Littérature jeunesse
Babelio m'a permis une nouvelle incursion dans la littérature jeunesse. Et vous me voyez perplexe. Les loups de Mondrepuis est une aventure médiévale de 150 pages, très classique avec châtelain et sa belle, Templiers désignés coupables et grands renforts de loups de nos forêts picardes. Quelques notes de bas de page pour définir une échauguette ou un haubert. Honnêtement je n'y ai guère ressenti le souffle d'un Walter Scott ou d'un Dumas. Bien sûr je ne mettais pas la barre si haut. Thibaut et Alise, aidés de deux moines et de deux orphelines meneuses de loups vont régler allégrément la question sans trop se soucier de vraisemblance.
Bien sûr le livre Jean-Paul Raymond s'adresse plutôt aux préados, 12 ans. Et, ça m'écorche de le reconnaître, je connais bien peu de ces bestioles (les préados) qui lâcheront leur PS ou leur tablette pour ce livre, en l'occurrence assez plat, même curieusement doté d'une couverture vaguement manga. On dit parfois le contraire. On dit qu'ils lisent. Moi j'en ai deux qui portent mon nom qui est aussi celui de leur père. Croyez-moi, quand je pense à mon père qui portait le même nom, quittant l'école à 12 ans, et qui me donna malgré tout ce goût des livres, Jules, Alexandre, mais aussi Hemingway, Steinbeck, Marcel Aymé ou Dickens, j'aime mieux garder le silence. Ce sont bien sûr les réflexions d'un grincheux.
Tout n'était pas mieux avant. Je suis seulement en train de vous dire que mes petits-enfants ne liront pas le dixième de ce qu'a lu leur arrière-grand père, apprenti à douze ans, comme tout le monde ou presque en ces années trente. C'est une affaire purement privée. Pour en revenir aux Loups de Mondrepuis, objet de cette chronique pour Babelio, je pense l'abandonner sur un banc. Sur un versant plus optimiste je sais qu'il y a aussi des livres jeunesse d'une toute autre ampleur. Sont-ils lus davantage?
L'épopée de Vigdis
Je ne connaissais pas du tout cet auteur belge. Quelle révélation! Le coeur converti est un roman superbe où Stefan Hertmans mène l'enquête sur la fuite, au Moyen Age, d'une jeune chrétienne avec un fils de rabbin. Fin du XIème siècle, parti de Rouen pour rejoindre la communauté juive de Narbonne, le couple en fuite va se trouver poursuivi par les soldats chrétiens à la solde de son père normand. Elle s'appelle Vigdis, et blonde nordique, va changer de nom, Sarah d'abord, puis Hamoutal, après avoir épousé David. Leur voyage les ménera dans le village vauclusien de Monieux, dans une bien rude arrière-Provence.
C'est aussi dans ce village que vit une partie de l'année Stefan Hertmans, auteur néerlandophone d'une prose lyrique et somptueuse qui amalgame la grande histoire, celle des invasions et des pogroms, celle aussi des religions. La documentation pourtant impressionnante n'est jamais écrasante et l'héroïne est bien réelle à nos yeux. Femme qui conquiert une certaine liberté mais se heurte bien vite aux intolérances de tous ordres, Hamoutal aura le destin, tout de violence et de mystère, qui sied à ce qui est aussi un roman d'aventures.
Ceci n'empêche pas Le coeur converti de nous éclairer sur la vie au quotidien d'une petite communauté juive au début des croisades ou sur les voies de communications du nord et sud, puisque la fuite d'Hamoutal nous entraîne jusqu'à Fustat Misr (Le Caire). Juive par son mariage, les yeux bleus des Vikings, ballottée par le destin, mère d'enfants qui lui échappent, elle connaitra une vie tumutueuse et bien peu de répit. Prodigieusement documenté, ce roman se base aussi sur quelques rares traces écrites véritables et l'authenticité de ce roman historique (j'hésite car c'est souvent un peu péjoratif) est indiscutable. Stefan Hertmans a refait ce périple, au plus près de Vigdis malgré les siècles.
