Et merci à Celestine pour le lien vidéo. Celestine, c'est un peu ma Fedora à moi, loin, trop loin et si proche.
Quatrième incursion chez ce grand de Norvège, Per Petterson et c'est vraiment un auteur passionnant qui se confirme. La Scandinavie nous offre bien d'autres choses que les polars, souvent bons d'ailleurs mais répétitifs. Tommy et Jim sont amis d'enfance nés vers 1955, près d'Oslo. Leur enfance n'a pas été facile et quand ils se croisent par hasard, Jim remballe son matériel de pêche et Tommy descend la vitre de sa Mercedes, il y a trente ans qu'ils ne se sont pas vus. "C'est bien toi, Jim?"-"C'est bien moi, oui."
Je refuse est un si beau roman qu'il entre en vous à travers les deux garçons qu'on ne voit pratiquement qu' à deux époques, 1966-70 et 2006, soit leur adolescence et leur âge de retrait(e). Il entre en vous comme les autres livres de Petterson, plus aigu encore, tant les artifices usuels de la littérature sont peu utilisés par l'auteur. Tommy est riche, et seul. Jim est en arrêt maladie, fauché, et seul. Rien de triomphant ni chez l'un ni chez l'autre. Tommy, berline rutilante et pardessus luxueux, n'est pas mieux loti que Jim qui a jadis connu le Bunker, ce centre psychiatrique des années 75. C'est d'ailleurs à partir de là qu'ils se sont perdu de vue.
Qui l'aurait cru? Jim, enfant unique d'une famille qu'on appelait pas monoparentale, surprotégé par une mère très pieuse, semblait mieux armé que Tommy, nanti de trois jeunes soeurs, abandonné très jeune par sa mère partie un jour du port d'Oslo pour Singapour ou Manille, et jeune encore par son père alcoolique et violent. Fameux modèle social nordique , il a pas mal de ratés. Je refuse n'est pas l'histoire d'une longue amitié, estimable récit lu maintes fois. Non, Je refuse serait plutôt le rendez-vous manqué de deux jeunesses avortées, où Tommy et Jim, finalement tout tordus par la vie ont comme composé chacun une partition du ratage qui, personnellement, m'a secoué. Je boirais bien un verre d'aquavit, fort, à leur adolescence charriée, à leur maturité décevante, à leur vie somme toute banale. Mais que voulez-vous, ils n'en ont qu'une, de vie. C'est comme moi,au fait. Je propose rarement un extrait mais celui-ci est si beau dans sa simplicité.Tommy croise son père, quarante ans après.
Mais c'était un vieillard. Il avait les cheveux longs, il portait une grande barbe et il était tout gris; ses vêtements étaient gris, ils étaient tachés de gris et la lumière crue de l'ampoule électrique éclairait violemment ses yeux grands ouverts et semblait s'y perdre.
L'avis enthousiaste d'Aifelle ici Je refuse et celui d'un lecteur curieux que je ne connais pas, tout aussi favorable D'une berge à l'autre: Je refuse - Per Petterson. Et aussi chez Luocine Je refuse Et chez moi les chroniques des oeuvres précédentes Maudit soit le fleuve du temps et Pas facile de voler des chevaux
Chers amis des potins de la commère cette semaine, foin de poésie, nous allons dire du mal des célébrités et fouiner dans leur vie privée. Vous connaissez ma passion pour les tabloïds et les cancans. Et puis distiller un goût de fiel envers les "people" fussent-ils du XIXème Siècle ne peut que nous faire du bien. Enfin moi c'que j'en dis...
Votre génie est grand, Ami ; votre penser
Monte, comme Élysée, au char vivant d'Élie ;
Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie ;
Votre souffle en passant pourrait nous renverser.
Mais vous prenez bien garde, Ami, de nous blesser ;
Noble et tendre, jamais votre amitié n'oublie
Qu'un rien froisse souvent les cœurs et les délie ;
Votre main sait chercher la nôtre et la presser.
Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d'armes,
S'il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes,
Il le met dans son casque et le porte en chemin,
Et de son gantelet le touche avec caresses ;
La nourrice serait moins habile aux tendresses ;
La mère n'aurait pas une si douce main.
Sainte-Beuve (Les Consolations, 1830)
Alors voilà, mes amis. Figurez-vous que ce Mr. Sainte-Beuve a certes bien du talent pour tresser ainsi des lauriers à Mr.Victor, mais, et c'est de source sûre, j'vous dis, moi qui vous parle, que des rumeurs bien-fondées circulent sur ses relations avec Mme Adèle, épouse de Mr.Victor. Alors flatter le mari pour séduire l'épouse... Et puis ce Mr.Victor, un modèle conjugal comme chacun sait. Enfin, moi j'dis ça, j'dis rien, vous me connaissez.
La vie de Shelley, Byron, Mary Shelley et autres soeurs, demi-soeurs, anciens et nouvelles, leurs différents ménages à trois ou quatre ou cinq, c'est fatigant. La perpétuelle fuite du poète, les créanciers, les scandales, le beau-père, le laudanum, ça finit par peser. Le cercle des tempêtes de Judith Brouste, qui se met quelque peu en scène dans ce roman, de façon assez pénible pour moi, mêle la mort des jeunes enfants du noyau quelque peu maudit, et qui s'en portait fort mal donc fort bien chez ces adeptes du malheur talentueux, et les pulsions d'une sexualité qu'on dirait maintenant rude et variée, enrubannées de tendances suicidaires et de goûts pour le morbide.
