Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOGART(LA COMTESSE)
Derniers commentaires
Pages
10 février 2011

L'encombrant compagnon

barleycorn

                       Il y avait pour moi un mystère John Barleycorn,très ancien.Très attiré par l'Amérique,son histoire,sa géographie,sa musique,sa littérature,son cinéma,et souvent interrogé par ses dérives,j'avais souvent rencontré le patronyme John Barleycorn que je traduisais par Jean Orgeblé et dont je croyais qu'il constituait une sorte d'Américain moyen,très moyen,de la Conquête de l'Ouest et de la Ruée vers l'Or surtout.Les mythiques groupes Traffic et Jethro Tull,entre autres,l'ont chanté,Fairport Convention,Procol Harum l'ayant aussi évoqué sans que je percute davantage bien que les ayant beaucoup écoutés.De plus j'ai lu Jack London,sans en être un spécialiste mais L'amour de la vie et Martin Eden notamment m'avaient beaucoup plu.Et la route de Jack London en soi est une aventure,pas seulement littéraire.Mais la lente distillation a opéré et j'ai enfin compris que ce Monsieur John Barleycorn est en fait l'alcool.Ainsi donc sans le savoir nombreux sont les amis de J.B.,ses amis ou ses disciples,ses esclaves ou ses séides,jamais ses maîtres.Nul mieux que Jack London n'est autorisé à en parler,les deux personnages ayant été intimes ,avec quelques brouilles,de cinq  à quarante ans,  la mort  de Jack London.Longtemps plus connu sous le titre Le cabaret de la dernière chance le récit-roman John Barleycorn a été publié en 1912,alors que le pauvre Jack,jadis misérable,pilleur d'huîtres,pilier de saloon,bagarreur, est devenu riche et couvert d'honneurs,restant plus que jamais miltiant socialiste précoce et tout ça sans jamais s'éloigner beaucoup de John Barleycorn,cet ami qui vous veut...Jack et John resrteront d'ailleurs associés jusqu'à la mort,controversée de Jack.John,aux dernières bouteilles,se porte bien.

    Ce livre,je le considère comme une oeuvre maîtresse sur l'homme et sa destinée,sa fragilité et ses ressources.Car London s'est battu toute sa vie,contre la trajectoire qui lui semblait imposée,contre le haut fric,contre vents et marées au sens propre et figuré, contre la maladie,contre et avec John.Dès ses primes expériences de la bière à cinq ans et du vin à sept London  a senti le danger.Mais voilà,le sourire de John Barleycorn n'est pas toujours édenté et fétide.Il sait se faire charmeur et se parer des plumes de la légèreté et de la belle amitié qu'il fracassera d'autant mieux plus tard.Marin,Jack a besoin de John.D'ailleurs,à eux deux ils font parfois un sacré boulot,l'alcool en ces années 1900 trônant partout en cette Californie des chercheurs d'or et des journaliers de ce pays neuf.Pas une éprouvante journée de travail sans que le maigre salaire ne soit délesté au premier cabaret du port d'Oakland d'où partirent les voyages de London.Ce John Barleycorn est tel que sans lui point de salut pour ces forçats du rail ou de la mer.Avec lui encore moins de salut."Ni avec toi ni sans toi" confie Jack London.Correspondant en Corée,voyageur à Londres ou Paris, quelque part sur son bateau le Snark aux Nouvelles-Hébrides ou au Japon,l'écrivain multiple,essayiste et penseur qu'est devenu Jack London traitera toujours d'égal à égal avec J.B.

   Ce livre est fabuleux et je suis heureux de l'avoir rencontré.Les derniers chapitres montrent London arrivé au sommet de ses influences,l'homme sans qui Kerouac,Hemingway ou Jim Harrison ne seraient pas ce qu'ils sont.London, lui,lucide, sceptique,fier malgré tout,doute encore et condamne John Barleycorn.On le sent capable d'initier,avec le féminisme naissant dont il sera un rare partisan précoce,d'intier une croisade contre son autre moi,ce J.B. qui nous rapproche en quelque sorte de cet autre roman fondateur d'un autre grand voyageur qui lui-même céda parfois aux paradis artificiels,L'étrange cas du Docteur Jekyll.Alors bien sûr pendant des décennies Jack London et Robert Louis Stevenson ont fleuri sur les étagères des chambres d'enfants.On a mis bien du temps avant de trouver leur vraie place,en littérature,la plus haute.

traffic_1970_john_barleycorn_must_die_front

   L'illustration musicale est double: Stevie Winwood et Traffic,ou Ian Anderson et Jethro Tull jouent et chantent John Barleycorn must die. http://www.youtube.com/watch?v=WgtVswJJJeQ

album_the_best_of_jethro_tull

  http://www.youtube.com/watch?v=lvmlWYBGamA

Publicité
29 juillet 2011

D'excellents morts

cadavres_exquis_1 

    Le Sicilien Leonardo Sciascia a vu la plupart de  ses romans adaptés au cinéma.Certains ne sont d'ailleurs jamais sortis en France.Citons A chacun son dû (Ne pas oublier Palerme )Todo Modo,La mafia fait la loi.Les metteurs en scène en étaient Elio Petri,Damiano Damiani ou Francesco Rosi précisément pour Cadavres exquis,1975,d'après Le contexte.Rosi a fait l'objet d'une rétrospective à la Cinémathèque qui vient de se terminer.L'entretien avec Francesco Rosi,88 ans,est d'ailleurs visible pour un moment sans doute sur le site de la Cinémathèque. Monsieur Rosi y tient des propos passionnants et courageux.Bien sûr ce cinéma peut apparaître comme lointain.Mais outre que je n'accepte guère les notions de films ayant vieilli,c'est seulement le temps qui a passé et c'est tout à fait différent,les constats sociologiques, économiques ou politiques demeurent percutants.Les rapports très compliqués entre le pouvoir et la justice ne sont l'apanage ni des années 70,ni de l'Italie.

          Plusieurs très hauts magistrats sont assassinés.Théorie du complot, intimidations de la Pieuvre, simples délires d'un déséquilibré,l'inspecteur Rogas,Lino Ventura juste et seul,donne un supplément de vérité là où l'on attendait évidemment Gian Maria Volonte.Il bute sur des murs alors que tombent les cadavres,Charles Vanel dont le meurtre est particulièrement saisissant de mise en scène, Alain Cuny, Max von Sydow. Ecoutes,filatures,téléphones inquiétants.Nous sommes certes dans le classique de thriller politique.Mais des trouvailles nous titillent,humanisant ces messieurs plutôt glaciaux.Le vieux procureur Varga se délecte devant les momies du musée, parcheminé qu'il est lui-même.Le juge Rasto se lave les mains à tout propos avant de finir au lavabo.Ces notables étaient-ils aussi corrompus,jusqu'au ministre de la Justice?Rosi ne cherche jamais à convaincre et son cinéma n'a rien de simpliste?C'est sa grande force.

cadavres2

    Et si son flic honnête,Lino Ventura retenu et sans grandes tirades démagogiques,dont on ignore tout de la vie privée,ce qui aussi muscle le film comme une métaphore,est condamné dès le début,on se passionne pour cette allégorie de l'impossible clarté du couple infernal entre le politique et le judiciaire,ce Janus aux deux visages qui est un peu en chacun de nous.Et qui surtout ne concerne pas que l'Italie bien que le cinéma de ce pays se soit depuis longtemps intéressé au sujet.Le Néoréalisme étant passé par là.

