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BLOGART(LA COMTESSE)

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18 juin 2023

Vient la froidure

Hiver

                 C'est un roman publié il y a cinquante ans, d'un auteur bien oublié. Un souvenir de téléfilm ancestral et le prix, deux euros en bouquinerie, m'ont incité à le lire. L'hiver d'un gentilhomme de Pierre Moustiers se situe en Provence vers la fin du règne de Louis XV.  Le baron Jérôme de Sagne, vieux noble en son château voit son fils mourir de la main de brigands et, au soir de sa vie, se trouve témoin des premiers signes de grands changements dans la France des Lumières. Anne sa petite-fille, qui admire son aieul, semble préférer la vie provinciale près de lui, plutôt que dans le sillage de sa mère, veuve égoïste et superficielle. 

                 Jérôme de Sagne est un aristocrate lucide et qui sent le vent tourner. Humain avec les gens de maison, il a de l'estime pour le pharmacien Balthazar Maynier dont en plus il découvre le courage lors d'une expédition punitives contre les assassins de son fils Olivier. L'auteur connait bien la région provencale et les descriptions du pays sont magnifiques. On assiste sans grandes démonstrations et loin de toute démagogie à l'émergement d'une société différente. Les deux hommes se trouvent une communauté d'idées. C'est bien sûr l'ébauche d'un triomphe de la raison. Mais comme tout cela est bien traité dans ce roman qu'on considérera probalement aujourd'hui désuet.

                 En un siècle violent, mais toutes les époques ne le sont-elles pas, le bourgeois montant, intelligent et entreprenant, et le baron de province, attaché à la terre mais capable de saisir les progrès techniques et même certains mouvement sociaux, composent un duo encore insolite mais somme toute prometteur. L'hiver d'un gentilhomme est aussi à prendre au sens propre comme en témoignent ces quelques lignes émouvantes en leur simplicité. 

                  "On n'ose plus défendre une cause. On ne sait plus mourir...Ou bien j'ai vieilli. Balthazar a de la chance. Le destin sourit aux hommes neufs; tandis que les autres, les barons de la vieille cuvée, voient leurs meilleures intentions se retourner contre eux. Et  cela dure depuis depuis...la Régence."

                   Jérôme de Sagne marchait à présent d'un bon pas, sans parvenir à se réchauffer. Par instants, une douleur sourde creusait sa tête et brisait les muscles de son cou. Il respirait avec difficulté, les narines pincées, la bouche entrouverte, et son haleine, blanche, montait vers le ciel éteint. "J'ai beaucoup vieilli, songea-t-il, depuis ce matin. Me voilà au coeur de l'hiver."

                   La littérature dévore ses propres enfants. Chaque livre lu l'a été à la place d'un autre. Je trouve cela un peu terrifiant. Alors de temps en temps s'égarer sur un roman un peu ancien, pourquoi pas?

                   

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13 juin 2023

Nos héros réussiront-ils à retrouver leur fils mystérieusement disparu au Nicaragua?

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                  C'est le premier roman de Joseph O'Connor (1994), l'un de mes chouchous irlandais. Desperados alterne la jeunesse de Frank en son Irlande natale et un voyage très mouvementé dans le Nicaragua de quelques paumés années 80 en pleine révolution sandiniste, à la recherche de son fils Johnny plus ou moins porté disparu. Frank retrouve Eleonor, la mère de Johnny dont il est séparé depuis pas mal de temps. Sur place ils font la connaissance de quelques amis de leur fils, membres d'un groupe de rock, Desperadoes au nom prémonitoire, semble-t-il. On finit par leur présenter ce qui pourrait être le cadavre de John, inidentifiable. S'en suit alors leur propre enquête dans les bas-fonds de Managua entre Contras et Sandinistes, souvent imprévisibles. Les geôles d'Amérique Centrale, particulièrement sympathiques, accueillent volontiers ces chercheurs de noises, et il faut pas mal d'argent. Arrosant ici et là l'un et l'autre ils finissent par trouver trace éventuelle.

                    A bord de Claudette la bringuebalante camionnette d'un de ces héros piedsnickelesques nous effectuons une sorte de road-movie dans un pays en pleine déconfiture où seul Dieu, mais alors un Dieu sud-américain, et encore, reconnaitra les siens. En même temps qu'une quête du destin filial c'est aussi un peu la tournée des Desperadoes dans des salles souvent miteuses où les reprises de standards du rock déchaînent les passions, du moins quand il y a un peu d'électricité. Se déchaînent souvent aussi cuites et bagarres. Le Nicaragua est déliquescent, c'est dans ses statuts. Beaucoup d'humour dans ce roman, les tribulations de notre poignée de personnages s'avèrent aussi plus graves, pointant évidemment l'Oncle Sam entre autres, ceci étant inhérent à tout roman ou film se déroulant entre Ciudad Juarez et la Terre de Feu. Ca c'est d'accord et c'est convenu. 

                   Il y a autre chose, un peu plus rude. O'Connor est pour le moins critique avec les révolutionnaires de salon, européens, se prenant d'engouement pour le prétendu romantisme des guerilleros hispanophones, pléonasme. Bon, tant qu'ils restent au salon...Mais Johnny, à première vue, se serait mêlé de...Pas trop bien vu ici, ni du côté oppresseur ni du côté oppressé et vice-versa. Mais l'auteur le fait avec verve, cascades et bonne humeur. 

                  Enfin, et l'irlandophile invétéré que vous voulez bien lire de temps en temps dirait et surtout, quelques chapitres de ci de là s'intercalent, sur les rapports père-fils de Frank et Johnny dans leur Irlande verte et parfois bien grise encore en ces années. Et ces rapports ont été virils mais corrects, comme on dit en rugby. La tendresse qui les a unis fut bien réelle. Réelles aussi les nombreuses altercations et la dureté maternelle n'eut rien à envier à la poigne paternelle. Pas loin d'être bouleversant. Modeste chauffeur de taxi à Dublin, Frank Little, son ex-femme Eleonor et leurs comparses vous attendent pour un périple qui vaut le déplacement. Je vous mets un petit riff littéraire très binaire mais vous aurez compris que Desperados vise plus haut et plus large.

                  -Uno, dos, tres, cuatro, vamos a bailar.-Il donna un coup sur les cymbales: Whaouh! lança-t-il dans le micro.

                   Il écrasa la pédale basse et attaqua un tythme endiablé. La foule enthousiaste se mit à danser, applaudissant en mesure.