Ecoutez commme il parle du grand fleuve. Le Nil est tel une fleur de lotus, disaient les anciens; la vallée au sud est sa tige, le delta au nord sa fleur galbée, et la plaine de Fayoum est comme un bouton de fleur fermé sur sa grande tige. Hérodote considérait l'Egypte comme rien de moins qu'un cadeau du Nil; mais ce lotus géant, qui avait insufflé la vie à l'Egypte, était aussi un organisme violent, mortel. Ou de Cambridge, Angleterre, en 2018. Sur la rivière des guides à bord de leurs punts-des petites barques qu'ils font avancer en enfonçant une perche dans l'eau peu profonde de la Cam-font de leur mieux pour imiter Venise. Telle est la vie des vieilles élites, un peu étrangère à ce monde et charmante, on est au centre de cercles civilisés anciens qui s'obstinent à prétendre que la moitié du monde n'est pas en feu.
Le coeur converti est l'un des plus beaux romans de l'année à mon avis. Et c'est un livre qui s'adresse à tous, intelligent et érudit, tonique et émouvant.
Bologna é Ferrara
En un mot...
Ascension
Juxtaposition
Incarcération
Education
Dissection
Hertzification (Marconi)
Canonisation
Sanctification
Domination
Déception
Interprétation (des chansons sur... Paris)
Vénération
Fortification
Négociation (Loggia della Mercanza)
Commercialisation
Peu convaincu
Pas convaincu par le roman "arthurien" de Kazuo Ishiguro. Je n'ai pas retrouvé l'enthousiasme de Quand nous étions orphelins ni des Vestiges du jour. Loin s'en faut. Sorte de chanson de geste qui conte le voyage d'un vieux couple à la recherche d'un fils, avec la participation de Gauvain, compagnon d'Arthur devenu vieux et d'un dragon peu spectaculaire, Le géant enfoui est déjà enfoui dans ma mémoire, pourtant lu il y a deux mois à peine.
J'ai des souvenirs plus précis de Wild Idea, l'histoire bien connue et plus ou moins recyclée déjà des fameux bisons réintroduits par Dan O'Brien quelque part au Dakota. J'aime bien cet auteur mais on connait maintenant son combat. L'ayant pas mal lu, Rites d'automne, Brendan Prairie, Au coeur du pays, L'esprit des collines, toujours avec intérêt, j'y trouve aujourd'hui une certaine redondance qui ne remet pas en cause les qualités littéraires de Dan O'Brien. Mais je crois avoir compris. A l'évidence, maintenant que le temps presse un peu, j'ai envie d'oeuvres un peu plus significatives à mon coeur.
Dans un bon bouquin autrichien, Le tabac Tresniek, Robert Seethaler raconte simplement l'arrivée dans la grande ville, Vienne, de Frantz, jeune campagnard, naïf mais qui n'entend pas le rester. L'histoire, en 1937, dans la capitale autrichienne, murmure puis vrombit puis hurle. Une librairie et des gens qui n'aiment ni les livres ni les libraires, Frantz fera ainsi son éducation. Deux autres éducations aussi, au Prater en foire, plus coquine, et et à fumer le cigare en compagnie d'un étrange vieux monsieur barbu et très souffrant qui l'écoute, mais alors qui l'écoute, avant sa partance pour Londres, allez savoir pourquoi. Ce roman d'apprentissage, modeste et discret, m'a nettement plus intéressé que les dernières livraisons des stars ci-dessus, anglaise et américaine.
Sir Walter en la Pléiade
En lecture commune avec Claudia, Pyrausta et Nathalie nous nous sommes penchés sur Sir Walter Scott dont je n'avais lu qu'Ivanhoe, en livre jeunesse du temps de ma jeunesse, c'est dire...Le talisman raconte un épisode de la croisade des princes, Richard Coeur de Lion et Philippe Auguste entre autres. Je m'étais porté volontaire pour cavaler sur un fringant destrier, en découdre avec traîtres et infidèles, festoyer sous la tente, et retrouver des héros caracolant pour une belle dame de leurs pensées. Et je me suis retrouvé à tourner les pages d'un Talisman dans la Pléiade,seule version disponible. Or je n'aime pas lire dans la Pléiade. La Pléiade ça ne se lit pas, ça se cale dans une bibliothèque d'une belle maison et on en mesure la longueur en faisant croire qu'on a lu tout Balzac. Physiquement je n'aime guère ce contact qui m'oblige à m'y prendre à deux reprises, comme dans mon lointain missel, pour tourner la page tant la finesse.... Ca aurait eu l'avantage de finir deux fois plus vite le roman de chevalerie de Walter Scott qui n'a pas apaisé ma soif d'aventures et de combats. Je voyais ça virevoltant, d'estoc et de taille, palefrois et gonfanons claquant au vent d'Orient.