5 mars 2012

Vienne cesse parfois de chanter et de danser

ames 

            Arthur Schnitzler (1862-1931) fait partie de ma galerie depuis longtemps. C'est d'ailleurs le cinéma qui m'a permis de découvrir ce Juif Viennois. Max Ophuls,pas viennois mais on le croirait,m'avait ébloui,enfant,sur la télé de mes grands-parents,avec La ronde,adapté de la pièce de Schnitzler qui fit scandale.Liebelei,et pas mal d'autres textes m'avaient enchanté.Ce recueil publié sous le vocable La pénombre des âmes,aucune nouvelle ne portant ce titre choisi par Schnitzler en personne,prouve encore une fois que ce vivier littéraire estampillé Mitteleuropa était décidément une mine.Cet homme avait parfaitement compris la poudrière austro-hongroise et son crépuscule annoncé,eu égard à son éducation très classique de fils d'un grand spécialiste médical,en butte à la longue hostilité de son père envers ses ambitions littéraires.Arthur Schnitzler ne se sentit d'ailleurs vraiment libre qu'à la mort de ce père qui l'avait obligé à des études de médecine et de psychiatrie qui ne satisfirent jamais totalement l'auteur de Mademoiselle Else,passionné par l'écriture et plus encore par le théâtre,expression reine dans la Vienne fin de siècle.

         Une dizaine de nouvelles dans La pénombre des âmes,toutes marquées du sceau de l'inéluctable,de la mort,belle ballerine viennoise qui hante le Ring et les soirées.La camarde ici se veut élégante,au détour d'un duel ou d'un suicide,car il n'est de belle compagnie qui ne se quitte.De très beaux tableaux de cette vie viennoise,l'on y sent obscurément que les temps changent.Bien sûr les adultères y sont essentiellement bourgeois,les cochers de fiacres restent à leur place,les officiers supérieurs ouvrent le bal.On s'aime et on se déchire allégrément et surtout on meurt bien à Vienne,une mort trois étoiles pour sauver un honneur,ou d'une maladie post-romantique,et on veut que sa mort bénéficie si,possible d'une belle mise en scène.Dans La mort du vieux garçon ce dernier laisse une lettre où il confesse cinq liaisons avec les femmes de cinq amis qu'il convoque après son dernier soupir.Dans Les morts se taisent Emma abandonne le corps de son amant et fuit le scandale avant une probable rédemption devant son mari universitaire,que Schnitzler nous laisse orchestrer. Immense écrivain,Arthur Schnitzler fait de nous des Viennois d'adoption.Promenons-nous donc au Prater,les équipages y sont gracieux.

Des nouvelles d'Arthur

26 novembre 2012

Immédiate après-guerre,froide

CAPE%20ET%20POIGNARD

             Je découvre vraiment tard ce film de Fritz Lang que l'on rattache volontiers aujourd'hui à sa série antinazie, Chasse à l'homme, Les bourreaux meurent aussi, Le ministère de la peur.J'avoue avoir longtemps pensé que Cape et poignard était un film de cape et d'épée.Cape et poignard était en fait le surnom de l'OSS,ancêtre de la CIA.Gary Cooper y interprète un savant américain inspiré de Robert Oppenheimer.Ce film est l'un des premiers à évoquer le péril nucléaire.En fait il est sorti une fois la guerre finie, climat de guerre froide s'installant vite, ce film s'inscrivit parfaitement dans la logique post conflit.

          Gary Cooper,alors une icône,prête sa longiligne silhouette d'honnête homme à la Capra et d'Américain noble et démocrate expédié en Europe pour la juste cause.Rappelons ici que Fritz Lang était citoyen des Etats-Unis depuis 1935.L'assassinat d'une chimiste hongroise pourtant réfugiée en Suisse,qu'Alva Jasper admirait,l'entraînera en Italie pour poursuivre la lutte aux côtés de patriotes italiens et d'un professeur dont la fille est prisonnière des nazis.Pas flagrant de vraisemblance le film recèle pourtant au moins une perle,une bagarre muette magistrale entre le héros et un traître,l'une des plus réussies que j'aie vues.De plus,comme cela arrivait souvent en ces années où le final cut n'appartenait pas au metteur en scène,la fin est bien moins ambigüe que ce qu'avait voulu faire Fritz Lang.

         Lang qui figurerait,semble-t-il,un peu plus tard sur une liste grise,avait travaillé sur Cape et poignard avec Albert Matz et Ring Lardner Jr qui deviendraient deux des Dix d'Hollywood ,condamnés par la " chasse aux sorcières maccarthyste", cette période beaucoup plus complexe qu'on ne la raconte parfois sommairement.A mon sens il est assez difficile de se faire à ce sujet une opinion d'acier.Voir un film de Fritz Lang reste de toute façon un plaisir de cinéphile et,plus simplement,de spectateur.

17 avril 2017

Géographie: San Francisco, Californie

 Golden_Gate_Bridge

                                      Il fallait un point final à ce long périple et nulle autre cité que Saint François ne se prêtait mieux à conclure. Tin Pan Alley est le nom que l'on donne à cette musique américaine, de la rue, des champs de coton, des bouges du Sud, des usines du Nord, du coeur agricole du pays, cette musique qui a changé ma vie, l'a bouleversée. Du blues de Memphis, du zydeco d'Orleans, de Tamla-Mo(tor)town de Detroit, du grunge de Seattle, du country de Nashville, du flower de Frisco, des riffs urbains de Chicago. Mais ça je l'ai dit mille fois. Alors ce vieux bus Greyhound en reste là, un peu fatigué, devant le Golden Gate. Il n'en est pas une pièce qui ne ne recèle un trésor, un arpège, deux lignes, trois accords. Tous ont fait une partie du prix de  ma vie. Merci.

 

                                        Des centaines de chansons sur Frisco. J'ai choisi l'une des plus anodines, un groupe fabriqué pour la cause, qui n'eut guère que ce succès, mais planétaire. Let's go to San Francisco with The Flower Pot Men. Parce que même les plus simples des refrains ont compté. Je vous épargne une vidéo de 2008 où ils reprennent assez tristement en play back ce tube de 68. Fuckin' bloody time! Mais je vous offre, en au revoir de cette si longue rubrique voyageuse, l'ami Johnny Winter, que j'ai vu à Paris il y a vingt ans, et qui nous parle, justement de Tin Pan Alley.

 

                                           End of the line/ Tout le monde descend. Mais Tin Pan Alley was the place to go.

 

 

Publicité
30 mars 2015

Six cordes, vingt-quatre images/5/J'ai engagé un tueur

 Strummer

                                                                   Pas moins de trois légendes dans cette drôlatique et nordique balade en absurdie. Trois grands sobres, trois joyeux drilles, trois qui comptent. Bien sûr pas simple de faire entrer Mrs. Aki Kaurismaki, Jean-Pierre Léaud et Joe Strummer dans des cases bien définies. N'essayez pas. Jubilez seulement.

J'ai engagé un tueur,  Aki Kaurismaki, 1991, Jean-Pierre Léaud, Serge Reggiani, Margi Clarke, Joe Strummer

 

 

26 août 2013

Ol' Man River, de boue et de sang

 missi

                             Voilà un roman de type plutôt traditionnel qui a obtenu un vif succès en Amérique.Avec Hillary Jordan on retrouve le Sud,celui d'Erskine Caldwell bien que la vie évoquée soit ici un peu plus tardive. Sans la truculence paillarde du Petit arpent du bon Dieu ou de La route au tabac. Mais avec autant de racisme, de violence et de boue. Le titre original Mudbound est à ce titre plus explicite. Henry et Laura cultivent une petite ferme dans le Mississippi. Autour d'eux une famille de métayers noirs, les Jackson dont le fils Ronsel vient de rentrer de la guerre en Europe ainsi que Jamie, le frère de Henry,de presque vingt ans plus jeune,plus jeune d'une guerre on va dire.Et puis Pappy,leur père qui vit dans la très modeste maison,vieux grigou adepte du Klan.Et un monde souvent féroce pour les noirs dans ce Sud peu enclin au mélange des genres, féroce aussi pour ceux qui ne détestent pas assez les descendants d'esclaves.

