Je retrouve très heureusement Valentyne (La jument verte de Val) sur d'autres rives après une expérience italienne pénible et un forfait espagnol. Alors je l'ai à nouveau entraînée en Irlande où manifestement je suis plus en phase. C'est que j'ai déjà presque tout lu de Joseph O'Connor qui figure à l'heure actuelle dans mes auteurs de prédilection. Ce livre, au titre français ridicule (The thrill of it all, en VO, est une chanson de Roxy Music), avait a priori tout pour me séduire. Et je confirme le talent varié d'O'Connor. Robbie, quinquagénaire, entreprend d'écrire ses mémoires. Ancien guitariste du groupe rock Ships in the Night, asthmatique et solitaire dans sa péniche londonienne, il se raconte à travers son groupe, Fran, irlando-vietnamien, les jumeaux Sean et sa soeur Trez, batteur et violoncelliste. Ships in the Night est bien sûr fictif mais chaque lecteur pour qui le rock a compté (et croyez-moi dans mon cas il a compté triple et m'a presque sauvé la vie) y dessinera ses idoles des décennies passées, voire y fabriquera ses propres rêves et légendes. Car Maintenant ou jamais est un chef d'oeuvre de narration multivoix, et d'émotion, épousant parfaitement les affres et les triomphes d'un groupe de rock passant en quelques mois de l'anonymat d'un garage à la lumière mondialisée. En passant par les tournées d'abord un peu spectrales devant douze ivrognes, puis les premières parties (U2, rien que ça), enfin les mégaconcerts et déjà le début de la fin car fulgurant est souvent ce rock tant aimé. Ayant ultramodestement joué avec quelques potes dans un grenier je me considère, abusivement, comme de ceux là, tant cette musique a dessiné des pans entiers de ma vie.
Ships in the Night est un élément des années quatre-vingt. C'est qu'ils sont de la génération Joseph O'Connor et la musique évoquée dans ce roman nous dirige plus du côté de The Cure ou Depeche Mode. A chacun d'y retrouver les siens. Survolté de la fin des sixties j'ai hélas passé d'une douzaine d'années l'âge du rôle mais Maintenant ou jamais ne souffre pas d'être trop ancré dans sa (courte) existence historique. Si Rob est le narrateur central les trois autres interviennent sous forme d'entretiens tout au long, cela donne une symphonie parfois un peu cacophonique très réactive à cette histoire. Terriblement vivante. L'aventure de quatre copains qui s'essaient au rock est fabuleuse, vouée à l'échec dans 99% des cas, et vouée à l'explosion des egos et des frais d'avocats dans le 1% restant, est intemporelle depuis Liverpool. Ceci importe peu. Le superbe de Maintenant ou jamais , c'est la finesse d'analyse des rapports entre les membres de Ships in the Night. Lui-même ancien journaliste proche des milieux musicaux, frère de la très controversée Sinead O'Connor, Joseph O'Connor, dont vous pouvez retrouver plusieurs critiques ici-même sur ses livres précédents, sait à merveille décrire les premiers contacts entre Robbie et Fran, ces Glimmer Twins des eighties, ces Jagger-Richards, ces Lennon-McCartney de Luton, banlieue londonienne ordinaire.
Musiciens moyens, très, comme la plupart des stars du rock à leur ignition, transcendés par l'envahissante personnalité de Fran, puis comme oppressés, Ships in the Night, c'est toute une jeunesse d'excès en tous genres. Ca, vous n'y échapperez pas car personne n'en réchappe. Ca m'a d'ailleurs toujours consterné, cette ahurissant conformisme de ces jeunes en révolte parce que jeunes, donc conformes. Et ceci n'empêche pas de les aimer, mais, bon sang, de les aimer. Des navires dans la nuit, quel beau nom, dont les voiles frissonnantes mènent au nirvana du Rock'n'roll Hall of Fame et à l'inévitable déréliction inscrite dans les gênes de l'aventure musicale et humaine de ce microcosme qu'est un quatuor de jeunes musiciens. Livre passionnant, bouleversant, sidérant d'exactitude et qui m'a fait me sentir membre à part entière de Ships in the Night, que dire de mieux. Il est vrai que si investi dans cette musique depuis cinquante ans, j'ai aussi joué avec les Fab Four, les Stones et les Doors. Ou tout comme.
Dublin et la Liffey, 2012. On retrouve Robbie Goulding, Francis Mulvey, Sean et Trez Sherlock près de trente ans plus tard. L'histoire ne repasse pas les plats. Que faire de ces éventuelles retrouvailles? Les ignorer, en rester là vers 1982, quand l'aube dorée et les fées se penchaient sur ces petits bateaux de papier, les adolescences de quatre gamins? Mieux ainsi, mais je crois qu'avec moi, ça faisait cinq.