                   Smokes martela son morceau en quelques minutes. Guapo bondit en scène et brancha son ampli. Il se déchaîna dans un bref solo en dansant sur place. Des cris d'enthousiasme éclatèrent de nouveau pour saluer l'arrivée nonchalante de Lorenzo, cigarette aux lèvres et guitare en bandoulière. Il salua le public d'un geste et plaqua vigoureusement quelques accords. Il s'approcha des baffles provoquant un effet Larsen. Puis Cherry fit son apparition en saluant. On lui jeta un bouquet de roses. Elle envoya un baiser, remonta ses manches, se pencha sur son synthé qu'elle se mit à frapper avec entrain.

                  Les jeunes se déchaînèrent. Ils se prirent par l'épaule et sautèrent en cadence. Le parquet tremblait. Smokes fit rouler ses baguettes sur la grosse caisse. Lorenzo bondit, se saisit du micro et interpréta Jailhouse Rock. 

 

                Tiens, je vous ai mis la version de Status Quo, antédiluvien groupe souvent mal-aimé. Quasi octo maintenant je crois qu'ils tournent encore un peu. 

6 juin 2023

Omar m'a touché

Limbo

            Joli film au ciné-club ce lundi 22 mai. Ben Sharrock s'empare du thème ô combien couru des migrants et en fait une fable loin d'être bête, où la fantaisie s'accommode fort bien du drame humain de l'exil. Chapeau! Chapeau à l'auteur pour nous avoir épargné la très pénible leçon de conscience hémiplégique qui fait flores dans le cinéma d'aujourd'hui. Dans cette lointaine île écossaise imprécise (les Hébrides voire les Orcades seraient encore trop identifiables) une poignée de migrants syriens, africains. Parmi eux Omar, Omar qui n'a guère pour bagage que son oud, sorte de luth oriental, qu'un bras en écharpe lui interdit d'utiliser. 

          Dans cette sorte de no is-land les demandeurs d'asile sont plus ou moins pris en charge par des animateurs pour apprendre la langue et mieux connaître, un peu, les usages locaux. Très peu d'autochtones dans cette impasse de bout du monde, le responsable de la supérette étant un sikh, par exemple. Omar est réduit à une double impuissance, musicale et humaine simplement. Comment envisager l'avenir? Y-a-t-il même un avenir? Inadapté, le personnage d'Omar peine à se mouvoir et semble repasser plusieurs fois au même endroit. Il y a du Monsieur Hulot chez lui, du surréalisme aussi. Buster Keaton et son burlesque bien à lui ne sont pas loin. Ni Kaurismaki avec ses humanistes peu loquaces, et le cinéaste palestinien Elia Suleiman, pour le peu que j'en sache. 

          Limbo (Les limbes) est un nowhere film à l'existence pourtant bien réelle, d'une belle légèreté profonde. S'il est un cinéma de l'oxymore,,c'est bien Limbo. Mais je lui ai peut-être trouvé trop de parrains. Il se débrouille bien tout seul. 

28 mai 2023

Un pont entre deux rives

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                           Ma chère Val La jument verte de Val a eu l'idée d'explorer un peu les prix Nobel de littérature. Comme elle a bien fait. Nous nous sommes décidés sur le cru 1961, Ivo Andric. Nous avons opté pour son roman le plus connu Le pont sur la Drina. J'ai été enthousiasmé à la lecture de ce bouquin choral (terme qu'on n'employait pas à l'époque) dont le personnage essentiel est justement ce pont. Peu de choses sont aussi compliquées que les Balkans. Elles le furent de tout temps. Encore maintenant l'ex-république de Bosnie-Herzégovine, jadis yougoslave, est divisée en fédération de Bosnie-Herzégovine et République serbe de Bosnie. Comprenne qui pourra. Mais le roman débute bien avant, à la fin du Moyen Age. C'est une chronique de quatre siècles qui court du XVIe siécle à 1914, date où cette région entra définitivement dans l'histoire, en sa capitale, Sarajevo. 

                          Visegrad, sur la Drina, une ville où cohabitent, pas si mal, chrétiens, juifs, musulmans de Turquie. Un pont vient d'être bâti, un pont destiné à durer, reliant les deux rives, Bosnie, Serbie, Orient, Occident. Plus qu'un symbole, une date. Le pont sur la Drina sera notre personnage principal, le héros de notre histoire. Sur lui, et en dessous, de part et d'autre, s'agiteront pendant 400 ans une foule d'hommes et de femmes, dignitaires, petits fonctionnaires, paysans, commerçants, militaires. Du tout venant, la vie dans une de ces bourgades, un endroit que de nos jours on peine encore à identifier précisément.

                         Le pont sur la Drina est à mon sens un livre majeur, pas toujours très simple vu la multitude de personnages au long de ces quatre siècles. Mais on a l'impression que le pont grouille de vie, de rencontres, de rendez-vous, de querelles. Les différentes confessions se titillent bien un peu mais dans l'ensemble les hommes et les femmes s'activent à y rendre l'existence somme toute acceptable. Et l'on finit par s'attacher à tous, les confondant parfois mais tout cela convient bien à ce melting pot bosno-serbo-croate, où pope, rabbin et hodja ne dédaignent pas de converser, souvent sur ce pont ou aux abords. A ce propos un petit lexique aurait été bienvenu.

                        Evidemment tant d'années en communauté ne vont pas sans frottements et les hommes ne progressent pas toujours, bien au contraire. Et c'est ainsi qu'après ce voyage dans le temps, en ces Balkans si méconnus, où l'on a vu vivre toute une humanité du mendiant au potentat local, du petit commerçant au modeste éventaire au gros propriétaire, de la toute jeune servante à sa patronne omnipotente, on en arrive au XXe siècle, un aboutissement, un tournant, une fin de quelque chose.  

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                 Ivo Andric a publié ce livre en 1945. On a cru après-guerre que la Yougoslavie naissante apaiserait la poudrière balkanique. On sait ce qu'il en est advenu. Dans ce Sud-est  européen si mal défini, si susceptible (Macédoine du Nord, Kosovo, etc.), ce roman fondateur nous aide à nous y retrouver. La complexité balkanique reste cependant rétive à nos réflexes occidentaux. Je suis bien sérieux là mais surtout Le pont sur la Drina est une formidable chronique d'un pays multiple, tragique et cocasse, parfois presque burlesque et parfois cruelle. A (re)découvrir, on quitte à regret le pont Mehmed Pacha Sokolovic, ce fabuleux ouvrage d'art achevé en 1577 et inscrit à l'UNESCO depuis 2007. Andric, bosniaque de naissance, croate par son origine et serbe par ses engagements, en est une parfaite synthèse. 