                      Mississippi, classiquement, donne la parole alternativement aux principaux protagonistes. On a souvent vu ça. L'histoire se déroule, un peu trop attendue cependant, vers le drame inévitable, sans forcément trop de vraisemblance.Les retours de guerre sont difficiles,ça aussi c'est un passage à peu près obligé dans ces romans américains ruraux où la réadaptation est chose presque impossible. La traduction fait parler les noirs petit nègre. Je n'ai jamais aimé ça bien que ça soit logique dans ce type de récit .Ces inconvénients n'empêchent pas une histoire rondement menée à laquelle on peut prendre plaisir. Pourtant il me semble que Gérard Collard, le célèbre libraire qui donne son avis un peu partout et n'exprime que lui-même, il faut le dire et le redire, s'enflamme un peu beaucoup tout comme les jurys littéraires américains quand ils parlent d'un des romans de la décennie. Je n'irai pas si loin et Dédale de Biblioblog, lui ,va encore moins loin.

                          Dernière perfidie de ma part envers ce livre qui m'a pourtant plu mais ne laissera guère de traces:pour la vie dans le Delta n'importe quel vieux blues m'en conte beaucoup plus en trois minutes. Par exemple Robert Johnson avec ce Blues de la crevette morte.

http://www.biblioblog.fr/post/2010/08/02/Mississippi-Hillary-Jordan

22 juin 2014

Nuit dans les jardins d'Islande

stefab

                                          Troisième tome de la somme romanesque d'exception de l'Islandais Jon Kalman Stefansson. L'ensemble tient du prodige littéraire mais du prodige un peu fatigant sur lequel il faut embarquer avec biscuits et morues salées. Si des néophytes veulent s'y aventurer je me permettrais un tuyau, disons deux. Un, notez les noms des personnages et leur situation, car ils sont nombreux et les prénoms islandais sont souvent difficiles à identifier comme ceux d'un homme ou d'une femme.Et deux, lisez les trois volumes, Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le coeur de l'homme presque dans la foulée. Car au pays de Stefansson, en passe de devenir un auteur cultissime pas forcément très lu, la recherche du plaisir littéraire nécessite du souffle, de bonnes chaussures, une vareuse à ne pas oublier (voir premier tome) et un pylore pas trop regardant sur le macareux boucané, que personnellement je goûte assez peu.

                                         Nous retrouvons le gamin rescapé d'un long voyage dans le nord-ouest du pays. Reprenant peu à peu ses forces chez le médecin, il doit songer à repartir. Et c'est le relatif printemps islandais. La communauté se querelle et se déchire parfois, les forces océanes y sont toujours cruelles, les scrupules tout aussi rares que sur n'importe quel continent. Beaucoup de personnages, je l'ai déjà dit, dans cet opéra de glace, j'y trouve parfois des relents wagnériens, les légendes nordissimes à fleur de pages. Une amazone prête à s'expatrier, un frère presque oublié, le vieux capitaine, Kolbeinn, aveugle et fataliste.Des femmes souvent fortes au nom imprononçable, et le gamin qui n'en est plus un, confronté au labeur immense,à la dépendance halieutique, à l'exil danois ou plus loin encore. Un monde extraordinaire, éprouvant parfois pour le lecteur. Un de ces ensembles romanesques qui vous laissent un peu pantois et pantelants, comme assommés par un sac morutier congelé, qui en ces latitudes fait office d'arme assassine, de couche clandestine,de ration de survie.

                                         Moyen mnémo pour retenir cet objet littéraire léviathanesque, mais aussi résumé à ma manière de l'ampleur de cette littérature: Tout là-haut, Entre ciel et terre La tristesse des anges fond sur Le coeur de l'homme. Allez, Bless! (au revoir en islandais, pour une fois quelque chose de simple).

Poésie meurtrière Entre ciel et terre

La lyre d'Islande La tristesse des anges

 

17 décembre 2014

Barocco

Sorentino

                                      J'ai lu sur ce roman des critiques très favorables et je les trouve exagérées. Mais c'est un roman foisonnant qui recèle des moments vraiment excellents. Tony Pagoda, crooner napolitain plus de toute première fraîcheur, traîne son ennui chronique malgré le succès. Le succès, bon, c'est pas Sinatra non plus. Son couple en est à l'heure zéro, multicocaïné Tony ne rebondit plus guère, sex addict doucement en voie de garage, le latin lover sur le retour file un mauvais coton. Lire tout ça n'est pas le plus intéressant du livre. Mais Ils ont tous raison se sauve par une rage, une rage vacharde d'humour, une férocité qui apparaissait déjà chez le Sorrentino cinéaste de La grande bellezza, cette oeuvre protéiforme et comme enfantée par Fellini et Moretti.

                                      Tony Pagoda finit par jeter l'éponge et se retrouve au Brésil où il vivra dix-huit ans, en ce pays de démesure. Manaus, Amazonie, capitale mondiale du cafard mais alors du cafard XXL, du cafard de prestige, du cafard de très haute volée. Quand il raconte ses démêlés avec l'insecte géant, on le sent admiratif, le Tony. Et puis c'est un sacré conteur, le gars, une rencontre avec Sinatra qui tourne court entre deux plus qu'éméchés, une extraordinaire scène à l'opéra de la jungle, digne du Fitzcarraldo de Werner Herzog, une bagarre homérique dans un bouge d'une favela, le comble du snobisme pour un monstre sacré de l'art lyrique dont il fait la connaissance. Tout ça sur fond d'overdose tant sexe que drogue à tel point que j'ai un peu une overdose d'overdoses. Lassant.

                                      Sur le plan littéraire quelques trouvailles "Un jour, on n'est plus que le lumignon de soi-même". Quelle clairvoyance. Tony s'égare parfois dans les confidences qu'il nous fait, sur sa famille et ses amis musiciens. Hilarantes les relations entre un cousin avocat plus qu'obèse et bourré d'angoisses et son beau-frère magistrat proche du nabot et bourré, lui, de complexes. Paolo Sorrentino et sa créature Tony Pagoda ont de la famille à l'italienne une conception très particulière.  Alors, vieux cinéphiles que nous sommes, on pense aux Monstres, à Affreux, sales et méchants, à ces films délicieux et arbitraires, géniaux et dérisoires, si proches malgré les Alpes qui n'ont jamais empêché chez moi une italianité qui revendique le droit, aussi, au mauvais goût, et un soupçon de misanthropie, moins cependant que dans l'extrait suivant:

                                     "Tout ce que je ne supporte pas a un nom.(...) Je ne supporte pas les joueurs de billard, les indécis, les non-fumeurs, les imbéciles heureux qui te répondent "pas de souci", les snobinards qui pratiquent l'imparfait du subjonctif, ceux qui trouvent tout "craquant", "trop chou" ou "juste énorme", ceux qui répètent "c'est clair" pour mieux t'embrouiller (...), les fils à papa, les fils de famille, les enfants de la balle, les enfants des autres (...), les tragiques, les nonchalants, les insécures (...), les gagnants, les avares, les geignards et tous ceux qui lient facilement connaissance (...).Je ne supporte rien ni personne. Ni moi. Surtout pas moi. Je ne supporte qu'une chose.La nuance."

                                       Quant à Tony Pagoda, finira-t-il par se laisser convaincre d'un retour au pays natal,ça le mènerait vers une Italie où les monstres et les histrions sont bien plus dangereux que ceux des films de Dino Risi? E pericoloso..., et ça, le Napolitain Paolo Sorrentino le sait mieux que quiconque.

27 décembre 2015

Derniers films 2015

logo_cinequai02

                                 En vrac quelques mots sur quelques films vus en décembre. Le dernier ciné-débat 2015, presque hasard, portait sur le Macbeth de Justin Kurzel avec Fassbender et Cotillard. Ayant un peu vécu avec Shakespeare pendant quelques mois c'était l'estocade pour en finir (momentanément car on revient toujours à Shakespeare). Moyennement apprécié du public et de moi-même ce flot de sang écossais, hypertrophié d'hémoglobine et de ralentis, a le mérite de restituer le texte dans un fracas d'armes parfois plus proche de Mad Max que de Welles ou Kurosawa. Pourquoi pas?

                                Le très dithyrambé (une hérésie linguistique) Fils de Saul du Hongrois Laszlo Nemes m'a paru plus bruyant que vraiment brillant mais il semble que je sois l'un des seuls à trouver ce film surestimé. Ou une relative claustrophobie m'a-t-elle disqualifié pour cette oeuvre?