La bande originale, le soundtrack de The thrill of it all, vu les fantômes que l'on y croise de Bowie à Bono et consorts, elle est bien sûr stupéfiante. Mais vous la faites vous-mêmes, hein?
Robbie "En arrivant aux studios de télévision de White City j'ai cru que j'allais pleurer. A la stupéfaction des hommes de la sécurité, Fran s'est agenouillé avec une solennité de pape pour baiser les marches que Bowie et Bolan avaient foulées."
Fran "Ce vieux truc de l'Irlande contre la Grande-Bretagne. J'y crois pas, mec...Autrefois c'était différent...Ouais, l'histoire de l'Irlande, ça te déchire le coeur. Mais pour moi, l'Angleterre, l'Irlande, c'est pratiquement pareil...Voilà d'ou vient mon groupe. On n'était ni Anglais, ni Irlandais. On était Ships in the Night."
Plaisir à peu près trimestriel avec Valentyne d'une lecture commune La couleur des ombres – Colm Toibin et retour aux lettres irlandaises dont je ne m'éloigne jamais très longtemps. Colm Toibin, la soixantaine, est l'un des plus connus parmi les contemporains d'Erin. Je l'ai beaucoup lu, romans et nouvelles confondus. Je suis très porté sur les nouvelles, difficiles à chroniquer toutefois. Le recueil La couleur des ombres m'a semblé moins riche que L'épaisseur des âmes. Voir Mères et fils. Au passage qu'on m'explique pourquoi le titre original est celui de la nouvelle La famille vide alors qu'en France on a choisi la nouvelle La couleur des ombres. Neuf textes donc dans ce livre mais où je n'ai pas retrouvé l'émotion du précédent recueil. Loin de là.
S'il est souvent question de départ, de retour, de transit, de deuil dans ces textes, Colm Toibin explore aussi beaucoup les liens familiaux, notamment entre fils et mère. Les deux premières nouvelles sont très belles. Un moins un raconte un courrier d'un homme à un ancien amant, courrier où il revient sur la mort de sa mère, et comment il a ressenti ce voyage in extremis de New York à Dublin. "Il était trop tard désormais pour expliquer quoi que ce soit. Nous avions épuisé notre réserve de temps" Dans Silence l'auteur met en scène, autour de la poésie, le secret de Lady Gregory, d’après une histoire rapportée par l'écrivain Henry James, l'un des auteurs favoris de Toibin auquel il a d'ailleurs consacré Le Maître. Bien des points leur sont communs.
Colm Toibin qui a vécu longtemps en Espagne consacre trois nouvelles à ce qui reste comme son pays de coeur. La première, nommé Barcelone 75, ne m'a pas intéressé, entièrement vouée aux vingt ans de l'auteur dans cette ville et à ses aventures homosexuelles (Toibin est un militant) sur fond de mort du Caudillo, une sorte d'Almodovar mais sans ses magnifiques portraits de femmes. La nouvelle Espagne, plus sensible, c'est le retour à Minorque, après la mort de Franco, d'une jeune Espagnole après un exil londonien. Avec son lot de déceptions. Colm Toibin marque parfois un peu fort son territoire social et culturel mais cette nouvelle est forte, on ne revient jamais tout à fait de son exil. La rue conjugue immigration et homosexualité et le relatif anticonformisme de Toibin pâlit un peu.
Mais les choses s'arrangent avec la nouvelle-titre La couleur des ombres. Tante Josie est une vieille dame en fin de vie. Paul son neveu s'en occupe le mieux possible, plus proche d'elle que de l'"autre", sa propre mère, soeur de Josie à qui il jure qu'il ne la reverra pas. Bouleversant, on ne saura pas vraiment pourquoi Paul a rejeté sa mère, l'alcoolisme, ou est-ce l'inverse. Une nouvelle, j'aime bien qu'elle reste posée là, sans réponse à tout. Colm Toibin, là, est magnifique, et tellement plus intéressant. Vous le savez, les militants m'emmerdent vite. Je préfère de loin les silences familiaux.
Attention l'Irlandais Colm Toibin n'est pas un grand irlandophile. "Je ne crois pas à l’Irlande. Pourtant, il arrive que l’Irlande vienne à moi" lance le narrateur de Un moins Un. Toibin parle surtout de Toibin. Un sujet qu'il connait bien. Et parfois l'Irlande le reprend dans sa main et le meurtrit sans ménagement. Je crois qu'il n'arrivera pas à détester ça.