Prométhée délivré côté Percy, Frankenstein côté Mary, on doute de l'équilibre de la maison Shelley. De tous côtés mutilations et aberrations, sorte de théâtrographie de la tératographie (je sais, deux outrecuidances). Quant à ce qui pourrait être une version début XIXème des Kindertotenlieder, de ces enfants, on peine à savoir précisément de qui ils sont la progéniture (le terme progéniture est quelque peu inadéquat) tant les relations des personnages ont été... diverses. Calèches vers le Sud, nuits d'alcools, partances toujours, le romantisme de ces gens-là, les convictions trop tôt prolétariennes et peu nuancées de Percy Bysse Shelley, enfin la fascination pour la mer toujours recommencée, tout cela ne pouvait que noyer le poète sur une côte quelconque. La côte fut ligure et le cimetière italien, pas si loin de John Keats. Byron, ami et rival, devait lui survivre, mais guère plus que Robespierre ne survécut à Danton.
Si vos tendance apocalyptophiles sont assez fortes pour voyager avec eux, libre à vous. Mais qu'est-ce que ça m'a fatigué. Volontairement j'ai fait ce billet un peu à leur manière,pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Mais je ne relirai pas Judith Brouste. Mais quelques lignes de Shelley, pourquoi pas? A doses cependant restreintes.
J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique
Qui m'a dit : « Deux immenses jambes de pierre dépourvues de buste
Se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
À moitié enfoui, gît un visage brisé dont le sourcil froncé,
La lèvre plissée et le sourire de froide autorité
Disent que son sculpteur sut lire les passions
Qui, gravées sur ces objets sans vie, survivent encore
À la main qui les imita et au cœur qui les nourrit.
Et sur le piédestal il y a ces mots :
"Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois.
Contemplez mes œuvres, Ô Puissants, et désespérez !"
À côté, rien ne demeure. Autour des ruines
De cette colossale épave, infinis et nus,
Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin. »
Que pense Valentyne (Ecoute-moi de Margaret Mazzantini)de ce livre, Ecoute-moi, en lecture commune comme nous aimons tant à le faire quatre fois l'an? Ce premier livre de Margaret Mazzantini a eu pas mal de retentissement en Italie en 2004. Confession d'un chirurgien de renom que le très grave accident de scooter de sa fille Angela, quinze ans, plonge dans une auto-analyse bouleversante, douloureuse, impudique. Timoteo s'adresse ainsi à sa fille, entre la vie et la mort, comme s'il offrait ses aveux pour le salut d'Angela. Ecoute-moi est un roman très fort, certes traversé par un exhibitionnisme qui peut mettre mal à l'aise, mais qui explore les tréfonds de l'âme de cet homme, donc un tout petit peu aussi ceux du lecteur,de tréfonds. Du moins c'est ainsi que je l'ai ressenti. Jusque là la parenthèse dans l'existence de Timoteo, quinze ans plus tôt était restée dans un coin de mémoire, comme entreposée, et je suppose que chacun pourra alors se reconnaître en lui. N'avons-nous pas presque tous comme ça un ou plusieurs épisodes de notre vie, comme enfouis mais prompts à nous sauter à la figure à l'occasion d'un choc comme le coma d'Angela? Non que cet évènement ancien soit forcément honteux ou glorieux, mais tellement inhérent et chevillé corps et âme à notre existence. Nos échecs et nos douleurs nous façonnent plus que nos réussites, plus relatives ou ressenties comme telles en général.
Difficile d'en dire davantage, ce serait trop dire, mais le voyage à l'intérieur de l'âme humaine où nous entraîne Margaret Mazzantini est bouleversant. La rencontre qu'a faite Timoteo il y a quinze ans coïncidait avec la naissance d'Angela. Comment cet homme instruit, cultivé et à l'aise, a-t-il pu s'engloutir dans une relation à première vue incompréhensible? Ce serait ignorer les pas toujours glorieuses incertitudes de l'amour, et les faiblesses, les coups du sort qui guettent les pauvres créatures terrestres que nous sommes. Comme un sentiment de déréliction, de perdition, voire de descente aux enfers flotte au, long de ce beau roman curieusement nommé ici Ecoute-moi alors que Non ti muovere se traduirait plutôt par Ne bouge pas. Mais je me dis aussi que pour une bonne écoute il faut rester là,presque sans bouger. C'est à ce prix que l'histoire de Timoteo se révèle comme très proche car à vrai dire Timoteo...c'est moi, ou peut-être vous, enfin nous tous, en ces moments si douloureux qu'il nous faut consentir à dire l'indicible.
Sergio Castellito, acteur réalisateur souvent sensible, et accessoirement époux de Margaret Mazzantini, a adapté le livre. Le film est sorti en France sous le titre A corps perdu. Je ne l'ai pas vu mais ne suis pas sûr que Penelope Cruz soit le choix idéal pour le rôle d'Italia, qui met la vie de Timoteo sens dessus dessous. Et peut-on aller jusqu'à voir dans le prénom du personnage une métaphore du pays? Questo é il problema.
Souvent perçue par les critiques comme un western existentiel cette belle adaptation très libre de L'hôte, nouvelle d'Albert Camus, issue du recueil L'exil et le royaume, est une réussite. On peut bien sûr discuter à n'en plus finir sur l'esprit et la lettre de Camus. Vieille histoire. Ecrit juste avant la guerre, ce récit met aux prises un condamné algérien (pour un meurtre de tradition si j'ose dire, type vendetta) et un instituteur ancien combattant de 40 censé le convoyer au village où il doit être jugé. Inutile de rappeler l'importance de la figure de l'instituteur dans l'oeuvre d'Albert Camus, elle est bien connue et il a maintes fois rendu hommage à Louis Germain l'enseignant de ses tendres années.