                                Le premier film guatémaltèque de ma carrière de cinéphile, Ixcanul (Le volcan), de Jayro Bustamante, est une jolie réussite. Miracle, je n'étais pas seul dans la salle pour apprécier ce film presque documentaire qui nous éclaire sur ce sous-continent centraméricain si méconnu. Sur un thème archiclassique, une jeune fille veut fuir sa condition et gagner la ville, c'est une belle incursion surtout sur les rapports des paysans avec la nature et leurs croyances bien éloignées de notre eurocentrisme.

                                 Spielberg bon crû avec Le pont des espions, tendance Guerre Froide, mais distancié, avec l'humour qui n'est pas chez John le Carré par exemple. Et cet incorrigible Steven nous emporte comme le faisait Frank Capra. D'ailleurs Tom Hanks n'est-il pas l'honnête homme, voire un peu naïf, comme l'était James Stewart? Sur ce film Le PONT des ESPIONS est le très bon article de Princecranoir. Et Derrière le mur est celui, tout aussi intéressant de Martin 1001 bobines.

                                 Francofonia, le Louvre sous l'Occupation, nest pas comme on le croirait l'affrontement-amitié de deux hommes de culture dans le Paris de la guerre. Alexandre Sokourov  et sa mise en scène si personnelle et qui peut ne pas plaire nous invitent à une réflexion sur la place de l'art dans l'histoire. Souvent austère, ne craignant pas les chocs spatio-temporels, déstabilisant, ce film remarquable d'intelligence et d'originalité a cependant à mon sens l'inconvénient d'officialiser en quelque sorte la scission du cinéma contemporain, divisant le public en deux parties. A noter que les deux parties sont d'inégale taille. J'étais seul pour voir Francofonia.

                                 Seul par contre je n'étais pas lors de Star Wars,le réveil de la force. Vu avec mon fils et son fils de neuf ans, ce qui est normal quand on sait l'importance de la filiation dans la saga. L'aventure se poursuit donc et je suis content d'en être, un peu perdu au début, mais vite remis en selle par tous ces personnages et J.J.Abrams est un parfait successeur de Maître Lucas. Beaucoup de bruit pour...quelque chose de pas mal du tout. Dès le début 2016 je reviendrai et une bonne année je vous souhaite.

mac

Le_Fils_de_Saul

ixcanul5

pont

francofonia_le_louvre_sous_l_occupation_affiche

Star-Wars-VII-Cast

 

 

 

9 janvier 2016

Sandor sur ses lauriers

 nUIT

                                  Neuvième lecture de Sandor Marai, et ma passion pour cet écrivain ne se dément pas, bien au contraire. Du côté de Stockholm il fut souvent évoqué mais non... Justice (c'est le cas de le dire avec La nuit du bûcher) lui est rendue car l'action se passe à Rome où un carme espagnol, 1598, prend en quelque sorte des leçons d'inquisition pendant quelques mois. C'est que les hérétiques sont nombreux en cette fin de XVIème Siècle et que l'Eglise veille au grain. Je suis donc resté à la même époque que mon dernier livre chroniqué, La Religion. Epoque troublée, mais toutes les époques ne le sont-elles pas? Sandor Marai, qui eut maille à partir avec le régime de son pays, a pas mal voyagé avant de décider de son ultime destination, choisissant la nuit en 1989 aux Etats-Unis. En 1974 c'est en Italie qu'il vivait lors de l'écriture de La nuit du bûcher.

                                  Même si Bernardo Gui, le sinistre Grand Inquisiteur du Nom de la Rose, est évoqué c'est deux siècles plus tard que Marai a situé l'action de ce beau roman. L'auteur hongrois qui a beaucoup écrit sur les derniers conflits a également souvent utilisé l'Histoire, Casanova par exemple dans La conversation de Bolzano.Le moine d'Avila est ainsi éduqué aux méthodes du Saint-Office pour faire avouer les hérétiques. C'est que c'est tout un art dans cette Rome où la délation va bon train, où l'on se dévisage plus que de raison, et où les orthodoxes de mardi peuvent devenir les déviants du jeudi. C'est en fait une longue lettre qu'écrit ce moine à son frère Urbain, dans laquelle il revient sur son accueil romain, son initiation près des confortatori, des prêtres mais aussi des notables réunis en une confrérie, et chargés de fortifier l'espoir des condamnés, bénévolement par charité chrétienne ou parfois par curiosité et voyeurisme.

                                 Le moine (on ne sait pas son nom) sera finalement admis à l'ultime nuit d'un des plus célèbres "giustiziabili", Giordano Bruno, qui malgré sept années de geôle et de torture ne se sera jamais repenti. La doctrine de Giordano Bruno n'est pas l'objet du livre. Mais le questionnement du moine, ses hésitations, ses doutes, ainsi que l'influence de l'écrit suite à la diabolique invention de l'imprimerie, sont par contre au centre du roman de Sandor Marai, lui aussi victime en d'autres temps de régimes inquisiteurs. En cela La nuit du bûcher est parfaitement en phase avec toute l'oeuvre de cet auteur, pour moi plus que majeur, de la Mitteleuropa si riche en bouleversements et en écrivains.

La nuit du bucher de Sándor Márai vous donne l'avis d'Yspaddaden. Je le partage bien volontiers.

Huit autres romans de Sandor Marai ont fait l'objet de chroniques ici-même. 

24 mars 2016

Ma B.D. annuelle

9782344007297-L

                               Ca m'a toqué mais ça me toque pas souvent. L'élue de cette année est  Darwin, tome 1, A bord du Beagle, scénario Christian Clot, dessin Fabio Bono. Le voyage du tout jeune Charles Darwin est une des grandes odyssées de l'humanité. Agé de 22 ans, celui qui va révolutionner la pensée n'a aucune expérience maritime. Le capitaine Fitz-Roy, jeune lui aussi, commande à bord du HMS Beagle. Nous sommes en 1831 à Plymouth et cette expédition de deux ans va en durer cinq, et elle va accessoirement changer le monde. Les deux hommes vont s'apprécier et Darwin qu'on imagine toujours à la barbe blanche de sage vieillard se révèle un jeune homme facétieux qui n'a pas été si brillant dans ses études et préférant de loin la chasse à l'université. Mais Charles Darwin a une  qualité, pas si fréquente. Il est curieux de tout et se passionne pour la nature. Vous connaissez la suite.

darwin002

                                 Ce bel album ne conte que les préparatifs du voyage et les premières investigations qui nous mènent, après bizutage en régle au passage de l'Equateur, à Salvador de Bahia. Les planches animalières sur la faune d'Amérique du Sud sont splendides et l'arrivée en Terre de Feu réserve des surprises. La campagne anglaise, le port, la vie à bord sont magistralement reconstituées. Peu connaisseur de ces publications, je trouve à cet ouvrage un classicisme et une pédagogie très réjouissants.J'espère lire le second tome bientôt.

10 avril 2016

Le cinéma, c'est aussi ça

My-Skinny-Sister_r-226x300

affiche

                                Dans un cadre associatif un public nombreux a vu le très beau et très plausible My skinny sister, film suédois de Sanna Lenken. L'anorexie et plus généralement les troubles de l'adolescence y sont cernés magistralement à travers le regard de Stella, douze ans, admirative de sa grande soeur Katia, patineuse prometteuse, mais qui verse dans le refus et le déni, et file un coton bien inquiétant. Sanna Lenken, 37 ans, a vécu elle-même des moments un peu similaires et sait ce qu'elle filme. Les parents, maladroits, quels parents ne le sont pas, c'est Stella qui finit par mieux appréhender la question. C'est beaucoup grâce à elle que l'espoir renaît. J'ai rarement vu une telle acuité concernant les relations entre deux soeurs.

                               Débat intéressant et concret mené par médecins et psychologues avec excellente réception du public, tant il est vrai que ces pathologies universelles concernent tout un chacun. On a pu ainsi mesurer le désarroi et la détresse de certaines familles. On en sort un peu moins ignorant même si c'est souvent dans ses propres murs qu'on est le moins "observateur".

