Des chiffres et des lettres
Un exploit pour ce livre de la très fine Yoko Ogawa (voir Les abeilles Bzzz bref mais troublant ), m'avoir intéressé aux mathématiques. Une aide ménagère travaille auprès d'un ancien professeur de mathématiques dont la mémoire se borne aux 80 dernières minutes à la suite d'un accident de la route. En compagnie de son fils Root, ainsi surnommé par le professeur à cause de son crâne plat comme le signe de la racine carrée (square root en anglais), elle découvre peu à peu, par l'entremise du professeur, la beauté des nombres et les relations inattendues qui existent entre les mathématiques et la vie concrète. C'est une femme modeste qui devient plus ouverte notamment au fait que les nombres peuvent unir des individus. Le lien professionnel entre le professeur et son aide ménagère se transforme : elle développe alors avec lui un lien amical fort malgré la santé vacillante de l'ancien enseignant.
Tout en douceur et en caractère malgré tout ces trois personnages sont magnifiques et pour tout dire assez inimaginables dans notre monde occidental. Le vieux professeur à la mémoire si volatile est un poète des chiffres et un spécialiste des problèmes mathématiques qu'il résout dans les journaux sans même penser à en toucher les primes. La formule préférée du professeur jongle si joliment avec les nombres premiers et les nombres parfaits, dont 99% me sont absolument étrangers, avec les logarithmes et les racines carrées qu'on a l'impresssion de les voir danser dans les nuages comme dans un film de Miyazaki. Magique comme une ardoise de notre enfance.
Mais le professeur a une autre passion qu'il relie aisément à la première, celle du base-ball, sport très prisé dans l'Empire du Soleil Levant. Il en est resté à ses joueurs fétiches d'antan bien sûr, et collectionne les cartes du championnat comme mon petit-fils les Pokemon, en plus soigneux. Et c'est délicieux de lire ses statistiques sur le temps moyen d'un lancer, le taux de réussite de tel joueur. Pourtant le base-ball est un sport particulièrement hermétique aux profanes. Mais la plume de Yoko Ogawa est si légère qu'on s'immisce volontiers dans le tendre trio. Root, gamin déluré et finaud, et qui n'a pas connu son père, progresse aux côtés du professeur et semble très heureux de ce grand-père de substitution. Bien sûr il est un peu lunaire ce vieux monsieur avec ses amis chiffres et nombres. Bien sûr il faut un peu d'attention pour ne pas perdre patience devant ses questions réitérées et oubliées le lendemain. Mais on dirait une famille...
Très jolie et très cohérente aussi la description des taches ménagères, repassage et pliage à la perfection, ou cuisine imaginative, qu'exécute la maman de Root. C'est une belle leçon d'humanité, sans pédagogie assommante, tout en charmes minuscules, que La formule préférée du professeur. Je les ai aimés,ces trois là.