Tel le supplétif d'un sheriff (Trois heures dix pour Yuma en étant l'exemple type) Daru plutôt pacifiste, vaguement "étranger" quoique l'hôte en quelque sorte de Mohamed (ambiguité du substantif hôte), hésite avant d'accepter la mission d'un fonctionnaire aux abois en ce qui commence à ressembler au début de la fin de la présence française en Algérie. La nouvelle fait dix pages, le film 1h45, et David Oelhoffen a souhaité aussi un film avec un minimum d'action, ce qui nous vaut une illustration qui reste relativement modeste certes mais qui permet de sortir du huis clos de l'oeuvre littéraire. Qu'en aurait pensé Albert Camus?
A mon avis peu importe en l'occurrence. Ce qui compte c'est que le questionnement de Daru-Camus est parfaitement rendu dans Loin des hommes, d'abord hostile à s'en mêler puis prenant en charge Mohamed, les deux hommes finissant par se respecter, tout cela dans un délai de quelques jours maximum. Evidemment le metteur en scène souligne et ponctue la justice, l'éducation, la guerre, la violence, évoquant même un crime de guerre. Camus, lui, n'avait pas besoin de tant d'images pour nous convaincre à travers un très beau texte, simple et quotidien, poussière, un cheval dans le lointain,quelques figues. J'ai lu trois fois la nouvelle, admirable, et vu deux fois le film, la seconde animant un bref débat, les spectateurs ayant apprécié Loin des hommes, à juste titre. Les deux acteurs, Viggo Mortensen, Américain qui n'a pas hésité à coproduire le film et à l'interpréter en français, et Reda Kateb, d'abord muré puis s'humanisant joliment, n'y sont pas, non plus, étrangers.
Ca devient une habitude, je vais dire du bien de William Trevor, auteur d'origine irlandaise, depuis longtemps vivant au Royaume-Uni. Toutefois un peu moins que pour Ma maison en Ombrie, Les splendeurs de l'Alexandra ou récemment Les enfants de Dynmouth. La petite musique de Sir W.T. joue souvent en mineur une partition provinciale où les héros se démènent et se malmènent dans les petits malheurs et parfois les grands. Thaddeus Davenant, horticulteur, vient de perdre sa jeune femme dans un accident de la route. Veuf dans son manoir campagnard, à portée de Londres cependant, sa femme était fortunée, avec sa petite fille de quelques mois et sa belle-mère qui s'installe pour veiller sur la petite. Pourquoi pas? La moins mauvaise façon de continuer de vivre?
Survient Pettie, jeune femme de guère plus de vingt ans, candidate au poste de nurse pour la petite Georgina. Elle vient d'un foyer et a pour camarade Albert, gentil garçon un peu simple qui travaille de nuit et qui ne veut que le bien de Pettie. Mourir l'été n'est pas un roman flamboyant, encore moins hyperactif. Pettie, déçue de ne pas avoir obtenu le poste, et un tantinet charmée par la mélancolie de Thaddeus et par son jardin, sent germer en elle une drôle d'idée. Tableau plutôt calme de vies un peu étriquées, chacun dans son milieu, le roman voit ses quatre personnages principaux tourmentés et hésitants. La belle-mère qui, pour la bonne cause, cherche à s'imposer, le maître qui, anesthésié, semble s'en remettre à elle. Et les deux jeunes gens, Pettie et Albert, qu'une belle amitié réunit, dont le plus raisonnable n'est pas celui qu'on croit.
Mourir l'été n'est pas le livre des grandes colères. Et les drames s'y glissent presque par effraction. Comme si la mort par beau temps en était un peu plus souriante. William Trevor, maintenant très âgé, a vu son lectorat en France grandir doucement. Il y a comme ça des écrivains que l'on lit bien après l'été (je pense à E.M.Forster par exemple).
L'Amérique que je parcours musicalement, cinématographiquement et littérairement depuis si longtemps a ses laideurs profondes qui n'ont rien à voir avec la vieille Europe. Cette statue d'Abraham Lincoln perché sur granit en fait partie, ce qui ne nous empêche pas de boire un verre downtown à la santé du Wyoming dont nous connaissons déjà la capitale Cheyenne. Voici donc Laramie, petite ville de l'Ouest, dont le nom fleure bon mes chers westerns, essentiellement le superbe Man from Laramie, L'homme de la plaine, avec James Stewart. Le Wyoming, rectangle parfait, on reconnait bien là un rationnalisme américain, est le moins peuplé de tous les états de l'Union.
Richmond Fontaine est un groupe de folk alternatif qui existe depuis vingt ans. Voici, live à Edimbourg, la pièce à conviction de cette étape, justement appelée Laramie,Wyoming. Ce qui m'arrange bien. Si vous trouvez que cette rubrique fatigue vous avez raison. Si vous trouvez qu'elle est à bout de souffle vous avez encore plus raison. Terminus imminent... C'est vrai aussi que j'ai déjà dit ça plusieurs fois.
Je vais essayer d'être moi-même et de donner mon propre sentiment, ce qui est la moindre des choses, dans le cadre de cette opération qui fête la littérature. Et cette fois c'est favorable à une réserve près, de taille qui tient justement à la taille du livre. On ne me fera pas croire qu'il fallait 785 pages pour l'histoire d'Eileen fille d'Irlandais en quête d'ascenseur social. Cela dit, Nous ne sommes pas nous-mêmes est un très bon roman, et vivre soixante années de la vie d'Eileen est une belle aventure de lecteur.