19 mai 2023

Les lendemains du Sud

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                   Voilà un formidable recueil de nouvelles. Bruce Machart (Le sillage de l'oubli) est texan. Oui, je sais, pour les Texans. Mais les dix nouvelles de Des hommes en devenir sont parmi les plus fortes que j'aie parcourues depuis assez longtemps. Ce bouquin fait la part belle aux hommes. Enfin je veux dire par là que ce sont des hommes que l'on y rencontre, des hommes ordinaires qui conduisent leur pick-up ou transportent des grumes dans une Amérique laborieuse pas toujours très amène. 

                   Des hommes que le lecteur cueille au moment où leur existence, déjà un peu rude, un peu, disons moyenne, traverse une zone de turbulence, souvent liée à un drame. Les titres de ces nouvelles sont à ce sujet très évocateurs de passages, comme des épreuves, des tests pour ces hommes à la quarantaine peu sûre pour la plupart. Quelques-uns de ces titres: C'est là que vous commencez ou Parce qu'il ne peut pas ne pas se souvenir ou La seule chose agréable que j'ai entendue. Des expressions qui surprennent, donnant bien l'interrogation de ces hommes face au drame qui bouleverse leur vie. Et c'est diablement humain de partager ces doutes et ces affres avec des personnages bien plus éloignés des archétypes qu'on ne le pense en général. A croire qu'un Texan serait un être humain.

                Une séparation, la mort d'une épouse, un dramatique accident du travail dans une scierie et une vie bascule. L'homme est-il capable de rebondir, de cette fameuse résilience si en cour dans notre vocabulaire choisi? Cette dizaine d'hommes en perdition, mais malgré tout en devenir (Men in the making), ce sont aussi des hommes en construction, il n'y a pas d'âge pour grandir. Un chien écrasé, un chauffeur de taxi amené à transporter le corps d'un nouveau-né, un homme mûr qui prend conscience de son père âgé, les coups durs , les blessures de l'existence, les familles brisées. C'est magnifique de pudeur et d'humanité. 

                 Un théâtre lyonnais a adapté ces nouvelles il y a quelques années. Je crois que c'était une bonne idée. Le Sud est décidément pourvoyeur de talents, fussent-ils texans. J'ai un peu songé aussi à Russell Banks, voir au Steinbeck de Des souris et des hommes, mais cela n'est qu'un sentiment peut-être.  Les femmes ne sont pas des comparses dans Des hommes en devenir, il me faut le préciser., c'est l'époque qui veut ça.

                Un homme peut savoir quelque chose de bien des façons - il peut le savoir d'expérience, dans ses tripes, d'après le bruit du vent, d'après l'odeur des pins et de la voix qu'il entend parfois dans sa tête quand il prie - et de toutes ces différentes façons, je savais que le Rouquin se trompait, qu'il faudrait bien plus qu'une nuit de travail dehors, dans le froid, pour qu'il connaisse un peu d'apaisement. Et pourtant, je voulais y croire. Je voulais que cela  fût vrai, pour que tout fût terminé. Pour nous deux (extrait de Le dernier à être resté en Arkansas).

 

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4 mai 2023

Pour Gordon le glas

                  La pluie du matin et la nuit pour Gordon Lightfoot...So long, folk music is here to stay... J'espère.🎸(1938-2023)

 

                   Evidemment ignoré en France, Gordon Lightfoot, c'était le genre de musicien, chanteur, songwriter, souvent dans l'ombre, mais auteur de centaines de chansons. Et je vous parie que, voyageant un peu, vous trouverez toujours à Dublin ou Rome, à Melbourne ou Tokyo, à Copenhague ou à Bratislava, sur une place quelconque, un folkeux jouant, souvent très bien, l'une de ses compositions. Et si Tin Pan Alley version folk vous agrée, vous avez sûrement écouté ou fredonné du Gordon Lightfoot sans même le savoir.

 

1 mai 2023

Une ébauche de solution

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          1942, lac de Wannsee, Berlin. Sous la présidence de Heydrich se tient la conférence qui devait officialiser le projet définitif du Reich concernant la déportation puis l'extermination. Le film, sobrement titré La conférence, est en fait en grande partie réalisé d'après le procès-verbal de cette réunion. Rien de spectaculaire. Sobre, La conférence de Matti Geschonnek n'en est que plus implacable. Une villa, une salle principalement, scrupuleusement reconstituée en studio, sur cette sorte de Riviera berlinoise, sera donc le cadre de cette réunion au sommet des abysses de l'humanité. Seules les rares scènes extérieures d'arrivée et de départ ont été tournées sur les lieux mêmes. 

          Le 20 janvier une quinzaine de hauts fonctionnaires du régime sont réunis pour ce que vous savez. La plupart sont des Herr Dr., titre courant dans l'Allemagne de cette époque. Ils ont un travail précis à définir et le temps presse, le Reich peinant sur le plan militaire. On ne quitte pas la salle de réunions, on est en plein "dossiers". Pas d'éructations, pas d'insultes, pas même le verbe haut. De la méthode avant toute chose, et surtout ne pas trop indisposer l'un ou l'autre des nombreux services civils et militaires du régime. Un certain Adolf Eichmann signera le procès-verbal officiel de ce qu'on peut considérer comme un sommet des abysses de l'humanité.

          La mise en scène reste donc très classique, les comédiens allemands tous inconnus ici sont remarquables de précision. La conférence, m'objectera-t-on, aurait plus sa place sur une plateforme ou une chaîne. Moi je pense que le cinéma doit accueillir aussi ce genre de films, même si en l'occurrence nous n'étions que trois lors de la séance. 

         

             

27 avril 2023

Cavalier qui surgit hors de la nuit

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                       Belle réédition du premier roman de Robert Penn Warren. Bien oublié aujurd'hui, le seul écrivain Prix Pulitzer à la fois roman et poésie a publié Le cavalier de la nuit en 1939. Je m'attendais à un livre fascinant mais je suis en partie déçu. Tout début du siècle dernier, les planteurs de tabac du sud des Etats-Unis, Kentucky principalement, doivent survivre face à la puissance des grandes compagnies. L'agriculture a de tout temps et en tout lieu connu des problèmes de cet ordre. En fait, avec ce premier livre, Penn Warren, l'un des grands du Sud (Faulkner, Caldwell, Ernest Gaines, mais aussi Flannery O'Connor, Margaret Mitchell, Carson McCullers), entame sa longue exploration d'une société américaine qui n'est plus celle de la conquête, mais celle des affaires.

