Liffey
Ce fleuve là n'est pas en couleurs
Vous qui rêvez de Nil et d'Amazone
Vous qui ne jurez que par l'Ol' Man River
Vous qui bouquinez sur les quais de Seine
O'Connell Bridge moins long que large
L'enjambe en quinze pas
Remontez votre col en novembre
Longtemps la rivière a eu faim
Ses enfants l'ont maudite et loin là-bas
Ouest atlantique,ne l'oublient pas
La passerelle est bondée, le clochard assis
Patient et souriant n'a pas encore trop froid
Il n'est pas si tard, mais le ciel hibernien
Se désole et décline
Belle et sombre mine, la rivière
Se méfie d'un quelconque traître,
Si longtemps éventrée
De mouchards et de filles trop bavardes
Mais je l'aime en sa grise heure
Et je connais ces silhouettes
Si loin de l'émeraude
Elles n'écrivent pas toutes, mais comme elles savent dire
Leur douleur et leurs haines
Entre leurs doigts poisseux.
Certains midis elle s'embleuit
J'y arpente les planches
Les grues à l'est, vers Laoghaire
Y jouent avec les nuages
Sous le regard d'Albion la méfiance
Des siècles de mépris
Des phalanges frappent le bodhran
Virevolte le banjo
Désinvolte et mutin
Claquent les pieds de Moira
Quand bien même les enseignes ont changé
Là sur le pont danse-s-y
Improbable rencontre, et pourtant
Ulysse pourrait y aimer Molly
Des feuilles rousses sous leurs chaussures
Plaignent le coeur de ville
Statufiés, les héros d'hier
S'offrent à chaque regard
Poètes et musiciens
Rodent encore, à la harpe parfois
Ou bondissants flûtistes
Liffey de chaque instant
Modeste jusques en ton lit
Mais aux tendres fantômes
Aux noirs contours, aux joues creuses
Vois, j'ai tenu serment
Comme j'ai parlé de toi.