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8 octobre 2021

L'Ecrivraquier/26/Nossie.Ode au laid.

                     

L'Ecrivraquier

                   Les comtes transylvaniens de ma jeunesse, croisés dans quelques salles obscures de mes natales bourgades, avaient toujours, et c'est bien le moins pour des princes du sang, possédé un maintien plus que patricien, une morgue balkanique, un élégant mépris aristocratique. Cette altière arrogance n'était pas sans beauté. Et Christopher Lee en Dracula distillait une fascination sans égal. Un monarque de l'hémoglobine, un ciseleur aux canines délicieusement excavatrices. J'ai toujours vénéré cet acteur par ailleurs francophile et phone d'une belle culture. Ne voulant m'attarder sur la laideur que du point de vue du Septième Art, je vous présente en avant-première une chronique qui devrait être publiée prochainement dans la revue Les laides heures, pérodique moche et et disgracieux, cauchemardesque pensum que je vous conseille d'éviter.

Nossie 1

                      Peur rime avec laideur, pas une rime riche, pas de riches heures. Horreur, hideur, pas haut les coeurs mais des haut le coeur. D'obscures et pas belles tractations ont empêché mon triste héros d'endosser la nom du célébrissime comte moldo-valaque. Moldo-valaque, ne trouvez-vous pas que ça sonne déjà très laid? Comment peut-on être moldo-valaque? Le Non-Mort, c'est l'appellation quasi officielle de Nosferatu, en vieux roumain. Quand il arrive à l'écran il est précédé du plan d'une hyène dans le piedmont balkanique. La hyène, symbole animal de la laideur et du dégoût, alors imaginez une hyène des Carpathes. Outre son rire sardonique, qui nous est épargné vu que le film est muet, on comprend que là où est la hyène pas de plaisir, et que cette aberration géographique et zoologique n'est qu'un préambule avec le choc tératologique de l'apparition de ce clone de Dracula, sans la haute stature du Comte, sans son habit de soirée rehaussé d'une cape de prestige. Le choc du Comte Orlok, une anthologie de la laideur sous toutes ses coutures, à commencer par une inversion des critères esthétiques de la vampirologie. 

                      L'expressionnisme transfigure la laideur. Pas la mocheté. Voir Munch, voir et entendre son Cri. Nosferatu, Non-Mort, à peine vivant. A mes yeux quintessence de la laideur en un art qui aime jouer avec les contrastes, du glamour hollywoodien aux affres, souvent mitteleuropéennes de la monstruosité.  C'est qu'au coeur meurtri de la laideur savent parfois se nicher le rejet et la xénophobie. Bref. Passons à l'examen du sujet, j'oserai dire l'autopsie.

                      Cet avatar du noble mais dégénérescent héros de Bram Stoker conjugue les imperfections. Dieu que ce mot est faible.Et quand je dis Dieu je pense à Héphaïstos plus qu'à Apollon. Héphaïstos, que sa mère Héra jugea si laid qu'elle le balança du haut de l'Olympe. Un précurseur, ce forgeron bancal et poussif, aux pieds tournés vers l'arrière. 

                      Personnage emblématique de cette Symphonie de l'horreur Orlok a tous les attraits d'un rat, la finesse d'une chauve-souris, la séduction d'une gargouille. Qu'il repose dans la cave, gentiment allongé dans son cercueil, semblant regarder de méphitiques voûtes, le visage d'un blanc cadavérique, la laideur raffole des pléonasmes. Une oreille démesurée, excroissance indécente, semblant guetter une proie. Les poignets sont croisés sur un étique abdomen, aux doigts polyarthritiques, qu'on dirait faits pour saisir mais incapables de lâcher prise. 

                       Objet d'un jeu d'ombres, le Non-Mort est hors champ, effrayante lanterne maléfique, s'incurvant vicieusement, juste assez pour que les phalanges de la main droite frôlent une porte prometteuse d'indicibles  frayeurs. L'homme, c'est beaucoup dire, l'homme est un royaume de l'ombre à lui seul. Appendice nasal tiré d'une innommable caricature antisémite. Des épaules quasimodesques mais qui n'abritent pas le coeur du doux sonneur de Notre-Dame. 