                    Mr. Munn, Penn Warren l'appellera toujours Mr. Munn, sauf lors des dialogues, est un jeune avocat plutôt idéaliste, mais on sait le danger que représentent parfois les idéalistes. Ce sera d'ailleurs le thème du roman le plus connu de l'auteur, All the king's men, Les fous du roi ou Tous les hommes du roi, selon l'édition. Dans le but d'améliorer la condition des petits producteurs il participe à une organisation secrète  qui commence à détruire des entrepôts et des champs. Ayant choisi le camp des Cavaliers de la Nuit, Percy Munn en deviendra l'un des meneurs. Et les exactions des Cavaliers n'auront rien à envier au Klan, auquel on pense forcément en voyant la couverture de l'édition 10-18. Les scènes d'action et de représailles sont d'ailleurs fort bien rendues. 

                    Le cavalier de la nuit conte la sinistre progression du mal à partir d'une idée généreuse. Un grand classique du dérapage, universel. Plusieurs personnages s'embarquent dans cette histoire risquée, plus ou moins en proie au doute. Mr. Munn étant la clef principale et Penn Warren ne nous prive pas de ses interrogations, dilemmes, pas plus que des failles de sa vie privée. J'ai parfois trouvé cela un peu bavard mais ce n'est que mon opinion. Vers la fin du roman  l'écrivain nous entraîne par contre dans une très belle digression sur l'un de ceux qui aideront Mr. Munn dans sa fuite, comme un résumé de l'histoire de l'Amérique, un Go West en condensé, passionnant.

                  Vers la fin de la période du séchage, le nombre des incendies augmenta dans la région. Peu avant les élections, des gens paisibles et raisonnables se livrèrent à de violentes et fréquentes bagarres. En chaire, on récita des prières pour le rétablissement de l'ordre, et parfois pour que fût corrigée l'injustice qui avait causé les désordres et poussé le frère à lever la main sur son frère.

22 avril 2023

Leo depuis si longtemps

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             Someone to dance with me? Leo c'est comme Dino et son désert, ça me reprend parfois. Pire, ça ne me quitte jamais vraiment. Mais faut pas que ça vous effraie, je ne suis pas un luron, déteste pas me sentir un peu mal. J'ai dit un peu.Vous ai-je bien plombés? 😀

             Au fait, cette chanson a été reprise par de vrais musiciens et chanteurs. Notamment quelque part dans mes archives par une certaine C... qui me fait l'amitié de passer souvent ici-bas. Je l'écoute souvent. 🎸

 

19 avril 2023

l'Ecrivraquier/28/Ma version du vertige

L'Ecrivraquier

Ma version du vertige

 

Vertige, le mot seul suffit à mon trouble

A me foutre le vertige

Compagnon de longue date

Fidèle plante invasive

Lame affutée à m'ennuager

Animal familier à me mettre aux abois

Il saisi mes jours en bien des circonstances

Voisin protéiforme

S'il aime l'altitude

Il a su me désarçonner sur quelque littoral

Peu avare de complices

Le hautain Machu Picchu

Eckmühl ou Les Baleines

Ce maître es défaillances

N'a nul besoin de grandeurs

Ni de géographiques prestiges

Quelques lignes du poète

Quelque arpège de carrefour

Un nordique clair-obscur

Les larmes que m'arrache la Septième

Les flots de la Seine à Villequier

Leopoldine perdue

Tout est géant, tous ces talents

Et moi, la tête qui m'en tourne

Le vertige c'est les autres

Je longe les ravines, je me tiens bien au bord

Pourquoi faut-il, bon sang

Pourquoi faut-il de plus

Qu'en partant elle m'ait laissé

Vide, vacuité, viduité, vacance, vaines volutes

Vertige de l'absence?

15 avril 2023

Soudain l'été dernier

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                 Il semblerait qu'on redécouvre La côte sauvage, roman plus ou moins culte, mais qu'est-ce que ça veut dire, de Jean-René Huguenin, publié en 1960. Mort en voiture en 1962, je n'avais aucun souvenir de cet auteur mais il est vrai que j'étais bien jeune même si la lecture était déjà très présente dans ma vie. Bretagne, 1960, le Finistère, une mère malade, un frère, Olivier, deux soeurs, Anne et Berthe. L'été, les vacances sur la côte. C'était avant que les grandes migrations ne deviennent un rituel et le littoral n'est pas encore bondé. Berthe l'ainée n'aura qu'un rôle secondaire, bien que névrosée elle aussi. Car avec La côte sauvage on est dans la névrose, et pas qu'un peu. Au théâtre on penserait à Cocteau, beaucoup, et à Tennessee Williams, pas mal. D'où  le titre de cet article. 

                Olivier revient de deux ans d'Algérie et retrouve surtout sa cadette Anne avec qui il a partagé son enfance, notamment dans la maison bretonne, cette grande maison de vacances propices aux passions. Anne doit épouser Pierre, forcément un ami d'Olivier. Mais avec un ami comme Olivier nul besoin d'ennemi. Elle est si belle cette Bretagne extrême, et les rochers acérés, les ilôts inhospitaliers, demeurent bien bénins comparés au maelstrom des sentiments et des brûlures des personnages. Olivier est un cauchemar à lui seul, c'est du moins ce qu'il m'inspire. Comme rien n'est simple parfois...

                Dans cette atmosphère étouffante se joue un drôle de jeu qui nous laisse mal à l'aise, perturbé, et l'on s'interroge sur ce frère et cette soeur, pas vraiment une osmose, mais pas non plus une connivence. L'indéfinissable, et des caractères qu'on n'a pas envie d'aimer, mais qui laissent des traces, en un roman fort, brutal et anguleux, de pierre et de nuit, qui fut encensé à sa sortie, et par les plus grands, Mauriac, Gracq, Aragon. La Bretagne, la plage, les marées, l'été de ces privilégiés (le milieu de Huguenin, tout à fait) sont un parfait décor pour ces fratries exacerbées et l'auteur y excelle, aussi à l'aise dans la peinture des âmes que dans l'ode à l'Ouest. Quelques dialogues.