Les romans-fleuves souvent sont des sagas sur une famille, un domaine, avec des évènements dramatiques, guerres, révolutions, et de nombreux personnages . Nous ne sommes pas nous-mêmes serait plutôt un roman-fleuve tranquille et il en est d'autant plus intéressant. Par tranquille j'entends que la vie d'Eileen est presque parfaitement linéaire, ce qui ne veut pas dire sans aspérités ni sans intérêt. Fille d'émigrés irlandais, mère courageuse mais alcoolique, père bon buveur mais courageux, de l'ordinaire me direz-vous s'agissant de cette immigration maintes fois abordée en littérature. Aucun misérabilisme par contre, et pas vraiment de ce fameux rêve américain, un peu un grand mot.
C'est qu'en fait Matthew Thomas, un nouveau venu dans l'opulente littérature américaine, parvient avec la vie somme toute relativement banale d'Eileen auprès de son mari Ed, professeur et chercheur, et de son fils Connell, à nous passionner sans l'évènementiel assourdissant de la plupart des romans de cette amplitude. C'est un tour de force car ici l'action ne s'égare pas avec de multiples personnages secondaires. Infirmière puis responsable d'un service, Eileen est une femme dévouée et tendre et son couple va plutôt bien, enfin pas mal, pas trop mal. C'est encore un tableau du XXème Siècle que nous dévoile l'auteur. Mais le temps passant certaines failles s'élargissent, Eileen accepte mal certains changements sociaux et la maison qu'elle veut quitter symbolise bien le quartier dont elle redoute maintenant le métissage. Ed, work-addict à ses recherches, semble s'isoler chaque jour davantage. Jusqu'où? Et quelle enfance, quelle adolescence pour leur fils? La société américaine y est décrite justement sans mépris ni gloriole, elle qui est si facile à vilipender. Pas de personnage répulsif dans Nous ne sommes pas nous-mêmes, pas de passions dévorantes, juste la vie.
Un livre qui exige de ses lecteurs, sans être aride le moins du monde, de se fabriquer leur propre idée sur l'existence de cette famille américaine, presque atypique dans sa modestie et son labeur. Oh vous y trouverez du base-ball et quelques housewives, mais ni le sport ni l'aliénation si fréquente dans cette littérature d'un pays dont on aime à se gausser, ne vampirisent l'intrigue, longue de six décennies de vita americana.
Le producteur Scott Rudin (les films de Wes Anderson ou des frères Coen) a acquis les droits. A voir. Merci encore à Babelio de m'avoir permis par le biais de Masse Critique de découvrir ce très bon roman un poil trop long, juste un poil. Un beau lien que je vous conseille plutôt après le livre: L'écrivain américain Matthew Thomas / France Inter
Victor Segalen, né et mort dans le Finistère (1878-1919), a pourtant bien bourlingué. Médecin de la Marine, poète, romancier, Polynésie et surtout Chine ont eu une très grande influence sur son oeuvre. J'aime beaucoup ce poème qui évoque une sirène peut-être, une aquafemme oserai-je, insaisissable...
Mon amante a les vertus de l'eau
Mon amante a les vertus de l'eau:
un sourire clair, des gestes coulants,
une voix pure et chantant goutte à goutte.
Et quand parfois, malgré moi -
du feu passe dans mon regard,
elle sait comment on l'attise en frémissant:
eau jetée sur les charbons rouges.
Mon eau vive, la voici répandue, toute, sur la terre!
Elle glisse, elle me fuit; -
et j'ai soif, et je cours après elle.
De mes mains je fais une coupe.
De mes deux mains je l'étanche avec ivresse,
je l'étreins, je la porte à mes lèvres:
Et j'avale une poignée de boue.
Victor Segalen (Stèles)
Il est Charlie, aborigène mal dans sa peau, pas bien dans la banlieue de Darwin, capitale du Territoire du Nord australien, sa communauté se délabre et il ne reconnait même plus son bush. Le scénario est de Charlie lui-même, enfin, son interprète David Gulpilil, qui sait ce dont il parle. Tracasseries policières, alcoolisme et rares discussions avec ses congénères plus très jeunes non plus. Il est "mal-bouffant", Charlie, et son estomac fait grise mine. Il n'y a plus grand chose qui tourne rond en son outback océanien.
Il est Charlie mais conserve une conscience quoiqu'un peu floue. Il en a marre,Charlie, qu'on lui pique sa lance et ses racines. Il est fatigué, Charlie, il a trop fumé, Charlie, c'est l'hosto qui le guette. Il est Charlie, membre d'une communauté qui, si elle évolue disparait, et qui, si elle n'évolue pas , disparait.
Il est Charlie, mais il faut qu'il sache, Charlie, que ce n'est pas uniquement la faute des autres, et que la notion même de tribu, il a parfois contribué à la galvauder. Gnole et ganja, pas le meilleur pour la clairvoyance. Oui,Ce blog essaie de lutter à sa très modeste mesure contre les simplismes (ça s'appelle un aparté). L'acteur David Gulpilil est une icône,un leader en son pays, ancien danseur, ancien pisteur, déjà dans La dernière vague de Peter Weir en 1977 et dans Crocodile Dundee, deux pôles pour le moins différents du cinéma australien.
Il est Charlie, avec étonnament au moins un très beau souvenir. Avoir dansé là-bas tout au Sud devant l'Union Jack et le chef de l'état australien pour l'inauguration de Sydney. Vous connaissez tous le chef de l'état australien. Curieusement il a aimé faire ça. Comme quoi rien n'est si simple et la fierté multiple. Il est Charlie, un très bon film, du Hollando-australien Rolf de Heer à peu près ignoré de tous. Il est Charlie, un film que j'ai vu la première fois seul dans la salle, un peu Charlie moi aussi. La seconde fois lors d'un ciné-débat les gens sont venus, pas la foule, mais cela a permis des échanges intéressants. Je les en remercie.