                               L'homme qui répare les femmes, proposé par les animateurs de Ciné-philo, est un beau document belge sur le Congo, ex Zaïre, ex Congo Belge, actuellement République Démocratique du Congo, appellation non contrôlée. Denis Mukwege est le chirurgien qui soigne les innombrables filles et femmes violées et mutilées par les multiples milices qui sévissent dans le pays. Le viol, arme de guerre et de destruction sociale, est une grande tradition de l'humanité. Prix Sakharov, le Dr. Mukwege est peut-être moins le héros de ce film que les femmes congolaises qui le soutiennent et ont exigé son retour au pays, devenues de vraies activistes de la paix. Le film de Thierry Michel est évidemment un témoignage majeur. Mais comme sont décevants ces débats où très vite apparaissent des condamnations très convenues où les responsables sont tout trouvés et où on finit par presque exonérer les culpabilités individuelles. Sans parler de certaines récupérations qui me mettent toujours très mal à l'aise. Et de cela il est très difficile de débattre.

                              

21 septembre 2016

Transamerica (dédié à Asphodèle)

 derniers-feux1

                              Je n'avais lu de Stewart O'Nan que l'excellent Des anges dans la neige La neige en deuil mais me suis précipité dans ma petite librairie qui peine avant même la sortie du roman West of Sunset qui trace le portrait de Scott Fitzgerald lors de ses dernières années. Le titre déjà m'enchantait. Le mot Ouest à lui seul me fascine, couchant, crépuscule. Du coup c'est un bien joli pléonasme que West of Sunset, ou Derniers feux  sur Sunset. Même les cinéphiles moyens acquiesceront sur Sunset Boulevard, qui rappelons-le, commence par un cadavre dans la piscine. Mort et luxe sur la Côte Ouest.

                              Paradoxalement en cette année 1937 c'est le luxe qui est bien mort pour Fitz. Loin, si loin, les triomphes du Great Gatsby, la Côte d'Azur et les palaces parisiens, la folie jazz. Même Hem l'ami rival de la Closerie des Lilas a pris ses distances. Quant à la belle Zelda, elle s'empâte et déraisonne dans un asile de Caroline du Nord. Ruiné, abruti d'alcool, Scott n'est qu'un rameau desséché incapable de payer les soins de Zelda et les études de leur fille Scottie. Prince déchu, il n'a que 40 ans.

                             Grandeur et décadence ou mieux, enfin pire, gloire et déchéance, resteront les étoiles contraires de Scott Fitzgerald. Et c'est bien à Hollywood la perverse qui dévore ses enfants que se jouera le dernier acte. Il y tente de se refaire une (maigre) santé financière. Pour la santé tout court sait-il qu'il est déjà tard? Vaguement engagé comme scénariste, il n'apparaîtra quasiment jamais dans les génériques. On appelle ça uncredited. Et c'est bien vrai qu'il manque de crédit, de toutes sortes de crédits. Il faut savoir que les moghols du cinéma faisaient retoucher certains films par six ou huit scénaristes différents. Faulkner ou John O'Hara n'ont guère été mieux traités. Mais vous savez tout cela si vous faites partie des nombreux Européens à entretenir la flamme et le culte fitzgeraldiens.

                             Stewart O'Nan chronique les dernières années de l'ancienne coqueluche jet set avec beaucoup d'humanité, bien loin de l'hagiographie. Sa liaison avec Sheilah Graham, journaliste mondaine ne lui donne pas le beau rôle. Dorothy Parker, l'écrivain Thomas Wolfe (Genius, film récent le fera peut-être un peu plus lire en France), le grand metteur en scène Mankiewicz, mon patron Humphrey Bogart nanti de sa troisième femme, il y a mieux pour la sobriété. Fitz court le cachet, mais le fric n'arrive plus et l'auteur décrit fort bien la spirale des dettes version dernier nabab. Scott, le plus fragile de cette Lost Generation, est en approche finale. Le roman est très attachant, très explicite sur le mirage hollywoodien, et sur ce grand boulevard qui mène au crépuscule. C'est un beau livre, Fitz y est ordinaire, c'est un grand compliment.

                            Pensant à Gstaad et Saint-Moritz, "Pourquoi le passé était-il toujours à double tranchant, ou bien la faute en était-elle au présent, si médiocre et si vide?"

                             A propos de sa relation avec Sheilah, vacillante, "Il avait du mal à accepter qu'ils ne soient plus un couple divertissant".Tout est dit, non?

                            Abus de name dropping de la part de Stewart O'Nan, diront certains. Pas faux et les surnoms, les diminutifs de la faune hollywoodienne peuvent alourdir le texte, notamment pour les "un peu moins" cinéphiles. Défaut mineur pour cette histoire d'un écrivain célébré, ignoré. Gatsby était la version Océan Atlantique, dorée mais fragile, destin tragique. Fitzgerald, les yeux vers le Pacifique, ne mourut surtout pas en pleine gloire. Un trajet américain...

15 août 2017

Leo, l'as-tu lu?

CVT_La-Neige-de-saint-Pierre_9994

                                Jamais Leo ne m'a déçu. Il est dans mes tout premiers compagnons de lecture, en compagnie de ma fidèle colectrice Valentyne (La neige de Saint Pierre – Leo Perutz) , cette fois pour La neige de saint Pierre, neuvième livre de cet auteur juif autrichien en ce qui me concerne. Valentyne  a-t-elle été convaincue? Je considère Perutz (1882-1957, né à Prague, ayant vécu à Vienne, exilé à Tel-Aviv, une vie bien remplie) comme un des conteurs les plus importants de ma chère Mitteleuropa qui m'a déjà donné tant de bonheurs littéraires. Sous ce titre énigmatique (mais Perutz a souvent des titres curieux, Où roules-tu, petite pomme? ou Le Cosaque et le Rossignol ou Le miracle du manguier, découvrez-les, ça vaut le coup), se cache une découverte biologique explosive dont je vous laisse la surprise. Sachez cependant que le livre fut interdit par le pouvoir nazi dès sa parution en 1933.

                              Allemagne années 30. Dans le modeste village de Morwede, au fin fond de la Westphalie, quelques personnages, Amberg, jeune médecin engagé par le baron von Malchin, une séduisante collaboratrice, d'origine grecque, Kallisto dite Bibiche, oui, un aristo russe ruiné par le bolchevisme, un curé de bonne volonté, tout ce petit monde, dans le sillage du baron, joue en fait à l'apprenti sorcier. Et que va-t-il sortir de cette sorte de chimie? Une drogue surpuissante qui permettrait la manipulation de tout un peuple? Vous comprenez maintenant le pilori national-socialiste pour ce roman un peu brûlot et d'ailleurs pour tant d'autres.

                             Du laboratoire du baron une sorte de virus des céréales, champignon, parasite, je ne sais exactement, pourrait bien changer le monde. La neige de saint Pierre (l'un des nombreux noms de cette lèpre) est évidemment une fable annonciatrice et le baron Malchin poursuivant des buts douteux et un délire mégalomaniaque rappelle quelqu'un. Souvent drôle, parfois hallucinant, ce livre s'apparente aussi au roman d'investigation, voire d'anticipation, où Jules Verne aurait croisé Jorge Luis Borges. Je suis un inconditionnel de Leo Perutz, cela ne vous aura pas échappé. Notamment pour sa façon de prendre à bras le corps toute l'histoire tourmentée de cette Europe Centrale dont le baron voudrait restaurer la grandeur quitte à lorgner vers une tyrannie qui ne hante pas  seulement les fictions littéraires. Pour l'imagination faites confiance à Leo.

                             Cette maladie des céréales s'appelait en Espagne le lichen de Madeleine, en Alsace la rosée des pécheurs, à Crémone le blé de la miséricorde, à Saint Gall le moine mendiant, dans les Alpes la neige de Saint Pierre, en Bohème la moisissure de Saint Jean,, chez nous en Westphalie le  feu de  la Sainte Vierge.

