La poésie du jeudi, Edualc Eeguab
Ces deux textes ont été écrits il y a plus de dix ans. Je vous les livre avec ma présentation de l'époque. A ce jour je crois qu'ils sont encore cinq. Je pense souvent à eux peut-être parce que je suis d'un pays de cimetières tout blancs et tout propres entre Somme et Chemin des Dames.Je n'ai pas envie d'en dire plus mais j'ai écrit ces quelques lignes pour eux.
Autour de Péronne
Notre pays n’est à l’honneur
Que lorsque novembre pointe sa douleur
Notre pays n’est guère
Qu’anniversaire des pleurs d’une mère.
La plaine est ainsi constellée
De ces rectilignes faisceaux
Portant croix blanches immaculées
Enserrées sous bien des drapeaux
J’aime à saluer ces lointains amis
Ces cousins si proches à la fois
Couchés sur ce plateau picard
Presque ignoré.
Ce siècle avait quinze ans
Les quatre cavaliers allaient emporter
Dans ce délirium funeste
Les illusions de ces pauvres humains
Mon pays fut l’un des théâtres
De cette fin d’un monde
Nos monuments sur ces terres ingrates
Ne sont qu’alignements
Souvent d’un blanc si propre
Comme pour éloigner les souillures
La boue sans patrie de ces collines,de ces halliers
Les villages fantômes
Veillent sur ces milliers d’hommes
Reconnus ou devinés.
Ici les noms ne sont pas tous de chez nous
Mais ma liberté et la tienne
Toi ma si chère amie
Souvenons-nous
Qu’elles leur doivent la vie,clairement
A Williamson l’Australien
Et Babacar de Casamance
La chapelle bleue du souvenir
Demeure,modeste repli de longue mémoire.
Ils n’avaient que vingt ans,sans bien comprendre
Que la terre de Somme,froide et calme
Serait leur linceul
Sans même un griot
Ou sans revoir leur cher Pacifique
Insondable folie des hommes
Qui devait arracher si loin
A leur soleil,à leurs forêts profondes
Ces garçons morts aux bourgeons
Sans même être exemplaires.
Rage.
Dieu,comme tu sais faire mal aux hommes!
Le poilu
Si là-bas sur le plateau assassin des Dames
Ailleurs en Picardie,n’importe où
En un quelconque Orient
Mais surtout dans la forêt
De ma pâle jeunesse,de mes vingt ans fougueux
A la naissance meurtrière et verte
D’une clairière pourtant vouée à aimer
Comme la nôtre...
Si la-bas et en ce temps j’avais écrit
Ces simples et si belles paroles
D’une vie qui s’exhale à son aube rougie
Aurais-je dépeint les arbres automnaux
Sous les mitrailles de l’enfer
Ou la boue des inhumains
Au coeur de la nature jadis hospitalière?
Aurais-je su,même maladroit évoquer l’indicible
Et traquer ces secondes comme des heures
Afin que ma mémoire dépose
Témoin dérisoire et magnifique
Brodant de tardives arabesques au seuil du néant?
Oui ce me semble j’aurais trouvé
Pour toi les mots des lettres les plus forts
Et les ayant sculptés je t’aurais donné
La meilleure part de moi,le souffle de ma vie
Et tu aurais aimé,c’est sûr
Chaque lettre de chaque mot
Arrachée au destin rapace et délirant
J’aurais été ton poème entr’ouvert sur la nuit
Le sort aurait peut-être adouci ma misère
En laissant à ma main une ombre de talent
Pour que je te pénètre à t’en désespérer
Au reste de tes jours et je serais mort prince
Heureux de ta rencontre.
Pour toujours enfin je serais rimbaldien
Aux semelles légères à courir avec toi
A Florence et Venise
Aux dunes et aux ergs de Mauritanie.
Ces orages d’acier m’auraient condamné
A rester cet ardent cavalier
Frère des troubadours
Ami des guitaristes et jongleur de mots
Toi,tu aurais aimé,tu aurais gardé
Bien longtemps,bien toujours
Superbe actrice,ces monologues
Enfin j’aurais été l’auteur
Des verbes de réalité
Que ta bouche meurtrie aurait incantés
De tes multiples profondeurs
Celles que je connaissais bien avant
Que de rejoindre le bataillon des perdus.
Et sur ces crêtes qui t’impressionnent
J’aurais laissé parmi tant d’autres
L’empreinte de mes doigts crispés
Sur ces rocs comme sur ton corps
Sous l’infini silence des oiseaux
Oui,Amour,tu aurais aimé
Quand après mon départ
Une vie aurait doucement pris son vol
Dans ton ventre habité.
Si j’avais été un soldat
Rebelle ou résigné,cela importe peu
Si j’étais tombé en ces lieux un peu tiens
Je sais que jamais je ne t’aurais déçue.