07 mars 2023

Deep River

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             Saga classique de l'émigration aux Etats-Unis, ce roman vraiment fleuve (Deep River titre original curieusement traduit en France) en est la version finlandaise avec la diaspora nordique à l'extrême nord-ouest américain, le Washington au début du siècle précédent. Faire bientôt éclater la terre comporte 850 pages. La littérature et le cinéma ont souvent relaté l'arrivée et l'installation des Européens. Italiens et Irlandais fournissant le plus gros contingent.Voici l'histoire des Finlandais devenus bûcherons ou pêcheurs du côté de la Columbia River, contée par Karl Marlantes, lui-même né à Astoria, Oregon, en 1944 et auteur d'un des meilleurs livres sur le Vietnam, Retour à Matterhorn

          Les ingrédients sont bien là. Une fratrie de nouveaux venus en Amérique, ceux-là ont fui l'oppression russe en Finlande au début du XXe siècle. Dans ce bout du monde américain tout est à construire. Ilmari, Matti et leur soeur Aino se retrouvent ainsi dans une colonie de bûcherons. La tache est colossale mais l'espoir est là. Land of freedom? Certes, mais ça va prendre du temps. Entre parenthèses lire Faire bientôt éclater la terre aussi, ça prend du temps. Nous n'échapperons donc pas aux préjugés des autochtones, à la volonté des arrivants, aux débuts d'une déforestation artisanale. Rien de vraiment inédit dans cette histoire. Mais outre que c'est une histoire à laquelle on adhère facilement n'oublions jamais que l'inédit n'existe plus depuis belle lurette.

           Ce roman présente Aino, la soeur, comme l'héroïne principale, la plus engagée socialement, la plus pugnace, une Scarlett O'Hara de l'abattage des arbres, une pasionaria de la cause des exploités, une précurseure... (comment dit-on) du syndicalisme.  Normal dans le contexte actuel, néanmoins sympathique. On y rencontre Joe Hill, immmigrant suédois, militant célèbre, héros des chansons folk de ma jeunesse. Les frères d'Aino et tous les autres ne s'en laissent pas conter malgré tous les malheurs de la ruée vers l'Ouest. Accidents du travail (terme anachronique bien sûr), amours-désamours, mariages, fièvres, bals, 14-18, ascension sociale avec quelques pannes, tout ce qui fait l'intérêt et la limite de ces bouquins-tendinites (parfois le kiné resurgit vu le poids de l'ouvrage) est là.

            Et puis il y a les détails. Et là Marlantes  ne fait pas dans le détail avec tous ces détails techniques un tantinet fastidieux. Sur la pêche au chinook dans l'estuaire, ce saumon géant plus lourd encore que le bouquin. Le travail de documentation de cette saga dû être considérable. Et que dire des pages entières sur le labeur si dur des bûcherons, élagueurs, débardeurs face aux gigantesques séquoias? On en sort un eu essoré parfois, les bras lourds de tant d'efforts.

           Mais ne boudons pas. Faire éclater la terre est un bon roman, bien balisé certes mais ce n'est pas désagréable de cheminer en littérature muni d'une ceinture de sécurité, comme n'avaient pas les pionniers nordiques dans les années 1900. Rappelez-vous, faut un bout de temps. Pour la chanson je n'ai pas mis la célèbre version Woodstock de Joan Baez qui m'énerve un peu mais celle de Luke Kelly (The Dubliners)

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21 janvier 2023

Coup de (Red) Bluff

Black

                   Blackwood est notre roman commun de fin d'année, à Val et moi. Blackwood – Michael Farris Smith. Pas vraiment un cadeau à mon avis. Sera-t-elle d'un avis différent? Le kudzu, plante grimpante invasive, a envahi Red Bluff, coin paumé du Mississippi. C'est le Sud, celui, bien que plus tardif, de Faulkner, de Caldwell, de beaucoup d'autres. J'avais aimé Nulle part sur la terre. Moins Blackwood qui flirte un peu avec le fantastique.