Ca ne fait pas de mal de retourner de temps en temps en Amérique Latine sous la houlette de gens comme Coloane ou Sepulveda car les institutions Garcia Marquez ou Vargas Llosa ne sont pas pour moi. Moi j'aime l'Amérique du Sud des camions,des rafiots et des coucous brinquebalants. Des gargotes avec hamacs effilochés et ventilateurs pourris. Des bières même pas fraîches et de l'agneau des estancias qu'on appelle l'asado. Dans ce récit court de 168 pages on est servi pour ce genre d'aventures. L'auteur chilien, un fameux raconteur, part d'une promesse faite à son grand-père de revoir un jour son village andalou pour un périple agité et parsemé de belles et de mauvaises rencontres.
Parmi les mauvaises, on s'en doute, Le neveu d'Amérique croise quelques geôles de bon aloi à une époque où la valeur dictature se portait encore bien. Temps béni d'un mal identifiable mais ne nous égarons pas car l'intérêt du récit est tout autre. Dans tous ces personnages baroques et somptueux, grandiloquents et grotesques, qu'on croirait parfois sortis d'une bande dessinée. Le concours de mensonges en est un bel exemple, dont le vainqueur semble être un voyageur ayant déposé délicatement un pou pour alléger sa monture lors d'un rude passage dans la Cordillère, quitte à le reprendre au retour.J'sais pas si c'est vrai...
Patagonie, Grand Sud, icebergs et la tombe de Panchito,un gamin infirme, mort de chagrin parce que son ami dauphin joueur, un printemps, n'est plus revenu, probablement victime d'un "bateau-usine russe, un de ces assassins des mers". Portrait de Carlos, aviateur fou de Saint-Ex et du Baron Rouge, amené à transporter le cadavre d'un aristocrate argentin dans son Pipper, sous la menace de ses hommes de main. Longues discussions avinées avec l'Anglais voyageur Bruce Chatwin en particulier sur le souvenir des célèbres Robert LeRoy Parker et Harry Alonzo Longabaugh, tumultueux individus ayant peut-être fini leurs jours dans ces coins perdus du continent sud-américain. De cela on n'est pas sûr, d'autres sources chagrines ramènent Butch Cassidy et le Kid, car c'étaient eux, mourir en Amérique du Nord. Forcément moins bien.
Quel baratineur de Don Luis Sepulveda, s'il croit que je vais gober tout ça et prendre ses histoires pour cruzeiro ou bolivar comptant... Son militantisme et son anarchie ne sont pas ce que je préfère. Mais qu'est-ce que je m'en fous et qu'est-ce que j'ai aimé ce tissu de vrai faux. De la belle littérature qui donne envie de prendre le Patagonia Express (titre original), puis de monter en selle pour le premier bordel andin et de mettre les voiles aux confins. Le Bison qui traîne souvent dans les parages sera sûrement arrivé avant moi. http://leranchsansnom.free.fr/?p=5544 Dominique est partante aussi Le bout du bout du monde - Luis Sepúlveda
Vingt-six mots dans le bissac asphodélien cette semaine pour éprouver notre imagination: temps-lire-ténacité-sidération-tour (nom masculin)-regrets-déchirer-malgré-silence-bancal-résilience-pourquoi-aquarelle-fardeau-parenthèse-vide-rire-envol-vie-conscience-coeur-douleur-scintiller-symphonie-scène-sinueux.
Quitter la scène est parfois tentant,mais songeant au long silence qui régnerait au bout d'une semaine et demi, j'en ai toujours soigneusement procastiné l'idée même.
Car l'après n'est tout de même guère sûr et si la vie n'a été qu'une parenthèse rarement enchantée, si les pourquoi furent nombreux sans solution, si le paquebot de la ténacité m'a laissé parfois sur le quai, si j'ai su charger des épaules proches d'un fardeau que j'aurais dû au moins diviser le temps d'une escale, si j'ai souvent passé mon tour au bal où l'on danse tous si mal, si de l'envol des oiseaux de mon enfance, deux petites soeurs, je n'ai jamais su combler le vide, à peine amoindrir la douleur, si des regrets scintillent de moins en moins au rideau cramoisi et déchiré de mes carnets de moleskine, aquarelles de mots meurtrissures et de vindictes pitoyables qui me mettraient presque le coeur à rire, d'un rire obscène que vous n'aimerez pas, symphonie macabre, quand la conscience est grimace et la résilience impasse, si d'une démarche bancale ainsi exposée et malgré ses sinueux S.O.S. serpentant susurrant un pardon, si donc ces lignes étaient ici ou là, lues et un peu aimées, sidération serait ainsi mon lot. Si.
Etranger, je suis resté tout à fait étranger à ces neuf Nouvelles de J.D.Salinger, à toutes les nouvelles de ce recueil. Et ça c'est rare, souvent il y a bien deux ou trois textes à sauver, émus, amusés, troublés que l'on a été à la lecture de ces courts métrages. J'en arrive à douter même de L'attrape-coeurs que j'ai tant aimé mais il y a si longtemps et j'avais, en quelque sorte, l'âge du rôle. J'ai pourtant lu des avis très favorables sur ces histoires écrites vers 1950. Quelques titres qui, sous couvert d'un certain surréalisme revendiqué, m'ont rendu perplexe dès l'abord. Un jour rêvé pour le poisson-banane (le plus célèbre, publié dans le New Yorker en 48), Oncle déglingué au Connecticut, Juste avant la guerre avec les Esquimaux, Pour Esmé, avec amour et abjection. A la perplexité a succédé l'interrogation,, perdu que j'étais dans ce no reader's land où je sombrais. Je vins finalement à bout de l'intégralité de Nouvelles, ce qui ne signifie pas que je vins vraiment à bout de ma lecture. Si quelqu'un possède quelque part les clefs....