Le talisman m'a semblé plutôt un festival de la palabre. Qu'est-ce qu'on parle, Sir Kenneth, le héros écossais,le Maître des Templiers, l'archiduc d'Autriche, le roi Richard, bien que malade, et ses conseillers, mais alors les bavards... Ca réveille un peu mes souvenirs des croisades qui seraient plutôt tendance Monicelli-Gassman dans L'armée Brancaleone.On retient essentiellement de ces joutes verbales la rivalité des différents participants et l'on esquisse une réflexion sur l'engagement occidental pour le Saint Sépulcre. Mais honnêtement les caractères d'imprimerie de la Pléiade ne me conviennent pas des masses ( à propos de masses, d'armes cette fois, on doit souvent aussi recourir au lexique pour l'héraldique ou l'armement, c'est usant).
Bref, enfin pas si bref que ça, pas assez de castagne pour moi, pas assez de tournois, un seul réglement de compte à la fin, je n'en ai pas eu pour mes écus. Après avoir maintes fois manipulé finement les deux signets verts, l'un pour le roman, l'autre pour les notes explicatives, je suis arrivé à deux conclusions, celle du Talisman, bienvenue, à peine le sang aura-t-il coulé, et la mienne propre, de conclusion, légèrement iconoclaste dans un challenge littéraire, qui est la suivante...Je crois que de Walter Scott mes meilleurs souvenirs resteront visuels, l'excellent film avec Robert Taylor, présenté ici par Claudia et Wens, (Ma Librairie: Walter Scott : Ivanhoe ) et le générique du feuilleton de mon enfance, Ivanhoe, qui date,il est vrai de quelques semaines maintenant.
Atout Coeur
Vraiment une réussite que ce grand Coeur,bien au delà du roman historique classique, ou de la bio romancée bien agréable. Jean-Christophe Rufin, académicien toubib diplomate marcheur, rien là-dedans de déshonorant, nous immerge dans cette époque charnière si prometteuse après les interminables conflits de la Guerre de Cent Ans. Absolument passionnant.Foin d'Anglois boutés hors de France,c'est l'Italie et ses richesses qui vont changer la France et l'Europe. Le modeste fils de fourreur au nom inoubliable va devenir en quelques dizaines d'années un précurseur,un visionnaire en matière d'échanges et d'économie,alors même que la France sort exsangue du Moyen Age. De l'avènement et de la grandeur du bourgeois en quelque sorte,j'y reviendrai. Avant maudissons la langue française qui a presque fait de ce vocable une injure en ne retenant que le moins bon de ce nouveau venu sur la scène sociale et politique.
Jacques Coeur, compatriote berruyer de Jean-Christophe Rufin, est d'origine assez modeste (pas si modeste que ça selon certains historiens, peu importe) et de prestance très moyenne. Mais cet homme a de l'énergie à (re)vendre. Son histoire nous est contée sérieusement, sans grande fantaisie, mais l'auteur a parfaitement su éclairer la profondeur de cet homme et surtout ses dons de précurseur,presque de visionnaire quant à l'avenir d'un pays,le Royaume de France, dont le souverain Charles VII est surnommé le petit roi de Bourges. Coeur fut l'un des premiers en Occident a compris l'attrait de l'Orient pas seulement celui de Jérusalem.Il a compris aussi que l'ère du pré carré est appelée à disparaître.
Monnayeur ,commerçant, banquier, financier, armateur, à la tête aussi bien d'une gigantesque entreprise privée que de la maison France sur le plan économie, Jacques Coeur dont l'intelligence en affaires se double d'une grande clairvoyance quant à ses collaborateurs,connaîtra des triomphes,puis la disgrace,la prison et la torture,puis l'évasion et la mort en grec exil. Cependant il aura eu le temps de restaurer l'autorité du roi et de lancer les prémices du mécénat,de la libre circulation des biens,du commerce moderne. Rufin est un écrivain que je n'avais pas lu et j'ai beaucoup aimé la justesse de ce portrait d'un homme en avance. On sait qu'il n'est pas confortable d'avoir raison trop tôt. Le grand Coeur s'honore aussi de fouiller les personnages de Charles VII et Agnès Sorel, première maîtresse officielle de l'Histoire de France, autrement que comme le prince chétif qui devait tout à Jeanne d'Arc et la courtisane sans vergogne avide de puissance
. Un beau roman, suffisament ample mais introspectif,assez pour que l'on regarde à Bourges, le fameux Palais Jacques Coeur ,à deux visages,l'un médiéval l'autre renaissance,superbe bâtisse qu'il n'eut pas le temps d'habiter, comme le témoignage d'un homme d'une grande complexité comme il y en eut peu dans l'Histoire. On a longtemps fait de Jacques Coeur un symbole de bourgeois.Je hais ces approximations. Admettons le toutefois comme un bourgeois, certes, mais alors très éclairé. Des comme ça,j'en redemande.