              "Je regrette de t'avoir blessé si tu es sincère" dit Pierre, mais sa voix reste serrée, contenue. Ses yeux baissés interrogent ses pas. "Au  fond, jette-t-il avec dépit, tu es impuissant à aimer. Olivier se met à rire - En un certain sens, oui: comme tout le monde. Et, d'un coup de pied, il fait rouler un caillou sur la route. - Non. Pas comme tout le monde. Toi, tu n'aimes pas ce qui vit. 

              Ou entre Anne et Olivier. - Anne, tu te souviens quand on jouait au mort?

              - Tu as mal?

              - Non. Pourquoi? Enfin si... j'ai mal, j'ai toujours mal, c'est un maladie bizarre, Anne: comment te dire...je souffre de ne pas être Dieu. Tu ne veux pas qu'on joue au mort?

              La côte sauvage n'est pas une tranquille et belle escapade littorale. Et la famille Aldrouze nous laisse inquiets. Et si nous leur ressemblions un peu, un peu trop...Mais c'est à coup sûr une belle aventure littéraire. Morsures, coupures, blessures. A la fin on frissonne. Rentrons.

7 avril 2023

Absent s'abstenant devant l'absinthe.

Masse

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                    Babelio (merci) m'a cette fois envoyé enquêter sur un célèbre fait divers de la fin du XIXe siècle. La malle à Gouffé et son mystérieux cadavre eurent un grand succès populaire dans les gazettes. Il y eut même un véritable négoce, un "merchandising" autour des indices. Et c'est Emile Zola, passionné lui aussi par ce type d'histoire (c'est qu'il y en a, des histoires sombres chez les Rougon-Macquart) qui nous raconte les pérégrinations ante et post mortem de l'huissier Toussaint-Augustin Gouffé, loin d'être un saint malgré ses prénoms. Yann Botrel, lyonnais d'origine comme la découverte de la sinistre malle à Gouffé, a concocté un polar historique, non pas un document. Mais je n'ai guère été soulevé par ce rapport un peu laborieux qui, en dépit de voyages à Cuba et en Amérique, m'a laissé de marbre.

                   Bien que ces évènements aient été réels, assassins et avocats ont bel et bien vécu cette histoire, j'ai eu l'impression d'un exercice un peu vain, aucun personnage de cette sombre affaire n'étant particulièrement intéressant. Faire patronner tout ça par Zola qui s'insurge sans surprise contre la peine de mort m'est apparu une assez bonne idée pour les raisons évoquées plu haut. Mais je trouve que c'est à peu près la seule. Absinthe L'affaire Gouffé se consomme ansi, sans haine ni passion et surtout sans beaucoup d'intérêt. Les deux assassins, amants machiavéliques, attisent à peine notre curiosité.

                  La caution historique, tendance anarchisante, absinthe la maudite fée verte à la mode, répression d'époque, balbutiements de la police scientifique et des théories médicales sur l'hystèrie, n'a pas suffi à réveiller mon intérêt très vite chancelant.

1 avril 2023

Lise

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                   Belle soirée ciné lundi dernier. Relativement nombreux, les spectateurs ont pour la plupart apprécié le film danois La dernière nuit de Lise Broholm. Première réalisation de Tea Lindeburg, adapté d'un roman de 1912, inédit en français, Une nuit de mort, c'est un très beau film qui nous plonge dans la vie de Lise Broholm, quinze ans, fille ainée d'une famille nombreuse, des fermiers plutôt prospères, fin XIXe. La mère de Lise va accoucher de son neuvième enfant, et cette nuit se passera très mal.

                  Les lourdeurs familales, la culpabilité en ces terres luthériennes rudes et puritaines, la mâle domination alors même que les taches sont pour la plupart assurées par les épouses, les mères, les filles, bref le poids des conventions et le rigorisme sont les moteurs de cette histoire qui, évidemment, semble marcher sur les traces d'un illustre cinéaste nordique. Mais n'étouffons pas Tea Lindeburg sous les références du maître de Faro. La dernière nuit... n'a nul besoin de parrainage et se suffit.  

                  En 85 minutes Tea Lindeburg parvient parfaitement à restituer l'ambiance. Pas très loin du temps réel, une soirée, une nuit. Le naturel des enfants interprètes, l'adolescente qui joue Lise étant particulièrement sensible, mais aussi les taches ménagères, la présence des aIeules. Tout cela est magnifiquement rendu. Loin des pénibles films militants hypermoralisants à sens unique, ce joli film, bien que se déroulant jadis, en dit beaucoup sur la condition, vous savez bien, la condition. Et il sait très bien nous emmener vers le constat. Quatorze accouchements, quatre enfants vivants, dit une grand-mère. Rien à rajouter.

                La nuit sera apocalyptique, firtant avec le fantastique, un zeste d'épouvante, diable et fantômes éventuels. Au bout de la nuit, Lise ne sera plus la même. Mais son destin en sera-t-il transformé?Et pourra-t-elle étudier. C'est qu'elle est l'ainée. La plaine danoise, la blondeur des blés et des chevelures, mais aussi la maternité interrogent dans ce film bien peu aidé à sa sortie. Au moins trente pesonnes l'auront vu. 

24 mars 2023

La vallée un peu perdue

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               C'est le huitième livre de Modiano our moi. Certains très anciens, La place de l'étoile, Rue des Boutiques Obscures. Curieusement je crois ne l'avoir jamais chroniqué et je vais tenter de m'en expliquer. 

               Tous ces livres sont courts, sonnent comme une incursion du lecteur dans un univers unique. Comme dans une géographie qui n'appartient qu'à l'auteur, et que lire Modiano ne suffira pas à rendre totalement intelligible. Mais qu'importe? Modiano, on le sait, n'est pas un orateur ni un grand adepte des médias. Mais moi j'aime bien la musique de chambre de cet écrivain si particulier. Mais comment en parler? Par le silence, je crois.

              Je briserai ce silence, mais juste un peu. Modiano ne se commente guère, il se vit. Essentiellement à travers les déambulations, souvent parisiennes ou banlieusardes,  de ses personnages dont on ignore, à la fin tout autant qu'au début, la réalité profonde, doutant même de leur existence. Chevreuse, lieu emblématique d'une Ile-de-France riante, dernier opus du Nobel, est bien dans cette lignée, pélerinage de proximité, qui, moi, me touche d'une drôle de manière, tout en me laissant étranger àu mystère modianesque. On se raccroche en modianie comme on peut. Aux années de l'Occupation par exemple, toujours dormantes des décennies plus tard. Ce fut une période propice aux trahisons, aux faux-semblants, aux papiers frelatés et aux suites douteuses. Souvenirs dormants (c'est aussi un titre de Modiano) empreints de questions sans réponses, de mystères, de compromissions, de petites ou grandes lâchetés.