Le statut de livre culte est également clamé qur la quatrème de couv d'un livre découvert par mon cher ami hasard, datant de quelques années plus tard, d'un certain John Knowles que de toute ma hauteur j'ignorais jusque là magistralement. Sans être vraiment intronisé je fus cependant moins étranger à cette oeuvre sensible et originale. Une paix séparée c'est un été 1942, un internat dans le New Hampshire. Ils ont tous l’énergie, l’insouciance et les pulsions de leurs seize ans, et un héros, Phineas, plein de grâce et de fantaisie, indiscipliné, casse-cou, irrésistible. Alors que la guerre se précise pour l'Amérique Gene subit l'influence de Phineas.
Rien à voir avec par exemple Musil et Les désarrois de l'élève Toerless. On n'est pas avec Une paix séparée dans l'humiliation ou une sorte de sado-masochisme assez attendu dans ce type de roman un peu initiatique. C'est finement analysé et le culte du sport et de la confrérie, très américain, ne mène pas obligatoirement au conformisme. Le souvenir que j'aurai de ce roman, intéressant et si méconnu en France, tournera plutôt autour de l'arbre sur la rivière, lieu d'un accident détonateur pour les deux jeunes gens, et de la guerre, lointaine et grondante, dont les élèves de Devon School sentent les prémices,chacun à sa manière, sachant que leur adolescence se meurt dans le tumulte des exercices de préparation militaire. Un film en fut tiré dans les années 70, à ma connaissance jamais sorti en France.
Père Noël m'a apporté ce beau livre nanti d'affiches étonnantes que vous ne risquez pas de trouver. Une cinquantaine de films esquissés, parfois bien avancés, ayant explosé en vol, souvent ahurissants. Le casting de ces ratages est hallucinant et les projets avortés ont peut-être bien fait d'avorter. Je ne vais pas faire la liste simplement vous dire que vous avez échappé ou vous avez manqué,c'est selon, à une histoire de Girafes avec salades sur le dos des chevaux, comprenne qui pourra de toute façon avec Dali et les Marx Brothers.
Mais aussi au Retour de St. Helen de Chaplin avec le thème d'un double de Napoléon, vaguement précurseur du Dictateur. Ou le très heureusement mort même pas né Brazzaville, envisagé par la Warner, sequel de Casablanca. Please,don't play it again. Un Jésus de Dreyer, un Kaleidoscope d'Hitchcock...
Un peu plus récemment et sur lesquels il y a davantage de documents citons Leningrad 900 jours de Sergio Leone, Le voyage de Mastorna de Fellini,le Napoléon de Kubrick. Le Megalopolis de Coppola. Et puis on retrouve les spécialistes des films impossibles, Orson Welles naguère ou Terry Gilliam aujourd'hui. Les raisons des pelliculae interruptae (cherchez pas, pure invention du génial créateur de ce blog) sont essentiellement les budgets, les abus d'abus divers, Peckinpah par exemple, la santé mentale de certains comme Peter Sellers pour les ultimes aventures de la Panthère rose, la grande faucheuse.
L'important c'est d'avoir rêvé. Les plus beaux projets sont ceux qui n'aboutissent pas. Ils conservent ainsi l'éventualité du génie. Un peu, toutes proportions gardées, comme le roman que j'essaie d'écrire et qui m'échappe depuis des décennies. Le plus somptueux, et là je suis sérieux, est dans l'iconographie de Les plus grands films que vous ne verrez jamais. Ces affiches magnifiques de designers contemporains sont de vrais bonheurs. Et si les films sont invisibles les affiches, elles, sont bien belles à voir.
P.S. A propos de ces affiches il va de soi que si quelqu'un venait à être lésé ces photos seraient sur le champ supprimées de cet article.
Un exploit pour ce livre de la très fine Yoko Ogawa (voir Les abeilles Bzzz bref mais troublant ), m'avoir intéressé aux mathématiques. Une aide ménagère travaille auprès d'un ancien professeur de mathématiques dont la mémoire se borne aux 80 dernières minutes à la suite d'un accident de la route. En compagnie de son fils Root, ainsi surnommé par le professeur à cause de son crâne plat comme le signe de la racine carrée (square root en anglais), elle découvre peu à peu, par l'entremise du professeur, la beauté des nombres et les relations inattendues qui existent entre les mathématiques et la vie concrète. C'est une femme modeste qui devient plus ouverte notamment au fait que les nombres peuvent unir des individus. Le lien professionnel entre le professeur et son aide ménagère se transforme : elle développe alors avec lui un lien amical fort malgré la santé vacillante de l'ancien enseignant.
Tout en douceur et en caractère malgré tout ces trois personnages sont magnifiques et pour tout dire assez inimaginables dans notre monde occidental. Le vieux professeur à la mémoire si volatile est un poète des chiffres et un spécialiste des problèmes mathématiques qu'il résout dans les journaux sans même penser à en toucher les primes. La formule préférée du professeur jongle si joliment avec les nombres premiers et les nombres parfaits, dont 99% me sont absolument étrangers, avec les logarithmes et les racines carrées qu'on a l'impresssion de les voir danser dans les nuages comme dans un film de Miyazaki. Magique comme une ardoise de notre enfance.