                  1976, Colburn, la trentaine, revient au pays où il a connu un drame enfant expliqué dans le court prologue, effrayant. La bourgade a changé, désertée et sans entrain. Il est artiste plasticien, plasturgien, et récupère métaux et ferrailles. Je trouve que ce n'est déjà pas très glamour. Très vite on est plutôt dans le réglement de comptes dans l'air vicié de ce Sud profond. Savez-vous qu'en Amérique le Sud est toujours profond? Le fameux kudzu, et les rancoeurs. Plutôt un taiseux, Colburn, mais personne n'est loquace dans le comté. Quand deux enfants disparaissent mystérieusement l'ambiance s"alourdit salement. Il y a bien un sherif, un bar, mais cette alchimie pour moi n'a guère pris.

                  Il semble même que j'ai déjà un peu de mal à me remémorer ce roman lu il y a à peine quelques semaines. Mauvais signe. Et je me pose quelques questions subsidiaires sur le sens d'une lecture à la quelle on ne mord pas, et sur mes propres capacité à m'y investir? Et si était venu le temps de relire. Relire, je ne l'ai fait que deux fois. Pour Le désert des Tartares et Le nom de la rose. Et ça m'inquiète un peu d'en être là. Le kudzu, un kudzu moral m'envahirait-il? 

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20 janvier 2023

Mort d'un Oyseau

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                         Ce blog commence à accuser son âge. Et j'ai vraiment l'impression qu'il tourne uniquement à la rubrique nécrologique. L'adieu à David Crosby est une étape de plus. Les Byrds, chantres du folk électrique, avec Stills and Nash, puis avec Stills, Nash and Young, en duo, seul, avec d'autres. Six décennies. Allez, pas de dithyrambes, pas trop de larmes, la musique...Je ne vais pas refaire l'historique. Tamalpais High.

  

              David Crosby ne fut pas un parangon de vertu. C'est le moins qu'on puisse dire. Moi non plus. Mais je suis peut-être moins bon 🎸. Alors je partage avec lui Guinnevere, toutes proportions gardées. 

         

          

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23 décembre 2022

The clock around the rock

Masse

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                                Cadeau de fin d'année de Babelio, merci encore pour ce beau livre, traditionnellement proposé par Masse Critique. Et c'est un vrai bonheur que de plonger dans un univers musical qui n'est pas le mien, mais que j'apprécie quand même. Je suis plutôt un homme de la décennie suivante. Splendide iconographie pour ce bel objet, surtout les pochettes de disques originales. Mais le plus magique dans cet album somptueux est de découvrir les nombreux seconds couteaux et troisièmes gâchettes du rock'n'roll. Alors exit Presley, Lewis, Cochran, Perkins. Ils sont là bien sûr, avec chacun leur destin, la plupart du temps douloureux, voire tragique. 

               Mais les autres, une ribambelle de noms complètement inconnus, nés pour la plupart au début des années trente, souvent dans des familles prolétaires, ruraux ou citadins. Peu enclins aux études, passés par la case baloche et country, ou par le groupe de lycée, surtout pour étourdir les filles. Suiveurs d'Elvis mais parfois ses prédécesseurs. Effervescence midfifties de ces jeunes aux dents longues et aux idées parfois un peu courtes pour qui des Colonel Parker furent un peu pygmalions et beaucoup escrocs. 

              Les photos, essentiellement des disques originaux, sont un régal. Et s'il n'y a guère dans ce livre de révélations fracassantes j'y ai surtout trouvé une confirmation. Les rock stars des sixties et seventies, et ultérieures n'ont rien inventé. Les pionniers du rock'n'roll non plus. Tous ont eu une vie d'un conformisme affligeant. Vivre vite, pas longtemps, alcool, petites pilules, stupéfiants, bagarres, bagnoles en vitesse, deux trois mariages ratés, trois petits tours, accident, parfois meurtre, suicide pas rare et puis un enterrement. La panoplie quoi. Mais ça ne m'empêche pas de les aimer. 