              C'est qu'ils sont diablement humains malgré tout, ces hommes et ces femmes, ces incertains, ces presque spectres. Ils oscillent entre années cinquante et deuxième millénaire, mais nous, lecteurs modianisés, avons depuis lontemps perdu le fil du temps. Entre appartements beaux quartiers et verts pavillons des environs, entre cafés où l'on attend, une photo sur la table, un(e) inconnu(e) et acenseurs capitonnés comme pour des confidences. Entre hôtels et bancs publics.

              Beaucoup de noms propres chez Modiano, personnes, villes, quartiers, rues, résidences. Il s'en dégage une poésie indéfinissable, etc...J'en ai déjà trop dit. Si vous lisez Modiano vous savez. Si vous ne l'avez jamais lu allez vous balader dans son sillage. Les effluves en sont, en sont, en sont...Vous verrez bien. Silence dans les rangs. Suivez ses traces. D'ailleurs on file beaucoup chez Patrick Modiano. 

              "J'étais pendant deux ans le chauffeur d'une dame. Elle est morte ici dans un petit appartement au troisième étage."

               Bosman ne savait quoi lui répondre. Enfin: "Une dame qui habitait Nice depuis longtemps?"

               Le taxi suivait le boulevard Victor-Hugo. L'homme conduisait lentement.

               "Oh, monsieur...C'est compliqué. Elle habitait Paris quand elle était jeune...Puis elle est venue sur la Côte d'Azur...D'abord à Cannes, dans une grande villa à la Californie...Puis, à l'hôtel...et puis square Alsace-Lorraine, dans ce tout petit appartement.

               - Une Française?

               - Oui, tout à fait française, même si elle portait un nom étranger.

               - Un nom étranger?

               - Oui. Elle s'appelait Mme Rose-Marie Krawell.

                Bosman pensa qu'une dizaine d'années auparavant ce nom l'aurait fait sursauter. Mais, depuis, les rares instants où certains détails de ses vies précédentes se rappelaient à lui, c'était comme s'il ne les voyait plus qu'à travers une vitre dépolie.

             

19 mars 2023

Grand écart

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        Ciné-débat lundi dernier. Walden, film franco-lituanien mis en scène par une Tchèque, sorti il y a quelques mois, 959 entrées France. Plus une vingtaine depuis cette semaine. Je suis fier d'avoir contribué à 2% des recettes du film. Walden est un joli film sur la fuite, le désarroi, le souvenir d'une jeunesse derrière le rideau de fer, et les lendemains qui chantent toujours moins que prévu. Bojena Horackova signe un film en forme de binôme 1988-2018 à travers le départ et le retour d'une jeune étudiante qui comme beaucoup ne pense qu'à l'Ouest. Nous sommes peu avant la cascade des chutes des républiques populaires qui suivirent la chute plus spectaculaire du mur de Berlin.

         Jana revient à Vilnius 30 ans après son départ pour la France. Elle tient à retrouver Walden, le lac un peu secret de sa jeunesse, et, qui sait, Paulius son amour de ces vertes années. Le pays a changé? Oui...et non. Un thème classique, tendrement mis en scène, pour un film discret où frémit le vent sur les berges, et où les quinquas jadis frémissants font face aux après, loin de toute flamboyance. La jeune actrice irise Walden, elle avait un nom balte compliqué. Elle est morte accidentellement quelques mois après le tournage.  

        Vu aussi en ciné-club un tout autre film, le très curieux Junk Head, animation japonaise en stop motion, qu'un collègue, plus jeune, ça ne vous surprendra pas, présentait avant-hier. Takahide Hori est l'auteur unique, mais alors unique, de cette dystopie, survival, post-apocalyptique, dont les héros, boîtes de conserve et boulons, parviennent à une belle expressivité. Certes ça lorgne sérieusement vers le jeu vidéo y compris musicalement. Mais cet underground au sens propre où se règlent les comptes d'une société immortelle mais stérile est aussi un théâtre presque burlesque avec course poursuites, un humour assez trash parfois proche d'une BD futuriste, une lutte entre le bien et le mal, un plaidoyer pour la tolérance. J'ai bien évidemment enfilé tous ces clichés à dessein. Alors pourquoi pas rendre une visite à ces personnages bricolés, mécaniques, parfois un air de Metropolis-Lang auquel on pense forcément?

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             Grand écart cinématographique, ces deux films ravivent l'attention parfois vacillant du spectateur. Sera-ce suffisant? 

15 mars 2023

Sarah

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Sarah

               Biographie au programme ce mois-ci avec Masse Crtique Babelio. Merci mensuel Bab... La grande Sarah Bernhardt (1844-1923) nous est racontée par Elizabeth Gouslan, journaliste, déjà autrice de livres sur Jean-Paul Gaultier ou Grace de Monaco. Pas forcément un livre que j'aurais acheté mais le voyage est plutôt agréable et nous fait mieux connaitre ce personnage pour le moins excessif. C'est par le truchement d'une actrice contemporaine de Sarah que sa vie nous est contée à grands renforts d'abus variés et de célébrités plus ou moins douteuses.

               Sûr que la Bernhardt est une figure qui se prête à tous les excès. Je n'ai donc pas été surpris au souvenir de son enfance, une mère indifférente qu délégua autant que faire se peut une éducation forcément fragmentaire et aléatoire. La mère étant passée par toutes les cases de l'échiquier, souvent horizontalement, Sarah eut une époque similaire. On assiste à ses débuts difficiles, à ses frasques précoces  et qui seront tout aussi frasques sur le tard. Caprices de diva, éclairs fulgurants dans les grands rôles, pas seulement celui de Marguerite Gautier, Dame aux camélias, mais aussi L'Aiglon ou Hamlet, Sarah précurseur, tout Paris à ses pieds. Bientôt l'Europe. Bientôt le monde. 