P.S. Je viens de voir au cinéma Brooklyn, assez jolie et classique adaptation du roman éponyme de Colm Toibin. Désormais son exil
X temps que je n'avais pas publié dans cette rubrique prétexte qui tente une vague synthèse musique et cinéma. Just like Greta est une chanson de 2005 du grand Van Morrison (album Magic time) et qui en fait ne parle pas de Garbo, mais seulement du syndrome Garbo. Morrison, réputé peu commode, rêve de prendre ses distances avec la presse, le public, le monde en général. Une sorte d'exil de lui-même où Van Morrison veut débrancher, vivre seul, icône peut-être, ermite un peu. L'excessif kid de Belfast qui éructait G.L.O.R.I.A. il y a cinquante ans au Maritime Hotel chante toujours Divine-ment. Le Maritime Hotel de Belfast était bien loin du standing Grand Hotel de Greta Garbo, à tous points de vue. Mais il est des lieux où souffle l'esprit.Sous les mêmes influences que les Français ignorent presque totalement, le blues, le folk, un petit coup d'Irish fiddle, la soul, etc... écoutez le Van, l'autre Morrison.
Presque rien de ce qui est irlandais ne m'est indifférent. Et surtout pas ce second roman d'un jeune auteur, Paul Lynch dont Un ciel rouge a été l'an passé fort bien reçu. Pas encore lu. Le rouge et le noir chez Lynch sont impressionnants de maîtrise. Les Irlandais sont beaucoup partis, souvent j'ai chroniqué des livres là-dessus. Assez souvent aussi ils sont revenus. Barnabas Kane est de ceux-là. 1945, avec sa femme et son fils il retrouve le rude comté de Donegal dans le nord de l'île et tente de faire vivre une ferme. L'incendie, probablement criminel, détruit son bétail et fait vaciller la raison de sa famille. L'âme noire du titre de cette chronique fait référence au roman d'un autre Irlandais, Liam O'Flaherty, L'âme noire, tant ce beau livre de Lynch offre une vue sur la chère Irlande de très noir vêtue, et de moeurs préhistoriques. On a beau l'aimer, Erin, on sait qu'elle a un lourd passé obscur voire obscurantiste et pas si ancien.
Nul réconfort possible en ce temps là pour Barnabas et Eskra Kane. Matthew Peoples est mort dans l'étable. L'odeur des bovins brûlés hante la lande, les terres et les esprits. Eskra, pourtant modérée, va perdre peu à peu le fil de sa vie. Et Barnabas, finalement moins étranger là-bas en Amérique que dans son île natale, va comprendre qu'on ne lui pardonnera ni le drame auquel il est étranger, ni son retour pourtant modeste. J'ai pensé aussi au film de Jim Sheridan The field. Et qu'on ne croie pas systématiquement parce qu'on est en Irlande, au secours de la religion. Pas plus à la fraternité du pub. On est très loin du compte. Il arrive que des images se brisent. Quant à l'écriture de Paul Lynch, lyrique et insulaire, profonde et limpide, trois lignes suffiront à vous convaincre.
La mule stoïque s'est engagée dans la descente d'un pied sûr, et le soleil, en récompense, s'est mis à jouer avec sa silhouette. De ses longues oreilles grises, il a fait un lapin qui s'est profilé sur la mousse, puis il a travaillé sa charpente robuste et allongé sur la tourbière la noble et splendide silhouette d'un cheval halant une montagne.
Premier roman d'un nouveau venu, mais la collection Albin Michel est rarement décevante, Le coeur qui tourne, c'est une Irlande moderne, celle de la récession qui a suivi le boum dit du tigre celtique. Peut-on parler de choral, pas tout à fait car les vingt-et-un témoins qui interviennent le font sans qu'il y ait une véritable communauté de personnages dont beaucoup ne se connaissent guère. Mais la figure un peu idéale, voire christique, mais le mot est fort, de Bobby Mahon est le centre névralgique de ces mouvements, et alternativement chacun y va de son histoire. Ce sont des histoires terriblement ordinaires et ça fait presque peur, car universelles. La famille n'en sort pas grandie, on s'en doute. Et la chère Irlande non plus, à peine sortie d'une opacité un peu médiévale et balancée dans l'ère du profit à courte vue, grand pourvoyeur de laissés pour compte, même si ces sentences sont à pondérer.