              Rodolphe, scénariste de BD, jadis passé par les cases Pilote et Métal Hurlant a signé des biographies de Stevenson mais aussi de Buddy Holly, Johnny Cash, Eddie Cochran. Tout ça, vous pensez que ça me va très bien. Illustration musicale,  j'ai choisi Gene Vincent, garanti efficace. Mais il y en a tant d'autres. Je terminerai en poésie, Tutti Frutti, Be Bop a lula. Mieux encore, Awopbopaloobop Alopbamboom.

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28 octobre 2022

Le dernier des sept

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          Comme les samouraÏs ou les mercenaires ils étaient sept. Bill (Haley), Buddy (Holly), Gene (Vincent), Eddie  (Cochran), Richard (Penniman aka Little Richard), Chuck (Berry) et Jerry Lee (Lewis). Je n'avais pas l'âge de les écouter, faut pas exagérer. Mais gloire aux défricheurs. Le Killer J.L.L. était l'ultime pionnier. Un jour, bien plus tard le rock changea ma vie. Mais Buddy (1936-1959) et Eddie (1938-1960) n'étaient déjà plus là.

*Rock'n'roll is here to stay. 

**Qualité sonore d'anthologie  🎹

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27 août 2022

Sylve

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               Hors-catégorie. Pourtant Richard Powers est immense. Ca, personne ne le contexte. Je l'ai lu à quatre reprises avant ce livre. Ce n'est pas un auteur toujours très facile. Mon favori reste Le temps où nous chantions, si émouvant. J'ai donc tenté d'escalader L'arbre-monde. Ca s'est avéré très riche, très stimulant et ça m'a pris pas mal de temps. Mais ce roman, d'une indéniable grandeur, complexe, lyrique, qui brasse et enchevêtre deux thèmes tellement actuels, le climat et les nouvelles technologies, m'a laissé pantois et sous le choc. N'hésitez pas à entrer dans la forêt Powers. On peut se munir d'un dictionnaire, mieux, d'une encyclopédie botanique car la richesse du vocabulaire se mérite.

                Pat Westerford, une botaniste dont les théories ne plaisent pas à tout le monde, surtout pas à ses pairs, croit avoir découvert le mystère de la communication entre les arbres. Neuf personnes, que Richard Powers nous a longuement présentés dans le chapitre Racines, vont chacun à sa manière s'impliquer dans un combat qui va bien au delà d'une écologie réductrice banale. La narration est multiple, vertigineuse. Je crois que la métaphore musicale est la seule qui permette d'appréhender en partie ce roman. Là où la littérature est souvent musique de chambre les mots de l'écrivain se font symphonie plutôt que concerto. 

                Pas de soliste effectivement dans L'arbre-monde. Le terme roman choral est trop galvaudé. D'une toute autre ampleur, d'un tout autre envol fait preuve ce livre. Et s'il y a concerto c'est non seulement pour les neuf personnages impliqués dans cette reconquête sylvestre mais aussi pour les milliers d'essences menacées sur tous les continents. Et là il me faut insister sur la fabuleuse richesse, inégalée, de la prose de Powers. Les infinies connections entre les arbres, les miracles qui s'accomplissent de la canopée aux racines, la puissance de la régénération des végétaux, et surtout ce quotidien ignoré, méprisé ou massacré,  de la main et de l'esprit de l'homme, nous prend au collet comme un uppercut. Changeons, au moins un peu, s'il en est encore temps.

               L'arbre-monde fera date, si ce n'est dans la littérature, au moins dans la mémoire de quelques humains réveillés. L'espoir, la vérité, le temps même, sont délaissés par les hommes. Si vous plongez dans ce beau roman, peut-être comme moi, vous faudra-t-il brasser rudement pour avancer, vous ravitailler en chemin, quelques précisions arboricoles peuvent être nécessaires. L'arbre-monde n'est pas un tranquille saule larmoyant, ni un chêne indomptable. L'arbre-monde est l'histoire de nos relations avec cet univers tant souterrain qu'aérien. C'est peu dire que l'on ne se relève pas indemne d'un tel voyage. Je n'ai extrait aucune ligne. Elles sont si nombreuses...et somptueuses. 