Mais le professeur a une autre passion qu'il relie aisément à la première, celle du base-ball, sport très prisé dans l'Empire du Soleil Levant. Il en est resté à ses joueurs fétiches d'antan bien sûr, et collectionne les cartes du championnat comme mon petit-fils les Pokemon, en plus soigneux. Et c'est délicieux de lire ses statistiques sur le temps moyen d'un lancer, le taux de réussite de tel joueur. Pourtant le base-ball est un sport particulièrement hermétique aux profanes. Mais la plume de Yoko Ogawa est si légère qu'on s'immisce volontiers dans le tendre trio. Root, gamin déluré et finaud, et qui n'a pas connu son père, progresse aux côtés du professeur et semble très heureux de ce grand-père de substitution. Bien sûr il est un peu lunaire ce vieux monsieur avec ses amis chiffres et nombres. Bien sûr il faut un peu d'attention pour ne pas perdre patience devant ses questions réitérées et oubliées le lendemain. Mais on dirait une famille...
Très jolie et très cohérente aussi la description des taches ménagères, repassage et pliage à la perfection, ou cuisine imaginative, qu'exécute la maman de Root. C'est une belle leçon d'humanité, sans pédagogie assommante, tout en charmes minuscules, que La formule préférée du professeur. Je les ai aimés,ces trois là.
L'histoire compte quelques réussites sur le thème du cinéma dans le cinéma. On cite souvent à raison La nuit américaine, Les ensorcelés, Boulevard du Crépuscule, 8 1/2. On oublie Fedora,l'un des derniers films de Billy Wilder. Je viens seulement de le voir, 36 ans après sa sortie. Plus ou moins adapté d'une histoire de Thomas Tryon, ancien acteur chez Preminger notamment, Fedora est une fable cruelle sur le miroir d'Hollywood et le désenchantement. Sur une île grecque toute de bleu et de blanc la noirceur du Septième Art prend toute son amplitude comme une mouette dans le ciel de Corfou. Le film commence par les funérailles de Fedora. Flashback, deux semaines à peine plus tôt. Maintenant retirée, Fedora, la star jadis adulée, ne se soigne plus guère qu'aux substances, cadrée par une comtesse polonaise mystérieuse, un médecin douteux et sa gouvernante. Barry Detweiler, producteur-scénariste indépendant mais fauché (William Holden, grand acteur maintenant ignoré) essaie de la convaincre de revenir sur les plateaux pour une nouvelle version d'Anna Karenine. Seule certitude, Dorian Gray au féminin, Fedora ne semble pas avoir physiquement changé.
Mais dans sa Villa Calypso, bunker insulaire gardé par des molosses, Fedora, fragile ou manipulée, vit pratiquement comme voilée. On ne peut pas ne pas penser à Garbo (qui,au passage, joua deux fois l'héroïne de Tolstoï). Comme Norma dans Boulevard... du même Billy Wilder, Fedora est prisonnière de cette maison. Comme dans Boulevard... des acteurs jouent leur propre rôle (DeMille, Keaton jadis, Fonda, York aujourd'hui). Comme dans Boulevard... c'est William Holden qui à 28 ans de distance, involontairement, dénoue la tragédie. On a donc beau jeu de considérer Fedora, et ça les cinéphiles adorent le faire, comme le testament de Wilder et une ultime variation sur la décrépitude de Hollywood. Pas faux mais je pense que l'on peut transcender le mythe cinéma et y voir une parabole bien sombre du vieillissement.
La question serait plutôt à mon sens. Le film Fedora peut-il émouvoir? La construction peut en paraître artificielle et agaçante, la nostalgie forcée et pour tout dire mélodramatique comme un vieux film muet. Pourtant j'ai aimé Fedora, le film, invisible depuis 35 ans, car j'ai accepté la règle du jeu et les conventions du genre. Ce qui n'empêche pas l'ironie vacharde du vieux Billy Wilder, intacte bien que son aura de metteur en scène ait pâli à Hollywood, malgré les réussites tardives Avanti ou La vie privée de Sherlock Holmes, films d'ailleurs boudés par l'Amérique. De toute façon Wilder est toujours resté trop européen, trop critique. A travers le personnage du producteur démodé, c’est Wilder lui-même qui peste contre "ces nouveaux réalisateurs barbus" dans lesquels on reconnaît aisément les Lucas, Spielberg, Scorsese et Coppola qui incarnent alors le nouvel Hollywood.
Pour l'interprétation, si Holden est tout à fait à sa place, Marthe Keller, trop jeune et pas assez énigmatique, n'est pas l'icône espérée. L'ex grande star allemande Hildegard Knef, elle-même retirée du cinéma à l'époque, peut faire plaisir au cinéphile, comme un clin d'oeil entre initiés. A tout cela le public restera étranger et Fedora le film comme Fedora l'actrice demeurera comme une parente lointaine et absente depuis si longtemps qu'on ne sait plus bien si ce n'était pas du domaine du rêve... Fedora, à voir comme une apparition, à entrevoir comme une légende, à célébrer comme un culte.
Bande-annonce : Fedora - VOST
Et merci à Celestine pour le lien vidéo. Celestine, c'est un peu ma Fedora à moi, loin, trop loin et si proche.
Asphodèle m'a redonné le goût de la poésie et depuis j'adore muser et picorer dans cette lande presque infinie. Le hasard est pour beaucoup dans mes choix ou le presqu'hasard, une drôle d'entité qui m'éperonne et me conduit parfois en terre très classique, parfois du côté de l'humour, parfois chez les stars du genre, Gérard, Arthur, Paul et les autres, parfois chez des auteurs moins connus, méconnus, inconnus. Je partage avec l'auteur d'aujourd'hui un prénom impérial et romain même si Claude empereur n'a pas la notoriété d'un Auguste ou d'un Marc-Aurèle. Claude Roy (1915-1997), écrivain, poète, essayiste, journaliste a à peu près tout vécu de Je suis partout au Parti Communiste. Ca ne l'a pas empêché d'écrire par exemple...