                        Mais la laideur s'extrapole et s'exporte. La voilà de sortie. Il quitte le château sur la pointe des pieds. Les yeux exorbités, sous un chapeau moyenageux ridicule, ongles interminables idéaux pour déterrer. La posture est effroyable de surenchère. Urbain, le Comte nous présente ses alliés, armée de rongeurs mais sans joueur de flûte, la peste au faciès insoutenable, la descente aux enfers, l'attaque de l'Ouest au sourire insupportable. Film centenaire aux lourdes implications freudiennes, aux hystéries subtiles, méfiez-vous. Il y a en Nosferatu quelque chose du syndrome de Stockholm. Si, lors de sa scène d'amour avec la belle Ellen, à l'étage d'un hôtel particulier londonien, poignardé par la hideuse lumière d'un nouveau jour, il nous apparaissait victime, séduisante victime. Max Schreck (Schreck veut dire terreur) qui incarna Nossie (j'ai fini par l'appeler Nossie tant j'en suis familier), fut lui aussi une victime. Une rumeur le prétendait réellement vampire. Après des décennies d'études je ne me hasarderai pas à dire le contraire. Mais là, j'ai froid. Pas vous?

         

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Commentaires
E
Réponse à tous trois... :D<br /> <br /> Martin. Nossie se tient à ta disposition. Certes un peu voûté, un peu contrefait, mais solide dans les mémoires cinéphiles.<br /> <br /> Bison. Il y a beaucoup de choses dans tes vastes prairies. Mais de fadeur, point. <br /> <br /> K. Ton analyse a saisi l'essentiel. Pas surprenant de ta part.
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K
Bien vu ! <br /> <br /> Je retiens avec attention la hyène des Carpathes moldo-valaque. <br /> <br /> Une synthèse ;-)
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L
Un magnifique billet... Si beau que je ne sais pas quoi écrire derrière... Alors, je me contente de ce commentaire ô combien fade, j'en suis pleinement conscient...
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M
Elle a la classe, cette chronique, très cher ! Comme l'a si bien dit Célestine, c'est du Eeguab pur sucre (de betterave, je suppose). Content de relire un tel texte qui réveille, sinon les morts, au moins ma furieuse envie de découvrir ce "Nossie" des origines. <br /> <br /> <br /> <br /> Nous en reparlerons. La bonne journée, en attendant !
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E
A tous quatre, merci de votre enthousiasme. On est un petit groupe à se réunir de temps en temps pour écrire quelques lignes sur un thème donné. C'était cette fois la laideur fascinante. Le cinéphile qui sommeille s'est réveillé tel Nossie. Nossie et moi vous saluons bien bas. :D
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P
Bonsoir Claude,<br /> <br /> Ton texte, il Schreck un max ! J'ai adoré me faufiler dans l'ombre de cette éloge du laid (dont la beauté cachée se voit sans délai, disait un génial créateur de la nuit). Alors que minuit sonne et que l'écran démoniaque résonne de ses mille cauchemars, je me remémore mes nuits d'éveil à songer à ce transylvanien de profundis qui troublait mon sommeil et s'invitait à ma porte. J'en ai fait un article, une exégèse en guise d'exorcisme, mais rien qui ne vaille le sortilège qui glisse sur tes mots magiques.<br /> <br /> Respect dus soir cher Claude.
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C
Un texte de pur toi, avec les ingrédients que l'on aime : culture cinéma, humour décapant et profondeur.<br /> <br /> Nossie...il fallait oser !<br /> <br /> Quand j'étais petite, rien que de le voir en photo dans télépoche, ça me donnait des cauchemars !<br /> <br /> Ravie de te retrouver, cher gentleman des plaines picardes.<br /> <br /> With tenderness<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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R
Moldo-valaque, je plussoie ça sonne très laid, Dandy-roumain sonnerait beau à l'inverse. ;-)
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V
Ton texte est vraiment passionnant. Et intelligent. Et ça me rappelle avec précision ce film et cette silhouette célèbre que je n'ai pourtant vu se déplacer qu'une seule fois il y a longtemps. Rat, chauve-souris, gargouille et victime, c'est exactement comme ça que je m'en souviens. <br /> <br /> A bientôt Claude.
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