              Je m'aperçois que je ne suis pas revenu sur la technologie galopante et les tristement célèbres réseaux sociaux, forcément très présents. C'en est effrayant.

 

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26 mai 2022

Fin d'une histoire (West Side Story)

Masse

Route One

                   Babelio Masse Critique m'a cette fois expédié en Californie pour un récit plaisant sur les traces des bâtisseurs, ou dynamiteurs, c'est selon. Michel Moutot, journaliste, signe là son quatrième roman. Les trois premiers étaient aussi consacrés à l'Amérique. 1935. Un jeune et brillant ingénieur responsable de la construction de la Route One qui doit border toute la côte du Pacifique se heurte à l'hostilité d'un richissime propriétaire terrien, Mormon polygame de surcroît. 

                  L'histoire demeure manichéenne et l'on choisit vite son camp, le riche et le pauvre, l'intolérant (sauf pour lui-même) et le progressiste, le pervers et le romantique. Peu importe la facture très classique de ce roman. L'intérêt en est plutôt d'ordre historique et documentaire. C'est que tracer une route de cette longueur dans un Ouest extrême, sur une étroite bande entre le Pacifique souvent vindicatif et les Rocheuses toutes proches et avec un sous-sol qu'on sait pour le moins pas sans faille, c'est le mot, n'est pas chose facile.

                  L'auteur revient en arrière au début du livre pour conter la migration des disciples de l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et leur influence grandissante, leurs dérives aussi. Puis retour aux années trente, et les passages obligés de tout roman sur l'Amérique des pionniers. Par ordre d'apparition la mafia, la grande crise, celle des Raisins, quelques travailleurs / trafiquants chinois, les taulards de San Quentin embauchés sur les chantiers, les barrages notamment. Cette époque signe la fin du Go West. Bien décrite par Michel Moutot, qui connait son sujet, longtemps correspondant de presse aux U.S.A. 

                  Le travail colossal de ces années pré-Roosevelt a souvent été évoqué dans le folk song américain à commencer par les ballades de Woody Guthrie. Ce sont les dernières cartouches de la Conquête de l'Ouest, à coup de dynamite et de pelles mécaniques rugissantes. Il y aura des gagnants et des perdants. Parmi ces derniers... les grizzlys et les lions des montagnes.

                  Route One est une lecture aisée et dépaysante, bien étayée par les recherches, soignée, que je conseille amicalement. Babelio et le Seuil ont bien fait. 

                  

 

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20 mai 2022

Promenade avec New York sans New York

New York sans New York - Philippe Delerm

                        Philippe Delerm et moi on est de la classe et c'est peu dire que dans sa déclaration d'amour à New York je me suis retrouvé. Joli livre à déguster comme on l'entend d'une traite ou d'une manière apéritive, grignotant ça et là quelques pages. Cet hymne à la ville-monde, je l'avais offert à mon fils qui l'a aimé puis me l'a prêté (on fait souvent comme ça), ajoutant que c'était encore plus un livre pour le père que pour le fils. Petit coup de vieux que j'ai mieux compris après lecture.

                       Rapide la lecture comme toujours chez Delerm, mais gouleyante et nostalgique sans ranceur ni rancoeur. Le piéton de New York, j'ai très jadis écrit un courte ode à Woody Allen, celui des grandes années. Annie Hall, Manhattan, Hannah et ses soeurs. Delicatessen, cinéma européen et psy, bref du Stuart Allan Konigsberg pur jus. Jus d'Apple, Big Apple of course. Philippe Delerm raconte très bien comment il refuse tout voyage à New York, par crainte égocentrique que New York détruise son New York. C'est très clair et je suis proche de partager ce point de vue. Mais pour moi it's too late. Je suis déjà allé là-bas au siècle dernier. Tant pis, le mal est fait.