                            

                          

12 août 2018

L'hiver de notre plaisir, version orignal

bass

                          En lecture commune avec Val (Winter – Rick Bass), c'est en pleine canicule que j'ai lu Winter, récit de Rick Bass sur son installation fin 1987 dans le Montana. Et rien que voir la couverture du livre semblait rafraichissant. J'aime bien cet écrivain dont j'ai déjà savouré cinq autres oeuvres, dont Le ciel, les étoiles, le monde  sauvage et La décimation. Avec son épouse Elisabeth, et Homer et Ann dont il faut préciser qu'is sont chiens, ces premiers mois au Nord-ouest sont un peu difficiles pour ce Texan. Le climat, à deux miles du Canada, n'est pas précisément le même qu'à Houston. Et ce journal de bord de septembre à mars est une ode à cette saison si marquée. Rick Bass n'est lui-même qu'en hiver. C'est ce que l'homme découvrira dans ce pays extrême, sans électricité ni portable, où une poignée d'hommes vivent l'essentiel.

                          L'essentiel c'est le bruit de la tronçonneuse, amie quotidienne quand il s'agit de faire la fête àces mélèzes géants, déjà morts mais indispensables sous ces latitudes. Rick Bass nous fait vibrer comme ces engins parfois dangereux. Les gens de là-haut n'y pratiquent pas le célèbre massacre avec cet instrument mais emmagasinent soigneusement le bois. L'essentiel c'est la trace d'un ours dodelinant vers l'hibernation, celle des wapitis, ces grands cerfs se raréfiant, le bruit d'enfer des rameaux d'orignal dans la forêt. L'essentiel c'est le doux bruit, bien que graisseux, de la camionnette hors d'âge qui permettra in extremis de ne pas passer la nuit dehors. Winter n'est cependant pas un précis de géographie, botanique ou zoologie. Plutôt un constat de la vie ensemble en milieu naturel, ou presque. Enfin ensemble avec des voisins pas trop proches. Ce qui n'empêche pas une solidarité discrète et presque muette car le silence fait partie du décor. Une vie à hauteur d'hommes, à scruter les environs, avec un sens du corps et de l'effort physique, alors même que Rick Bass, dans sa serre mal chauffante, écrit cette saison blanche au jour le jour.

                         On peut bien sûr rattacher si l'on veut Rick Bass à l'école dite du Montana, la Montana connection, et à la Nature writing. Ce genre de tiroirs a peu d'intérêt. Disons simplement que j'ai lu avec pas mal de plaisir beaucoup d'auteurs qui ont traîné leurs boots dans ces coins-là. Certains sont des Indiens, d'autres non. Vous voulez quelques noms? Welch, McGuane, Harrison, Crumley, O'Brien, Watson, Alexie. Quelque chose me dit que Val a dû apprécier. A l'heure où je termine ce billet, je l'ignore. Mais je lui propose de chausser les raquettes direction U.S.A North-Northwest.

15 novembre 2018

L'épopée de Vigdis

le coeur

                               Je ne connaissais pas du tout cet auteur belge. Quelle révélation! Le coeur converti est un roman superbe où Stefan Hertmans mène l'enquête sur la fuite, au Moyen Age, d'une jeune chrétienne avec un fils de rabbin. Fin du XIème siècle, parti de Rouen pour rejoindre la communauté juive de Narbonne, le couple en fuite va se trouver poursuivi par les soldats chrétiens à la solde de son père normand. Elle s'appelle Vigdis, et blonde nordique, va changer de nom, Sarah d'abord, puis Hamoutal, après avoir épousé David. Leur voyage les ménera dans le village vauclusien de Monieux, dans une bien rude arrière-Provence.

                              C'est aussi dans ce village que vit une partie de l'année Stefan Hertmans, auteur néerlandophone d'une prose lyrique et somptueuse qui amalgame la grande histoire, celle des invasions et des pogroms, celle aussi des religions. La documentation pourtant impressionnante n'est jamais écrasante et l'héroïne est bien réelle à nos yeux. Femme qui conquiert une certaine liberté mais se heurte bien vite aux intolérances de tous ordres, Hamoutal aura le destin, tout de violence et de mystère, qui sied à ce qui est aussi un roman d'aventures.

                              Ceci n'empêche pas Le coeur converti de nous éclairer sur la vie au quotidien d'une petite communauté juive au début des croisades ou sur les voies  de communications du nord et sud, puisque la fuite d'Hamoutal nous entraîne jusqu'à Fustat Misr (Le Caire). Juive par son mariage, les yeux bleus des Vikings, ballottée par le destin, mère d'enfants qui lui échappent, elle connaitra une vie tumutueuse et bien peu de répit. Prodigieusement documenté, ce roman se base aussi sur quelques rares traces écrites véritables et l'authenticité de ce roman historique (j'hésite car c'est souvent un peu péjoratif) est indiscutable. Stefan Hertmans a refait ce périple, au plus près de Vigdis malgré les siècles.

                              Ecoutez commme il parle du grand fleuve. Le Nil est tel une fleur de lotus, disaient les anciens; la vallée au sud est sa tige, le delta au nord sa fleur galbée, et la plaine de Fayoum est comme un bouton de fleur fermé sur sa grande tige. Hérodote considérait l'Egypte comme rien de moins qu'un cadeau du Nil; mais ce lotus géant, qui avait insufflé la vie à l'Egypte, était aussi un organisme violent, mortel. Ou de Cambridge, Angleterre, en 2018. Sur la rivière des guides à bord de leurs punts-des petites barques qu'ils font avancer en enfonçant une perche dans l'eau peu profonde de la Cam-font de leur mieux pour imiter Venise. Telle est la vie des vieilles élites, un peu étrangère à ce monde et charmante, on est au centre de cercles civilisés anciens qui s'obstinent à prétendre que la moitié du monde n'est pas en feu.

                           Le coeur converti est l'un des plus beaux romans de l'année à mon avis. Et c'est un livre qui s'adresse à tous, intelligent et érudit, tonique et émouvant.

                             

9 mai 2019

In the name of rock/ Annie

 600x600bf

                            Je me souviens d'une ou deux Annie. Ca sonne pas très blues, Annie. Et elles ne sonnaient pas très rock non plus en ce temps-là. C'était une ére rock, terriblement macho, et vous savez quoi, c'est pas bien, mais ça me plaisait comme ça, introverti et timide que j'étais. Le mélange m'effrayait. Rassurez-vous, ça a changé un peu plus tard. Ce qui m'a permis de prendre des coups, et d'en donner. De vivre, en quelque sorte.

 

                             La Polk salad Annie de Tony Joe White (et de Presley et bien d'autres) est une modeste fille du Sud. Mais bon sang comme un peu de swamp rock, un peu de bayou, ça fait du bien. J'ai peu trouvé d'autres Annie sauf celle de Canned Heat. Mais celle-ci ne carburait pas à la salade verte (Amphetamine Annie).

 

 

 

3 décembre 2018

Brèves de ciné-clubs

A la recherche

cold

styx

                                Bien sûr le docu de Von Trotta sur Bergman n'a rien d'un blockbuster. Mais nous avons tenu à le proposer à notre ville. Et bien nous en a pris, A la recherche d'Ingmar Bergman a été bien reçu. Même s'il n'a pas été reçu par 300 spectateurs, avouons-le. Mais je crois que revenir parfois sur le patrimoine fait partie d'une politique culturelle du cinéma cohérente. Les gens n'avaient certes pas vu tout Bergman, moi-même je n'en ai vu qu'une petite moitié. Mais ils ont apprécié le document, assez grand public et assez généraliste pour revenir brièvement sur la personnalité du maître suédois. Pas d'analyse filmique pointue, il aurait fallu une semaine, mais un portrait attachant d'un personnage majeur du cinéma, pas facile ni en public ni en privé. Si le film a pu convaincre quelques-uns que ça valait le coup de fouiner un peu dans l'oeuvre de Bergman la soirée aura été bénéfique.