               C'est d'ailleurs ce qui m'a le plus étonné. Le temps passé à l'étranger, l'Angleterre et Amérique bien sûr, mais aussi d'autres destinations pas si faciles en ces temps là, Cuba, Pérou, Uruguay, Australie. Sarah a en fait vécu des années à l'étranger, la plupart du temps dans les palaces quand ses finances très aléatoires le lui permettaient. Monstre sacré, c'est le jeune Cocteau qui inventa l'expression, incontrolable imprévisible, ne s'interdisant rien, propriétaire en faillite et cachets inédits en même temps, Sarah Bernhardt demeure la plus connue de toutes les actrices françaises, un siècle parès sa mort, alors même qu'il n'y a pratiquement pas de captation théâtrale et que ses films, unanimement médiocres, ont disparu.

                Sarah Bernhardt demeure un symbole, un écusson officiciel du Paris fin XIXe début XXe. Patriote, dreyfusarde, attirée par les deux sexes mais jamais au point de de ne plus être maîtresse d'elle-même. Elle revit plaisamment dans cette biographie légère d'Elizabeth Gouslan, nous donnant envie d'Entente Cordiale et de Belle Epoque, bien que pour beaucoup de Français de ces années ces deux expressions ne soient guère proches de leurs univers. Une expo prochainement au Petit Palais, je crois, commémorant le centenaire de sa mort. 

7 mars 2023

Deep River

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             Saga classique de l'émigration aux Etats-Unis, ce roman vraiment fleuve (Deep River titre original curieusement traduit en France) en est la version finlandaise avec la diaspora nordique à l'extrême nord-ouest américain, le Washington au début du siècle précédent. Faire bientôt éclater la terre comporte 850 pages. La littérature et le cinéma ont souvent relaté l'arrivée et l'installation des Européens. Italiens et Irlandais fournissant le plus gros contingent.Voici l'histoire des Finlandais devenus bûcherons ou pêcheurs du côté de la Columbia River, contée par Karl Marlantes, lui-même né à Astoria, Oregon, en 1944 et auteur d'un des meilleurs livres sur le Vietnam, Retour à Matterhorn

          Les ingrédients sont bien là. Une fratrie de nouveaux venus en Amérique, ceux-là ont fui l'oppression russe en Finlande au début du XXe siècle. Dans ce bout du monde américain tout est à construire. Ilmari, Matti et leur soeur Aino se retrouvent ainsi dans une colonie de bûcherons. La tache est colossale mais l'espoir est là. Land of freedom? Certes, mais ça va prendre du temps. Entre parenthèses lire Faire bientôt éclater la terre aussi, ça prend du temps. Nous n'échapperons donc pas aux préjugés des autochtones, à la volonté des arrivants, aux débuts d'une déforestation artisanale. Rien de vraiment inédit dans cette histoire. Mais outre que c'est une histoire à laquelle on adhère facilement n'oublions jamais que l'inédit n'existe plus depuis belle lurette.

           Ce roman présente Aino, la soeur, comme l'héroïne principale, la plus engagée socialement, la plus pugnace, une Scarlett O'Hara de l'abattage des arbres, une pasionaria de la cause des exploités, une précurseure... (comment dit-on) du syndicalisme.  Normal dans le contexte actuel, néanmoins sympathique. On y rencontre Joe Hill, immmigrant suédois, militant célèbre, héros des chansons folk de ma jeunesse. Les frères d'Aino et tous les autres ne s'en laissent pas conter malgré tous les malheurs de la ruée vers l'Ouest. Accidents du travail (terme anachronique bien sûr), amours-désamours, mariages, fièvres, bals, 14-18, ascension sociale avec quelques pannes, tout ce qui fait l'intérêt et la limite de ces bouquins-tendinites (parfois le kiné resurgit vu le poids de l'ouvrage) est là.

            Et puis il y a les détails. Et là Marlantes  ne fait pas dans le détail avec tous ces détails techniques un tantinet fastidieux. Sur la pêche au chinook dans l'estuaire, ce saumon géant plus lourd encore que le bouquin. Le travail de documentation de cette saga dû être considérable. Et que dire des pages entières sur le labeur si dur des bûcherons, élagueurs, débardeurs face aux gigantesques séquoias? On en sort un eu essoré parfois, les bras lourds de tant d'efforts.

           Mais ne boudons pas. Faire éclater la terre est un bon roman, bien balisé certes mais ce n'est pas désagréable de cheminer en littérature muni d'une ceinture de sécurité, comme n'avaient pas les pionniers nordiques dans les années 1900. Rappelez-vous, faut un bout de temps. Pour la chanson je n'ai pas mis la célèbre version Woodstock de Joan Baez qui m'énerve un peu mais celle de Luke Kelly (The Dubliners)

3 mars 2023

Fantaisie pour éloge funèbre

Masse

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                      Je suis un peu déçu de La pire amie du monde d'Alexandra Matine, que j'ai lu grace à Masse Critique Babelio qui me fait confiance depuis bien longtemps et à qui je dois de belles découvertes. Les grandes occasions explorait le thème constant des conflits de famille, et plutôt bien. La pire amie du monde est un peu trop shoegazing à mon gré. Et c'est volontairement que j'emploie un mot anglais. L'auteure a parsemé son roman de nombreux mots dans la langue de Shakespeare, qu'elle a  cependant écrits en italique. Curieuse démarche. Mais nous sommes dans un milieu branché, forcément in.

                   L'héroîne s'appelle Cyr. Plusieurs personnages féminins sont nommé d'un diminutif peu explicite sur leur sexe. J'ai cru y voir un signe des temps. Mais soyons justes, La pire amie du monde n'est pas sans intérêt. Bien sûr cette génération de trentenaires m'énerve profondément et beaucoup de leurs codes me sont inaccessibles. Je cesse maintenant de maugréer. Cyr doit écrire et lire pour les obsèques de son meilleur ami tragiquement disparu en Thaïlande. Est-ce mieux qu'à Saint Brévin les Pins? Excusez-moi, ça me reprend. Elle a quelques jours pour ça, le corps prenant du temps pour être rapatrié.

                   C'est cette sorte de vacance que nous vivons avec elle. Variation sur le deuil, finalement assez intéressante, un peu déstabilisante, Cyr d'adressant à son ami mort, joli témoignage qu'on maîtrise au fil du livre. Et puis les nombreux retours dans le passé, douloureux, Cyr ayant perdu sa soeur et sa mère à quelques mois d'intervalle, quelquefois tragi-comiques. Les substances prohibées jouent leur rôle, la mode, pardon, la fashion, les rencontres hype, la vie à Amsterdam. Quelques belles idées dont une diablement originale, Cyr est accro aux montages Ikea. Ce monde m'est totalement exotique mais pourquoi pas. 