                     Central Park, les agents qui demandent à deux passants s'ils ont besoin d'aide, vu qu'ils marchent normalement. C'est que NY a su banaliser le "différent" et que le "différent" est un peu la norme. Les immeubles, les fameux "tenements" de West Side Story et leurs escaliers extérieurs, le Delerm cinéphile s'avère leur chantre et c'est convaincant. Notre guide semble ignorer davantage la case Scorsese/ Little Italy. Ce qu'il n'ignore pas, moi non plus, d'ailleurs nous y étions tous deux, enfin moralement, c'est les 500 000 personnes au concert historique de Paul et Art le 19 septembre 1981, gratuit sur le Grand Gazon. Moi, ce show d'anthologie, je l'appelle Grace on the grass.

                         Là où je ne risquais pas d'être par contre c'est au légendaire marathon sur lequel Delerm revient volontiers. Lui-même est un coureur de fond et l'épreuve traverse les cinq boroughs historiques de ce qui fut jadis la Nouvelle Angoulême. La ville abrite plus de Juifs qu'à Jerusalem, plus d'Irlandais d'origine qu'à Dublin. Et toute la poésie d'une pochette de Dylan, En roue libre,   célébrissime, le snobisme charmant de Truman Capote, la tournée d'adieu de Charles Dickens, peu connue. And so on... Mais je suis sûr que vous avez tous en vous votre propre City that never sleeps. Notre coeur à tous bat un peu là-bas, en cette ville d'Europe, la plus occidentale qui soit.

 

 

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12 mai 2022

Old Jim

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               Coup double pour ma seule animation cinéma de la saison, Seule la terre est éternelle. Réunir deux pôles, littérature et cinéma. Et si possible quelques fidèles. Tous n'avaient pas lu Jim mais tous semblaient heureux. Retrouvailles aussi avec Seule la terre est éternelle, document consacré par Busnel et Soland à ce vieux grizzly des lettres d'Amérique. Trois semaines de tournage intensif où Jim crève l'écran, sorte de cabotin suprême si l'on veut, mais de cette sorte de personnages qui dépassent leur propre légende, car légataires et transmetteurs de ces valeurs littéraires et humaines dont nous avons tant besoin.

              Courant 2016, François Busnel a enfin obtenu qu'Harrison se laisse filmer dans son repère de Patagonia, Arizona. Ce n'est pas un film sur Jim Harrison, mais avec lui, martèle Busnel dans la promotion du film. Seule la terre est éternelle est resté dans les tiroirs quelques années. Le voici enfin en nos salles. Je ne voulais pas le manquer et les Picards du Nord, une tribu comme les aurait aimées Jim, ont ainsi pu le voir. Un vrai spectacle cinématographique à lui tout seul Old Jim, 78 balais, du "qui a vécu", insuffisant respiratoire au stade ultime qui allume une clope à chaque plan, déambulant lentement, de travers, claudiquant, surcharge pondérale, whisky partageur, l'oeil resté vif, son seul et unique, et la voix d'un plantigrade des Rocheuses sous acide. Jim est mort quelques mois plus tard.

             Ce fut un joli moment qu'ont apprécié, je pense, les spectateurs. Y compris ceux, pas rares, qui n'avaient jamais lu Harrison, ni même ne connaissaient son nom. C'est que ce diable d'homme excelle à se raconter, sans effets de manche, de sa voix comme venue du Grand Canyon, entouré de ses chiens, l'une des grandes amitiés de sa vie. Le sort des Amérindiens qui fut l'un des combats d'Harrison, la condition des femmes, la douteuse évolution américaine sont au coeur de la dernière partie de cette joyeuse mais profonde pérégrination dans l'oeuvre de Big Old Jim.

            Ce voyage dans l'Ouest est aussi l'occasion de quelques plans sur cette nature extraordinaire (le Wyoming notamment, état le moins peuplé) dont on souhaite qu'elle ne devienne pas victime de son succès. Dame, les livres sur le Montana sont maintenant presque devenus un rayon de librairie. Eternelle question des happy few dépassés par les many many. 

