Alice,si,Alice,souvenez-vous
Je termine cette fin d'automne la présentation pour l'I.U.T.A de ma bonne ville d'une série de six films sur la route au cinéma.Cela m'a permis de voir ou revoir ou rerevoir etc... quelques oeuvres majeures comme Les raisins de la colère,Les fraises sauvages,Voyage à deux,Easy rider.Si vous le permettez je m'attarderai sur Alice dans les villes,l'un des premiers films de Wim Wenders.C'est un cinéaste que j'apprécie bien que parfois un peu égaré. Sorti en 74 Alice dans les villes,un noir et blanc de "city" qui convient parfaitement au périple urbain de Philippe et Alice,9 ans,dans ce qui fera l'essentiel d'oeuvre de Wenders,l'axe Amérique-Europe et retour.Mais là nous somme près de dix ans avant l'errance la plus célèbre,celle de Travis dans Paris,Texas.
New York,Philippe,la trentaine pas gaie,n'arrive guère à terminer son reportage photo.Images de l'Amérique des seventies,sur fond de références qui ne peuvent que m'attirer,John Ford,Scott Fitzgerald,le rock du juke-box, Psychotic reaction des fabuleux Count Five.Les aléas,c'est à dire une grève aérienne et la déprime de Lisa à l'aéroport,vont faire de lui pour quelques jours le compagnon de voyage d'Alice,gamine frondeuse et butée comme savent l'être ces drôles de petites filles.Ce n'est pas anodin si la première rencontre de Philippe et d'Alice se déroule dans une porte à tambour,comme une sensation de tourner en rond,déjà.Deux juke-boxes dans le film,pour moi c'est déjà deux étoiles, Wenders compagnon de Rockland,forcément On the road again de Canned Heat.La dérive en douceur de Philippe amorcée sur le sol américain,ce sentiment de tourner en rond dans ce pays continent,puis la tranquille versatilité d'Alice,j'aime cet oxymore, enfin la quête européenne de la maison de la grand-mère,tout cela va bouleverser sans colère le quotidien de Philippe pendant quelques jours.
Good bye America et l'Empire State Building où rôde la grande ombre de King Kong et d'où l'on apercoit deux hautes tours jumelles appelées à une certaine célébrité.Couple improbable à la limite du burlesque et de l'absurde, ce n'est pas si fréquent qu'une mère confie à un trentenaire maussade une enfant de 9 ans.Et si Alice réveillait ce grand enfant sans repère,sans sentiment fixe,ce blond escogriffe qui semble bien seul.Comme le cinéma de Wenders est beau dans ce grain noir et blanc qui jamais ne lorgne vers un quelconque effet rétro.
Film-ville comme je n'en ai jamais vu Alice ne convie pas seulement notre cinéphilie.C'est aussi un joli bal urbain qui nous transporte littéralement(dans les deux sens).Des billets de train,des cartes routières,kiosques(on ferait bien de se pencher sur l'histoire des kiosques au ciné,c'est une idée,non?),panneaux publicitaires, signaux routiers et enseignes.De l'importance des halls et des galeries,pas toujours,ou pas encore trop déshumanisés,mais ça commence.De la plus haute cohérence du motel aux U.S.A.Le motel a été conjugué à toutes les sauces dans des milliers de films.
Bien sûr si l'on a quelques clés sur le rock et le ciné on est plus partie prenante dans le périple d'Alice et Philippe.Pourtant je l'ai revu trois fois en huit jours et je me demande si Alice dans les villes ne serait pas digne d'un panthéon du cinéma,pas seulement allemand,pas seulement d'après guerre,pas seulement de l'errance. Non:du cinéma tout court.Alice c'est beau à pleurer et ça,c'est à la portée de tous,si peu cinéphiles ou fans de rock soient-ils.Et comme New York est bien filmée,comme Amsterdam est cinégénique.Mais l'Oscar de la ville revient à Wuppertal,ville de la Ruhr industrielle.Wim Wenders y atteint par le rail ou par la rue les sommets de l'émotion.Ca donne envie d'aller à Wuppertal.Inouï.