                  Parfois on s'éloigne de Cyr, pas un modèle d'empathie, ni de modestie. Mais la poésie s'invite de temps en temps, ne serait-ce que ce plongeur de canal qui s"engage à retrouver une alliance, en trois tentatives, pour 40 euros, qui la retrouve effectivement et s'en va en refusant 20 euros de plus. Quant au vocabulaire déjà évoqué c'est parfois snobement snob, parfois plutôt sympa, comme le verbe friendzoner, qui dit bien ce qu'il veut dire. De temps en temps on s'interroge. Ainsi que pensez-vous de Quand tout le monde a pris place un croquemort avec une tête de caviste spécialisé en vin nature monte sur l'estrade? Il y a aussi oversized, highlighter, steel drum, hard feelings, push-up, payroll. But we do with.

 

 

 

 

 

 

 

22 février 2023

Et si...Et si... version Melbourne

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           Troisième lecture de l'auteur australien Elliot Perlman (Trois dollars, La mémoire est une chienne indocile), qui m'avait déjà réjoui. Ce roman explore le monde de l'entreprise, plus exactement celui très particulier des ressources humaines. Un grand cabinet d'avocats, une société du bâtiment, tous deux au coeur de Melbourne. Deux puissances qui s'épaulent et parfois se déchirent.

           On ne quitte pas la ville et on ne déserte guère les milieux d'affaires, ce qui pourrait s'avérer vite ennuyeux. Or ça reste picaresque et somme toute comique avec beaucoup de causticité. Le harcèlement sexuel est un prétexte à explorer les multiples faux- semblants et chausse-trappe qui sont le quotidien de ces grandes entreprises. Mais Et si le cheval se mettait à parler reste une comédie et non un réquisitoire. Les manipulations internes et les coups bas juridiques sont un peu obscurs et pour tout dire c'est parfois compliqué.

           Mais l'ambiance y est. Les plus puissants sont pleins de morgue et les moins favorisés ont les dents longues. Cadeaux empoisonnés, inénarrables réseaux sociaux, indiscrétions, l'on fouine pas mal dans ce roman. Plaignantes victimes, elles-mêmes plus ou moins machiavéliques, harceleurs moyens, très moyens, la société australienne de Melbourne n'en sort pas grandie mais ne sommes-nous pas tous des Australiens et les antipodes ne se rejoignent-ils  pas forcément pour le meilleur? Mais à tout prendre la créativité se loge parfois dans les memos et les machines à café.

          - Vous êtes l'avocat de ses adversaires! Comment pourriez-vous l'aider?

          - Vous voyez tout ça sous un angle antagoniste. Moi je suis créatif. C'est une version postmoderne dr la résolution de conflit alternative.

          - Betga, mais enfin comment voulez-vous être à la fois l'enquêteur de Torrent et l'avocat des parties adverses?

           Cependant Et si le cheval se mettait à parler n'atteint pas l'intensité si profonde de La mémoire est une chienne indocile

  

16 février 2023

Digital animal (Ich bin ein Berliner)

Masse

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                          Amy Liptrot m'avait beaucoup intéressé avec L'écart, il y a trois ans. La voilà de retour chez moi grace à Babelio Masse Critique, que je gratifie d'un grand merci. Titre court également, L'instant. Fugitif? Présent? Passé? Futur? Amy quitte ses chères îles nordiques, les Orcades, pour Berlin, cosmopolite, hype et amnésique. Autant dire que l'atmosphère est différente. Mais les oiseaux...

            La trentaine, libre et branchée, ultraconnectée même. Mais Amy semble à l'aise dans cette ville où l'on parle surtout l'anglais. Elle parle beaucoup d'elle, se définissant joliment comme migrante lifestyle et provisoire, et non économique ou climatique. C'est certes une forme de luxe, mais elle cumule les petits boulots entre deux fêtes techno. Et surtout Amy est de cette génération de mutants accro à ce petit objet lumineux présent partout. Vous connaissez peut-être. Et les oiseaux...

          A priori tout pour m'inintéresser si j'ose ce barbarisme. Et pourtant Amy m'a touché, un peu énervé aussi. Elle parvient à joindre le numérique et l'ailé, nullement incompatibles. Capable de Je ne veux rien de plus qu'une source biquotidienne de textos subjectifs et de Je veux juste une épaule sur laquelle m'appuyer. Mais surtout elle nous immerge en un double point de vue dans Berlin, ville extraordinaire dont on croit connaitre l'histoire. Ville de toutes les substances, des rave parties, des bains nocturnes, des addictions, mais aussi championne de la verdure où pullulent entre autres les étonnants ratons laveurs. Je vous conseille l'inventaire à la Prévert version Porte de Brandebourg. 

         Rencontres, sexe, art, art du jour, parfois caduc la semaine suivante. Berlin où le vieux aéroport de Tempelhof est transformé en piste à tout faire, skate, camp migrant, lieu de deal, bauge à sangliers, et où le célèbre Tiergarten abrite toutes les faunes possibles. Amy Liptrot, je l'avais laissée dans ses îles lointaines, déjà connectée mais aussi nageuse de Mer du Nord et passionnée d'oiseaux. Et on les retrouve, ses chers oiseaux, parfaitement adaptés à la métropole, plus intelligents que jamais. 

         Disponible, prête à bien des expériences, attachée aux changements, curieux oxymore, la trentenaire touche juste. Et dans mon cas partuculièrement en ornithologue amateur. Cycliste matinale voire nocturne, rossignols, martinets, faucons crécerelles et surtout ses chouchous les autours, rapaces prédateurs fascinants, les maîtres des nuits berlinoises, n'ont plus de secrets pour elle. Tout cela soigneusement collecté sur les écarns à tour dire, à tout montrer, à tout faire. 

       Peu geek, j'ai pourtant envie de vous conseiller cette année allemande, peu germanophone tant la pression internationale pèse sur cette ville différente. Bien sûr je suis plus porté sur les ailes du désir. Dans une vidéo je regarde un oiseau blanc, le splendide faucon gerfaut, manger la chair blanche d'un aitre oiseau blanc, un cygne. Autre citation, plus sobre, Mon projet est de trouver un raton laveur et un amant. Dans quel ordre, Amy? 

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