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              La sortie du film fait suite à la parution Flammarion de La recherche de l'authentique, recueil de chroniques écrites tout au long de sa vie dans différents journaux. Notammment sur la pêche, les chiens, et quelques écrivains qu'il révère, Neruda, Thoreau, Steinbeck. Brice Matthieussent, son traducteur historique, en signe la préface, somptueuse. Il y fait référence à Key West, berceau floridien de la pêche au (très) gros, jadis narrée par Hemingway, et qui est une chanson du dernier album de Bob Dylan, Rough and rowdy ways. Pour mon compte j'évoquerai, extrait de ce même disque, I contain multitudes, qui définit si bien Jim Harrison.

            Si vous êtes un lecteur de Jim Harrison vous en m'avez pas attendu. Si non, go West amis, go West. Pas mal de cinémas l'ont programmé. Il faut le dire quand c'est bien.  🎬

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30 avril 2022

Notre-Came brûle

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                             Avec mon amie Val (La jument verte de Val) voici Nos vies en flammmes, récent roman de David Joy, dont j'ai il y a peu parlé très favorablement de Ce lien entre nous. Une fois de plus incursion dans les Appalaches cette région dont la littérature nous abreuve ces temps-ci. C'est devenu un genre en soi. Je vais prendre mes distances peut-être avec ces massifs est-américains. Quelque chose m'a gêné dans ce roman, quelque chose en partie expliqué par la postface de David Joy en personne, Génération opioïdes. J'en ai assez de la prime au sordide et l'omniprésence  de la drogue dans tant de ces romans m'indispose. Dire que quelques attardés y voient un anticonformisme me semble consternant. Nos vies en flammes est l'oeuvre d'un bon écrivain, nul doute. Cependant les détails précis sur les façons de manier la seringue sont-ils vraiment nécessaires? Et peut-être y-a-t-il plus gênant encore?

                            David Joy est lui-même un ex-addict, on l'aura compris et son excellente postface en témoigne. Mais je n'adhère pas vraiment à toutes ces circonstances atténuantes face à la flambée de la toxicomanie dans ces Appalaches devenues dans leur magnificence une sorte de cul de basse-fosse de l'Amérique. A lire ce roman on se prend à rêver de New York ou L.A. comme des havres de paix. L'image des Appalaches est-elle à ce point justifiée? 

                           Ray Mathis, veuf solitaire, voit son fils sombrer dans la drogue, dans la mort. A qui la faute? Le venger, Ray y songe. Thriller rural matiné d'une sociologie décourageante Nos vies en flammes (When these mountains burn en V.O.) établit un parallèle entre les déliquescences du climat et de l'humain. Pas trop envie de m'y attarder malgré l'indéniable talent de David Joy. Manifestement cet écrivain porte mal son nom. D'aucuns trouveront peut-être ce billet trop moralisateur. Pour une fois, tant pis. Deux petits et terrifiants extraits non du roman mais de la postface.

                          Quand j'avais onze ou douze ans, j'avais du mal à dormir. Le pharmacien m'a donné du Zoloft pour la dépression et du Sonata pour le sommeil. Le Zoloft me laissait dans un état de stupeur, comme si mon moi avait été enfermé dans une coquille, et le Sonata me faisait faire des rêves étranges et me donnait parfois des hallucinations quand j'étais éveillé.

                          Quand je repense à ce qui a défini ma génération, je ne vois pas tant la musique et les vêtements, le grunge et le hip-hop, les jeans baggy et les casquettes de base-ball serrées que la naissance de "Big Pharma". Tous les gamins avec lesquels j'ai grandi s'étaient fait prescrire quelque chose. Chaque pub à la télévisions'achevait par une liste indéchiffrable d'effets secondaires. Encore maintenant, chaque armoire à pharmacie contient des cachets qui peuvent être pris à tort et à travers, des médicaments qui peuvent servir à se défoncer. 

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