Roman posthume de Don Carpenter, écrivain que l'on redécouvre ici, 10-18 en soit remerciée, Un dernier verre au bar sans nom est mon quatrième livre de cet auteur. J'ai chroniqué ces trois autres romans. Avec beaucoup d'enthousiasme La promo 49, avec ennui Deux comédiens, avec intérêt mitigé Sale temps pour les braves. Mais ce dernier verre m'a régalé. Je pense au Bison qui devrait apprécier ce tableau de groupe de la Côte Ouest, une douzaine d'années fin fifties début sixties. Don Carpenter arrive après la génération beat, Kerouac, Burroughs, Ginsberg. Il n'est pas un écrivain de la route, plus proche de Richard Brautigan. Comme beaucoup Carpenter a cafouillé un peu du côté d'Hollywood sans laisser beaucoup de traces.
Dans Fridays at Enrico's (en V.O.) il nous immerge dans la vie littéraire et libertaire de cette bohème californienne des années soixante juste avant l'explosion flower. Un couple, Jaime et Charlie, tous deux écrivains, Jaime plus douée que Charlie, entre succès d'édition et impuissance créatrice. Tout ce bobo monde est remarquablement bien campé par Carpenter qui connait le sujet. Et puis il y les autres, les amis, souvent rivaux, Dick, Stan, parfois passés par la case prison, toujours par l'inévitable et si conformiste case paradis artificiels, ça me fatigue ça. Certains feront même fortune, piscine et "parties", en quête de ce qui pourrait ressembler au bonheur. Cette "pursuit of happiness" se révèle la plupart du temps "so vain". Je sais, j'ai truffé de mots anglais mais honnêtement ce livre est tellement West Coast... (tiens, je recommence).
C'est donc une formidable balade dans cet univers de marginaux parfaitement snobs, n'ayant pas peur des contradictions, mal à l'aise dans le milieu mais crachant rarement sur les royalties. C'est aussi un roman écrit par un Carpenter malade et déprimé qui, on le sait, rejoindra son vieux pote Brautigan dans l'ultime nuit volontaire. Le plus difficile dans ce beau roman est de ne pas s'effondrer de nostalgie, de ne pas céder aux sirènes du Pacifique et du c'était mieux avant. Et puis après tout on s'en fout. Ce texte est souvent très fort et on les aime ces semi-losers qui ont été là, sur Laurel Canyon, finalement au bon endroit au bon moment. Je vous conseille d'y faire un tour. Moi, j'ai aimé, bien que ma West Coast à moi soit plutôt seventies et se réfère surtout aux musiciens.