Ce Bobby Mahon, ancien contremaître de l’entreprise locale qui a mis la clé sous la porte, une personne somme toute plutôt estimée, devient peu à peu la cible des rancœurs de tout le monde. C’est une sorte de « pur », l’empathie faite homme, lui aussi a ses problèmes personnels, dont ses rapports avec son père, mais c’est l’espoir de beaucoup pour les aider à survivre. Mais l’irréparable intervient et il est le bouc émissaire parfait, même si personne ne croit en sa responsabilité. A propos cette notion de bouc émissaire finit par mettre mal à l'aise, en général. En effet parfois le bouc émissaire est... coupable, mais ce n'est pas bien de le dire. Mais le débat n'est pas pour aujourd'hui.
Parmi la vingtaine de points de vue il est difficile d'en privilégier queques-uns. Sa femme, son père, des amis ou qui se prétendaient tels. Tous sonnent étonnament vrai dans cette vallée irlandaise d'où tout folklore, souvent abusif dans la littérature de l'île, est presque absent. Même les pubs ne sont plus ce qu'ils étaient. Beaucoup de personnages ne disposent pas du QI d'Einstein, c'est le moins qu'on puisse dire, mais pas méchants, pas forcément. J'aime beaucoup (façon de parler) les "talibanes à la théière", intégristes du tricot et tellement racontarophiles. Triona, l'épouse de Bobby, termine cette ronde des témoignages, avec finalement et envers et contre tous une note d'espoir car le coeur est tout ce qui continue de tourner. Comme Le coeur qui tourne, métallique, sur le portail de la maison de Frank Mahon, le père, crissant au vent.
... le 11 février hélas je n'étais pas. Mais Arte Concert diffuse l'intégrale du concert. Vous avez le temps jusqu'au 11 juillet. J'ai simplement oublié de vous préciser qu'il s'agissait de Neil Hannon and the Divine Comedy au complet. Neil, je l'aimais mieux imberbe mais ne nous égarons pas. Somptueux est le moindre mot pour cette soirée. 2H10 de cette pop symphonique admirable et unique. Et les grands classiques y sont, The Summerhouse, National Express, Generation sex, Sunrise, Tonight we fly, une version marrante et un peu ratée de The booklovers, et A lady of a certain age qui, le temps passant, me fait de plus en plus pleurer.
Ca devient une habitude, je vais dire du bien de William Trevor, auteur d'origine irlandaise, depuis longtemps vivant au Royaume-Uni. Toutefois un peu moins que pour Ma maison en Ombrie, Les splendeurs de l'Alexandra ou récemment Les enfants de Dynmouth. La petite musique de Sir W.T. joue souvent en mineur une partition provinciale où les héros se démènent et se malmènent dans les petits malheurs et parfois les grands. Thaddeus Davenant, horticulteur, vient de perdre sa jeune femme dans un accident de la route. Veuf dans son manoir campagnard, à portée de Londres cependant, sa femme était fortunée, avec sa petite fille de quelques mois et sa belle-mère qui s'installe pour veiller sur la petite. Pourquoi pas? La moins mauvaise façon de continuer de vivre?
Survient Pettie, jeune femme de guère plus de vingt ans, candidate au poste de nurse pour la petite Georgina. Elle vient d'un foyer et a pour camarade Albert, gentil garçon un peu simple qui travaille de nuit et qui ne veut que le bien de Pettie. Mourir l'été n'est pas un roman flamboyant, encore moins hyperactif. Pettie, déçue de ne pas avoir obtenu le poste, et un tantinet charmée par la mélancolie de Thaddeus et par son jardin, sent germer en elle une drôle d'idée. Tableau plutôt calme de vies un peu étriquées, chacun dans son milieu, le roman voit ses quatre personnages principaux tourmentés et hésitants. La belle-mère qui, pour la bonne cause, cherche à s'imposer, le maître qui, anesthésié, semble s'en remettre à elle. Et les deux jeunes gens, Pettie et Albert, qu'une belle amitié réunit, dont le plus raisonnable n'est pas celui qu'on croit.
Mourir l'été n'est pas le livre des grandes colères. Et les drames s'y glissent presque par effraction. Comme si la mort par beau temps en était un peu plus souriante. William Trevor, maintenant très âgé, a vu son lectorat en France grandir doucement. Il y a comme ça des écrivains que l'on lit bien après l'été (je pense à E.M.Forster par exemple).
