Droit dans le mur
La lecture commune avec Valentyne La jument verte de Val est une douce habitude. Et cette fois c'est un grand bouquin, du moins est-ce mon avis, Le mur invisible de l'Autrichienne Marlen Haushofer, livre que je croyais tout récent alors que l'auteure a vécu de 1920 à 1970. La forêt autrichienne est le cadre de plusieurs de ses romans. Son père était garde forestier. Une femme d'âge un peu indéfini se retrouve en situation de survie mais en l'occurrence la classique île déserte est un chalet de moyenne montagne séparé brutalement du monde par un mur (die Wand, titre original), un mur invisible dressé en une nuit alors qu'elle était seule dans la maison. Variation sur le mythe de Robinson mais aussi récit post-catastrophe, Le mur invisible est écrit dans un langage solide et terrien, les préoccupations de l'héroïne étant terriblement basiques. Ceci n'empêche pas l'émotion ni même l'émotion qui nous étreint.
La nature, bien que géographiquement assez close, tient évidemment le rôle principal dans cette histoire qui ,dirai-je, tourne en rond mais dans le bon sens. De son chalet à l'alpage l'héroïne va tenter de vivre au mieux cette curieuse réclusion. Point trop de questions sur le probable cataclysme qui l'a plantée là, nantie heureusement de quelques outils dont il faut déjà mesurer l'apprentissage, pas une mince affaire. On est ainsi au plus près de la nouvelle éducation de la prisonnière qui doit ainsi "faire avec" et souvent "faire sans". L'importance du règne animal est ici déterminante et c'est d'un chien et d'une vache tous deux rescapés que viendra le répit. Sans anthropomorphisme aucun ni la moindre mièvrerie Marlen Haushofer nous tient ainsi au plus serré de cette relation si essentielle entre l'héroïne, on ne sait jamais son nom, et ses animaux, à la fois sa survie, sa joie modeste et son tourment.
Récit de type "survival" en bon franglais, mais surtout une belle réflexion sur la place de l'humain, sa force parfois et sa fragilité souvent, Le mur invisible n'est jamais un réglement de comptes avec le siècle des génocides mais plus simplement une belle méditation et que ce soit une femme, seule et pas plus forte ni plus intelligente qu'une autre, qui endosse le rôle unique de cette relecture en quelque sorte du célèbre roman de Daniel de Foe, nous rend ce livre d'autant plus précieux. L'adaptation au cinéma, que je n'ai pas vue, jouit d'une bonne réputation. Alors laissez-vous séduire par ces saisons autrichiennes un peu carcérales, guettées par la folie mais pas désespérées.