                               Nettement plus de monde pour Guerre froide (je refuse dorénavant quand c'est possible le titre anglais), beau noir et blanc sur l'amour d'un pianiste et d'une chanteuse dans l'Europe des années cinquante-soixante. Pavel Pawlikowski dépeint quinze ans de deux vies, meurtries par des histoires de frontières et de surveillance, de trahisons et  de privations. Il a dédié le film à ses parents dont c'est un peu l'histoire. C'est que, même froide, la guerre fait bien des dégâts collatéraux. Et la Pologne de l'après-guerre n'a pas connu de lendemains enchantés malgré les tournées des ensembles folkloriques en Europe de l'Ouest. Prix de la Mise en Scène à Cannes, Guerre froide a effectivement convaincu un public qui a apprécié les  deux comédiens Joanna Kulig et Tomasz Kot, et les difficiles relations des protagonistes avec leur pays, en un temps de méfiance et de portraits géants d'hommes providentiels, Staline, Tito. Le jazz joue un rôle important dans l'épisode parisien, et la photo noir et blanc est sublime.

                               Quant au troisième film, Styx, de l'Autrichien Wolfgang Fischer, c'est un très fort huis clos en plein Atlantique, une femme navigatrice solitaire, médecin urgentiste  à Cologne, va se trouver confrontée à une autre urgence, un rafiot pourri et ses dizaines de migrants. Un constat brutal comme un paquet de mer, sans discours bien-pensant, quasi muet d'ailleurs mais qui pose la question aigüe et compliquée. Que faire? Proposé en avant-permière en décentralisation de l'Arras Film Festival, Styx, couronné à Berlin, ne sortira que dans quelques semaines.

3 août 2019

La ruée vers l'or

Conquête

                             Un grand livre que La conquête des îles de la Terre Ferme d'Alexis Jenni, Goncourt avec L'art français de la guerre. Beaucoup de souffle pour cet épisode postcolombien de la colonisation du Mexique au début du XVIème siècle. On sait que la conquête des Amériques  a surtout été un fleuve de sang. Les Espagnols ayant grandement massacré les Indiens au nom de Don Carlos et de Jésus-Christ. Les autochtones, en l'occurrence ici les Aztèques et autres Toltèques ou Chichimèques, pratiquant avec délicatesse sacrifices humains et anthropophagie. C'est comme ça.

                            Le roman, le récit est passionnant. L'aventure des grandes découvertes est un thème très riche duquel Alexis Jenni a su extraire la moelle de l'histoire, de chair et de sang, ce qui, lors des innombrables combats, n'est pas une simple façon de parler. Parfois un peu torrentiel c'est cependant à la mesure de l'évènement. Et dès l'arrivée des Espagnols on comprend bien le fossé d'incompréhension mutuelle des  deux peuples. Mais tout ceci est conté sans démagogie et sans leçon de repentance. Il y avait du grandiose dans cette histoire, de l'épopée. Mais aussi bien des petitesses, bilatérales.

                           Le scribe Juan, moine vite défroqué, est un peu notre reporter en direct de la presqu'île du Yucatan. On vit au rythme des angoisses des navigateurs, de leurs privations, on comprend la folie de l'or, et le rôle du catholicisme. Une violence débarque en un pays violent. Ces violences là n'étaient pas faites pour s'entendre. Le fleuve littéraire d'Alexis Jenni ne charrie pas que du précieux minerai, mais aussi, de la boue, de la sueur et des larmes (sic). Il fait vivre tout ce monde, tant les capitaines castillans ombrageux, susceptibles et querelleurs, que les indiens misérables et très divisés. Tant les prêtres sales et dépenaillés organisant les holocaustes sacrificiels que les empereurs aztèques grandioses et grotesques. C'est aussi une jolie leçon de vocabulaire, en particulier sur l'art de la guerre, déjà, et la grande beauté des massacres.

                         Je l'ai écrit au début, le grand vent de l'épopée zèbre tout le livre, claquant et fouettant corps et âmes. Humains, pauvres humains, ballottés , Atlantique, îles , fièvres et moustiques, jungle et désert au coeur de ce pays au sud de l'Amérique du Nord, qui récuse le terme d'Amérique Centrale, et qui prétend à lui seul au statut de sous-continent. La conquête des îles de la Terre Ferme prétend, lui, au titre de très beau roman que je ne qualifierai pas d'historique car ce terme est souvent péjoratif. Je trouve par ailleurs qu'Alexis Jenni n'est pas très présent dans les (rares) émissions littéraires.

15 septembre 2019

Les bleus d'enfance du Danube

41rDFkcOa-L

                          Val https://lajumentverte.wordpress.com/ et moi n'avons pas hésité à nous lancer dans l'enfance et la jeunesse de Janos Szekely. Je pense qu'elle sera de mon avis pour considérer L'enfant du Danube comme un très grand roman, entre Dickens et Gorki, par exemple. Mais il nous faut dire un mot de l'auteur (1901-1958), hongrois d'origine, scénariste à Berlin, Vienne puis Hollywood. Paru en 1946 aux Etats-Unis sous le pseudo original de John Pen et le titre Temptation, le livre sort en Hongrie en 48 où il est très vite retiré des librairies. En 56, plus ou moins (?) chassé par le maccarrthysme, Janos Szekely revient s'installer à Berlin. Il y fait une demande de retour en Hongrie. Malade, il ne reverra pas son pays natal. Une vie.

                          C'est son enfance et son adolescence que raconte Szekely au long de 850 pages, passionnantes, rudes, pittoresques et bouleversantes. Ignoré, au sens propre, de son père de hasard, quasiment abandonné de sa mère aux mains d'une vieille prostituée, mais pas au grand coeur car les filles dites de joie peuvent aussi être des carnes (on pense bien sûr à l'univers londonien d'un Dickens, déjà cité). On suivra ainsi Bela une quinzaine d'années. le plus passionnant pour moi est la vie d'un grand hôtel de Budapest où il débute à 15 ans. Cette sorte d'hotel de luxe où tout peut arriver, souvent vu au cinéma, avec sa faune de demi-mondaines, je suis mesuré, d'escrocs, d'indics, d'homme d'affaires plus ou moins véreux, de girouettes politique. La foule des petites gens aussi, travailleurs inlassables, souvent noctrnes, et qui rentrent à pied dans leur lointaine banlieue, le tramway trop coûteux.

                          Roman d'apprentissage évidemment, de tous les apprentissages, y compris celui du sexe, une beauté fatale et alcoolisée, aux doigts troués, vaguement épouse de sénateur, fera l'affaire en ce qui concerne Bela. Les amitiés, les trahisons, les tentations, le mauvais alcool, et la conscience politique pas très claire encore, tout cela mène au rêve de la valise, Vienne, premier port, si j'ose dire, pour l'Amérique.

                          L'enfant du Danube est une fresque, pas un roman choral malgré la multiplicité des personnages. Szekely est bien sûr en grande partie Bela. de très beaux portraits, la mère de Bela, son père, à éclipses, la faim, elle aussi est presque un personnage. La lecture est très fluide et c'est un grand livre de la ténacité, une immersion dans cette Mitteleuropa dont j'aime tant l'histoire pour le moins chaotique. Ne craignez pas d'affronter ce pavé car il est d'une bien belle facture.

24 décembre 2019

In the name of rock/Jane

Jane 6bobdy-queen-jane-approximately1

jANE 2

Jane 3

Jane 4

Jane 5 

91j4M4WkaQL

                        Bien des Jane dans l'histoire folkrockblues. Y en a bien une qui fera mentir le dicton où y a Jane y a pas de plaisir. Y a la Jane des très grands, Dylan, Velvet, Stones, et celle des un peu moins grands mais qui font tellement plaisir à réécouter. Par exemple les excités hurleurs glam-rock de Slade. Ah Slade qui sonnait le glas de mes vingt ans de leur accent cockney et de l'orthographe particulière de leurs titres. Mais pas de leurs textes hautement intellectuels. Tout comme ce billet.

 

 PS. L'ami Princécrannoir m'a rappelé la merveille de Nick Drake, Hazey Jane I, car il y a sur le même album Hazey Jane II. J'ai rajouté la pochette. Ecoutez Nick Drake...

