres quotidiennes, Et le diable a surgi. La vraie vie de Robert Johnson reste un compte rendu intéressant de la vie dans le Sud de ces innombrables guitaristes, harmonicistes (les deux instruments roi du South Blues) traîne-misère, jouant dans la poussière des rues pour quelques nickels, chantant les complaintes la plupart du temps hypersexistes, à grands coups de doubles sens, tant la solitude leur était prégnante. Pour l'élégance du vocabulaire le delta de l'Old Man River n'est pas l'idéal. Une femme y est souvent nommée "my rider", et Robert Johnson n'avait rien d'un romantique se consumant pour une belle. I'm gonna beat my woman until I get satisfied, extrait de Me and the devil blues. On sait que tout cela finira bien mal pour Robert. 

                     Du coup c'est le trop-plein d'informations. Bref le livre tient parfois du manuel scolaire indigeste. Mais il a la bonne idée d'insister, en dehors des femmes, du whisky (le moonshine, il y a plein de mots d'argot pour ça aussi), des accordages un peu vicieux sur le manche de l'instrument (sachez que personnellement je ne m'y frotte pas), des querelles et des tabassages ordinaires, sur la grande influence afro-caribéenne, le vaudou, hoodoo, ce culte si bien entretenu par la population noire du Sud. Bourré de magie noire et de symboles sexuels, le blues encore très rural de ce Sud américain n'est pas à mettre entre toutes les oreilles. 

                    Mais tout ça, on l'a compris en une soixantaine de pages. Surtout si l'on a lu le superbe album Love in vain de Mezzo et J.M.Dupont qui en dit autant avec bien plus de plaisir B.D.Blues que je vous invite à (re)découvrir. Enfin et surtout il faut écouter les rares enregistrements du maître qui rencontra le diable à un carrefour par une nuit noire ou étoilée, ça dépend des versions, pour échanger le pacte faustien bien connu. Autre chose bien connue, ici bas quand la légende est belle, on imprime la légende. Voici Terraplane Blues, très riche en métaphores mécaniques à base d'huile et de pistons. "Mother if you read, forgive your son. He met the devil".  

                   Bruce Conforth, fondateur du Rock'n'Roll Hall of Fame, spécialiste de ce qu'il est convenu d'appeler la culture populaire américaine, et Gayle Dean Wardlow, historien du blues et collectionneur, sont les auteurs de Et le diable a surgi. Leur travail a été considérable. Je n'ai pas été tellement tendre avec leur ouvrage. Mais, surely, they've got the blues. 🎸

 

 

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