Bestiaire des animaux à l'aise dans leur peau
Très oiseaux les oiseaux sont très sûrs d'être oiseaux
L'écureuil sait très bien son métier d'écureuil
Les chevaux dans leur peau de cheval sont chevaux
Le lézard sait par cœur l'art de vivre en lézard
La fourrure du chat tient le chat tout entier
Le renard est renard tout le long de l'année
Le poisson est dans l'eau comme un poisson dans l'eau
Mais moi je m'évapore et me perds et me trouve et ne suis jamais sûr d'être ce que je suis
Claude Roy
On connait William Irish au moins par le cinéma, L'homme-léopard, Les mains qui tuent, Fenêtre sur cour (pseudo Cornell Woolrich), La mariée était en noir, La Sirène du Mississippi. Chez 10/18 on a regroupé nombre de ses nouvelles sous une appellation globale Irish Bar, Irish Cocktail,Irish Blues. Irish Murder compte six histoires policières écrites autour de 1940. La plupart ont été publiés dans les fameux Pulp Magazines, bon marché, qu'ont hantés aussi d'autres très grands comme Chandler, Hammett, McCoy. Elles mettent en scène des types très ordinaires la plupart du temps victimes d'une certaine naïveté de leur part. Manipulés par plus forts qu'eux ils sortent parfois innocentés, mais rarement complètement comme dans Marijuana, texte qui aborde de front l'usage de la drogue d'une manière assez nouvelle à l'époque.
J'aime beaucoup L'héritage où, comble de malchance, deux braqueurs de voiture récoltent un cadavre dans le coffre et par là même une accusation de meurtre. Le manque de pot est aussi fréquent dans ce recueil, la vie polar est ainsi, on est parfois au mauvais endroit au mauvais moment. Par exemple Meurtres à la seconde où un mari jaloux, horloger de surcroît, prépare un mécanisme explosif dont le hasard pourrait faire de lui sa propre victime. Le dénouement est souvent inattendu et l'on s'aperçoit que la vérité ne tient qu'à un fil. Ce fil, fragile, et susceptible de se rompre à tout moment, c'est celui du talent de ces écrivains longtemps mésestimés, très souvent alcooliques, la plupart du temps bridés par Hollywood. Des écrivains, tout simplement. Et c'est déjà bien.
P.S Vous pouvez consulter dorénavant un récapitulatif des écrivains et livres chroniqués. Pas de liens directs,il vous suffit de taper le nom de l'auteur ou du livre.J'ai appelé ça A comme auteurs ayant fait l'objet d'une chronique (c'est la première catégorie). Autrement dit d'
C'est plus que jamais le moment de voir le très beau Timbuktu. Je n'aurais jamais cru que ce serait "à ce point" le moment. C'est presque indispensable en dépit de ses maladresses.
Abderrahmane Sissako le Mauritanien, l'un des très rares cinéastes africains un peu connus en Europe a abordé le problème du fondamentalisme d'une manière très personnelle qui parvient à mélanger l'humour et l'absurde à la gravité qui n'est pas esquivée. Scènes de la vie quotidienne, banales, banalisées, pour le pire des autochtones, du moins ceux qui n'ont pas encore fui la Tombouctou historique, berceau d'une civilisation avec mausolées et manuscrits. Mais que reste-t-il de ces symboles face à la bêtise abyssale?
Ils sont quelques-uns dans les villages voisins de la ville, la ville dont on ne verra rien, à tenter de continuer de vivre normalement malgré la présence et les consignes officielles des nouveaux maîtres sur des choses aussi dangereuses que le football, les mains nues des femmes ou la longueur des pantalons des hommes. Le cinéaste ose quelque chose de rare, montrer les tyrans intégristes comme des imbéciles, à peine capables de parler d'autre chose que de Zidane ou de Messi, ce qui ne les empêche pas de faire la chasse au ballon rond. A rire avant que d'en pleurer. Une calme soirée musicale entre amis est ainsi brutalement interrompue. C'est que la guitare est diablement décadente. A pleurer vous dis-je. Mais à pleurer de rage.
Car toute vie est réévaluée ou plutôt dévaluée à l'aune de l'extrêmisme. Ainsi l'homicide accidentel commis par Kidane le tranquille éleveur ne trouvera aucune circonstance atténuante. Ainsi redoubleront les mariages forcés et les lapidations. Ainsi le simple chant mène au fouet. L'une des forces de Timbuktu est de rendre presque ordinaires les brutes, j'entends par là leur ôter la moindre once de légitimité religieuse et de l'éventuelle noblesse que quelques individus tout aussi bas de plafond pourraient leur trouver. Timbuktu, d'après certaines critiques, transformerait cette force en faiblesse en simplifiant outrageusement l'histoire du Mali et en occultant les rebellions touareg et les différentes collusions entre ethnies, que je serais bien incapable de préciser. Ces mêmes critiques émettent ainsi des réserves sur ce qui reste un beau film, qui selon certains spécialistes, tiendrait plus du conte pour Occidentaux de bonne volonté que de la complexe réalité de l'ancien Soudan français.
Reste qu'un film africain, au moins en partie, n'est pas si fréquent sur nos écrans. Reste qu'au moins une scène est déjà entrée dans l'histoire, le match de foot sans ballon. Reste que dans le contexte actuel il est sûrement difficile de faire beaucoup mieux pour décrire les dramatiques turbulences d'un Mali en implosion.
L'avis de Dasola Timbuktu - Abderrahmane Sissako
Celui de Y a quoi à chercher CINEMA- TUMBUKTU : LA CULTURE AFRICAINE OTAGE DES DJIADHISTES