 

8 mars 2022

Dialogue Nord Sud

Cercueil

               Quel régal que ce roman qui nous plonge dans les affres de la guerre de Sécession. Cette dernière a donné lieu à quelques chefs d'oeuvre, notamment The red badge of courage de Stephen Crane. Le Cercueil de Job, c'est une constellation que Bell Hood, jeune esclave en fuite, suit tant bien que mal dans sa cavale. Jeremiah Hoke, lui, dans les rangs confédérés, presque par hasard, est gravement blessé à la bataille de Shiloh, il erre, fantomatique survivant en quête de rédemption d'un passé obscur. June, un affranchi, mais que vaut au juste la vie d'un affranchi, traverse le conflit sans bien comprendre comme beaucoup.

               Les affres de la guerre civile, cette horreur parmi les horreurs, sont décrites par Lance Weller de façon à la fois réaliste et hallucinante. Le long cauchemar n'épargne personne. Et l'on n'est très vite happé par cette apocalypse au point de ne plus bien savoir dans quel camp l'on est tant l'enfer est neutre mais obsédant. Les rives des fleuves, les collines, les bosquets ne sont que poudrières susceptibles d'embrasement à chaque seconde. Les généraux d'un côté comme de de l'autre sont la plupart du temps arrogants et peu comptables des cadavres de la piétaille. 

               Hoke le soldat sudiste malgré lui et Bell la toute jeune esclave sont reliés, c'est un peu un truc de scénariste mais on le comprend dès le début. Peu d'importance. Ce qui éclate dans Le Cercueil de Job, c'est la gigantesque fracture que fut la Civil War dans un pays tout jeune à l'aube de son extraordinaire ascension. L'Amérique ne s'en remettra jamais tout à fait. Peu de jugements sentencieux, peu de considérations morales dans ce livre foisonnant. Mais des héros broyés, dispersés, niés par l'Histoire, de ceux qui trinquent dans le grand maelstrom du Nouveau Monde contemporain. C'est un roman historique qui fait preuve d'un souffle impressionnant, jouant avec les silhouetttes des hommes, des pantins désarticulés par la haine, ce sentiment pire encore dans les guerres civiles.

             Un très beau personnage traverse brièvement le roman. Henry Liddell, pionnier de la photographie, qui entend témoigner avec ses daguerréotypes, et qui, en une scène magnifique, agonisant à cause des produits toxiques des premiers studios photographiques, signe l'acte d'émancipation de June. June auquel il restera néanmoins un long long chemin vers la liberté. 

            

23 janvier 2022

Chronique d'une tempête annoncée

9782226443144-j 

                        Troisième incursion chez le romancier irlandais, ce huis clos marin est assez impressionnant mais pas pour les raisons que l'on pourrait croire.  Un rivage sud-américain, pas Copacabana, loin de là, côté Pacifique, Colombie, Equateur, Pérou...De toute façon la côte, on la quitte très vite avec Bolivar, modeste pêcheur, qui décide de braver la tempête annoncée. Il a embarqué par défaut le jeune Hector, sans expérience. Ne vous attendez pas à un roman de survie avec action et morceaux de bravoure. Si très vite se lève le grain ce sera pour nous immiscer davantage dans l'esprit de l'homme mur et de l'adolescent, embarqués dans la même galère sans espoir.

                       Tout se passe à bord mais tout se passe surtout dans la tête de l'un et l'autre, avec leurs carences affectives et leurs regrets. Paul Lynch n'écrit qu'en phrases courtes. On dirait qu'il martèle ses mots, fracassant crânes et coeurs. C'est pointu, presque technique, et au bout du compte s'est profilée pour moi une ombre d'ennui pour un livre assez court. La condition de l'homme face à l'autre, face à la nature dans toute sa brutalité, face à Dieu, voilà le viatique de ce roman. Ce décor unique de pleine mer est oppressant et la déraison finira par prendre le pouvoir. Rêves, cauchemars, espoir, désespoir sont le lot tant de Bolivar, longtemps dans l'action, que d'Hector, plus malléable et qui verse dans le fatalisme. Incompréhension réciproque totale. 

                       Mais avaient-ils une vie avant la tragédie, ces deux hommes perdus? Un souvenir féminin tout au plus, rien de très rassurant. Le reste du roman, on le passe dans les méandres psychologiques des personnages. Et pour tout dire, quoique très bien exprimés, ces doutes m'ont laissé de glace. Quant aux souffrances ichtyo et ornithologiques, inhérentes aux récits de haute mer, à déconseiller aux âmes sensibles.  

                      Bolivar regarde les dents jaunies d'Hector, ses yeux enfoncés dans les orbites caves. Il est en train de perdre la tête, pense-t-il. Il est en train de vieillir. Sa figure, là, c'est celle d'un vieillard. Ca, c'est sûr.

                      Vieil amoureux d'Erin comme vous le savez, j'étais plus à l'aise avec Un ciel rouge, le matin ou La neige noire. Mais je reconnais à Paul Lynch un élan pour sortir d'un relatif confort d'écriture. L'éditeur Albin Michel évoque les mânes de Camus ou Hemingway. Il y a de ça.

20 mai 2022

Promenade avec New York sans New York

New York sans New York - Philippe Delerm

                        Philippe Delerm et moi on est de la classe et c'est peu dire que dans sa déclaration d'amour à New York je me suis retrouvé. Joli livre à déguster comme on l'entend d'une traite ou d'une manière apéritive, grignotant ça et là quelques pages. Cet hymne à la ville-monde, je l'avais offert à mon fils qui l'a aimé puis me l'a prêté (on fait souvent comme ça), ajoutant que c'était encore plus un livre pour le père que pour le fils. Petit coup de vieux que j'ai mieux compris après lecture.

                       Rapide la lecture comme toujours chez Delerm, mais gouleyante et nostalgique sans ranceur ni rancoeur. Le piéton de New York, j'ai très jadis écrit un courte ode à Woody Allen, celui des grandes années. Annie Hall, Manhattan, Hannah et ses soeurs. Delicatessen, cinéma européen et psy, bref du Stuart Allan Konigsberg pur jus. Jus d'Apple, Big Apple of course. Philippe Delerm raconte très bien comment il refuse tout voyage à New York, par crainte égocentrique que New York détruise son New York. C'est très clair et je suis proche de partager ce point de vue. Mais pour moi it's too late. Je suis déjà allé là-bas au siècle dernier. Tant pis, le mal est fait.

                     Central Park, les agents qui demandent à deux passants s'ils ont besoin d'aide, vu qu'ils marchent normalement. C'est que NY a su banaliser le "différent" et que le "différent" est un peu la norme. Les immeubles, les fameux "tenements" de West Side Story et leurs escaliers extérieurs, le Delerm cinéphile s'avère leur chantre et c'est convaincant. Notre guide semble ignorer davantage la case Scorsese/ Little Italy. Ce qu'il n'ignore pas, moi non plus, d'ailleurs nous y étions tous deux, enfin moralement, c'est les 500 000 personnes au concert historique de Paul et Art le 19 septembre 1981, gratuit sur le Grand Gazon. Moi, ce show d'anthologie, je l'appelle Grace on the grass.

                         Là où je ne risquais pas d'être par contre c'est au légendaire marathon sur lequel Delerm revient volontiers. Lui-même est un coureur de fond et l'épreuve traverse les cinq boroughs historiques de ce qui fut jadis la Nouvelle Angoulême. La ville abrite plus de Juifs qu'à Jerusalem, plus d'Irlandais d'origine qu'à Dublin. Et toute la poésie d'une pochette de Dylan, En roue libre,   célébrissime, le snobisme charmant de Truman Capote, la tournée d'adieu de Charles Dickens, peu connue. And so on... Mais je suis sûr que vous avez tous en vous votre propre City that never sleeps. Notre coeur à tous bat un peu là-bas, en cette ville d'Europe, la plus occidentale qui soit.

 

 

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 > >>
BLOGART(LA COMTESSE)
Publicité
Archives
BLOGART(LA COMTESSE)
Newsletter
32 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 369 743
Publicité