Les plumes...by Asphodèle: Le lai de Dolce Marie de Vermandois
Asphodèle a récolté cette semaine pour notre plaisir laborieux et notre labeur plaisant les mots suivants: aube-fontaine-débit-grand-fraîcheur-cascade-baignade-chute-flux-dérive-trésor-noyade-trouble-goutte-glisser-gorge-grain. Assez peu inspiré au demeurant j'ai cependant eu un petit déclic, terminant en ce moment un roman de Patrick Besson qui évoque les croisades.Oyez si le voulez!
Que grande frayeur mon vaillant chevalier me fit
A l'aube verte du retour d'Orient
Quand la gente rivière affola son débit
Que son corps glissa au long du pas d'avant
Trouble est un mot bien peu disant
Pour dire ma ma gorge étreinte
Et chagrin,peine au flux malfaisant
M'occirent presque,dérive et longue plainte
Et de ma vie firent fontaine obscure
Cascades de larmes en ce lit torrentiel
La baignade, malemort, Dieu qui n'a guère cure
De la fraîcheur à toujours perdue,ô tendre jouvencelle
Que j'étais,de chute et de tréfonds
Que jamais nulle extase n'effleura mon trésor
Oncques ne connaîtrai le grain au ventre fécond
Ni l'enfant aux gouttes lactées d'or
Que noyade un jour d'été mon doux sein dessécha.
Croisade à l'italienne
Un chevalier et sa monture,une haridelle plutôt,pas nommée Rossinante mais Aquilante.Mais ce n'est pas Don Quichotte. Un générique cartoonesque (http://youtu.be/M9PrWuT-E-0), une sorcière sauvée de justesse par une petite troupe dépenaillée et piétonnière par manque de moyens.Mais ce n'est pas le Sacré Graal des Monty Python.Ce même chevalier devise avec la Mort.Non,ce n'est pas Le septième sceau.Un navire traverse une colline à dos d'hommes mais ce n'est pas Fitzcarraldo.Mario Monicelli et ses géniaux scénaristes,le fabuleux duo Age-Scarpelli,à qui le cinéma italien doit tant,ont imaginé une suite à la déjà inénarrable Armée Brancaleone (1966).Vittorio Gassman,tout en rodomontades,est l'interprète idéal de ce matamore finalement plus naïf que roublard, qui mène sa maigre bande avec nain,boîteux juché sur les épaules d'un aveugle,puis nouveau-né sauvé in extremis,chèvres et enchanteresse.Arrive même un lépreux très dansant au son de sa clochette,assez sexy ce lépreux.
Tout ce petit monde,bien que peu ferré en géographie,part donc pour la Terre Sainte.Rencontres et péripéties attendent ces branques du Saint Sépulcre.Dans Brancaleone s'en va-t'aux croisades la langue italienne est truffée de patois et de latin douteux, ce qui lui donne un maximum de verve.La verve,justement,est un ingrédient qui a rarement manqué à ces maîtres de la comédie italienne que j'aime tant.Monicelli,toujours satirique,dégomme gentiment la religion et le pouvoir,pape et antipape se querellent comme des supporters de foot,un arbre aux pendus s'avère riche en drôlerie,le jugement de Dieu fait glousser Brancaleone, un tournoi final, un peu longuet, alanguit à mon avis ce road-movie médiéval que Mario Monicelli aurait dû écourter de vingt minutes pour lui assurer tout son punch. Quoiqu'il en soit cette Cour des Miracles itinérante est une preuve de plus de la grande variété de ce cher cinéma italien.Elle est aussi une invite à se balader dans le challenge botté initié par Nathalie.