Quelles belles nouvelles que ces huit textes issus du recueil A travers les champs bleus. Huit destins, huit histoires au coeur de l'Irlande, sauf une au Texas. Il est patent que la plupart des nouvellistes irlandais n'oublient jamais leur référence américaine historique. Des gens modestes vivent devant nous, mais pourquoi les gens modestes n'auraient-ils pas droit au tourment? Claire Keegan sait bien nous exposer leur quotidien de solitude, entre le bétail et l'église, entre les fautes avouées et le pli des regrets. C'est que la sacro-sainte tradition, si elle parfois un peu de bon, a surtout beaucoup de mauvais. Et les gangues patriarcales ou religieuses du pays ne cèdent que très doucement.
Il y a ainsi des hommes cloués à leur glèbe et harassés de fatigue que seul le pub déride un peu. Des femmes que trouble le regard d'un prêtre. Plus rare, une écrivaine en résidence dans la maison du grand auteur allemand Heinrich Böll. Une curieuse empathie d'un paysan tourbier avec une chèvre nommée Josephine. Ce livre se penche bien évidemment sur les femmes d'Irlande, dans la lignée de la grande Nuala O'Faolain. Des femmes qui, parfois au sens propre, animal, marquent leur territoire. Souvent des gens de peu, accrochés à la simple idée de vivre, la nature y est proche, sans idéal. Des groseilliers, un agneau traverse un bout de champ, là-haut les étoiles. Et, lourd, le labeur, à peine des réminiscences de guerre civile, et là on se prend à imaginer que peut-être un jour de cela on ne parlera presque plus. Et dansent les Irlandais, bien que le pays ait changé depuis car ces nouvelles évoquent plutôt les années 70.
Dans un recueil de nouvelles ce que j'apprécie toujours c'est que certaines ne trouvent pas le chemin de notre coeur. Et c'est très bien ainsi, conférant à l'ouvrage une diversité que le roman ne permet guère. Je confesserai une préférence pour Près du bord de l'eau, où un jeune étudiant texan prend difficilement ses distances avec sa famille. C'est dire que l'irlanditude ne quitte pas les exilés de sitôt, même au coeur d'un business-state tel que le grand état du Sud américain.
L'un des plus beaux films du monde raconte un réveillon du début du siècle. Quand je parle du siècle je veux dire le XXème. J'ai dit mille fois mon admiration pour ce film. Un crépuscule, une aube. A l'heure où ce blog pourrait bien ralentir je voudrais souhaiter à toutes et à tous le meilleur pour l'an naissant.
Liffey
Ce fleuve là n'est pas en couleurs
Vous qui rêvez de Nil et d'Amazone
Vous qui ne jurez que par l'Ol' Man River
Vous qui bouquinez sur les quais de Seine
O'Connell Bridge moins long que large
L'enjambe en quinze pas
Remontez votre col en novembre
Longtemps la rivière a eu faim
Ses enfants l'ont maudite et loin là-bas
Ouest atlantique,ne l'oublient pas
La passerelle est bondée, le clochard assis
Patient et souriant n'a pas encore trop froid
Il n'est pas si tard, mais le ciel hibernien
Se désole et décline
Belle et sombre mine, la rivière
Se méfie d'un quelconque traître,
Si longtemps éventrée
De mouchards et de filles trop bavardes
Mais je l'aime en sa grise heure
Et je connais ces silhouettes
Si loin de l'émeraude
Elles n'écrivent pas toutes, mais comme elles savent dire
Leur douleur et leurs haines
Entre leurs doigts poisseux.
Certains midis elle s'embleuit
J'y arpente les planches
Les grues à l'est, vers Laoghaire
Y jouent avec les nuages
Sous le regard d'Albion la méfiance
Des siècles de mépris
Des phalanges frappent le bodhran
Virevolte le banjo
Désinvolte et mutin
Claquent les pieds de Moira
Quand bien même les enseignes ont changé
Là sur le pont danse-s-y
Improbable rencontre, et pourtant
Ulysse pourrait y aimer Molly
Des feuilles rousses sous leurs chaussures
Plaignent le coeur de ville
Statufiés, les héros d'hier
S'offrent à chaque regard
Poètes et musiciens
Rodent encore, à la harpe parfois
Ou bondissants flûtistes
Liffey de chaque instant
Modeste jusques en ton lit
Mais aux tendres fantômes
Aux noirs contours, aux joues creuses
Vois, j'ai tenu serment
Comme j'ai parlé de toi.
Adresse à un vieux portail de bois
Abîmé par le temps et les intempéries, à peine bon
A faire du bois de chauffe ; il ne reste plus une écaille
De peinture pour masquer ces rides, et ces grincements
Font un cri rauque qui déchire le silence – gonds rouillés :
Du barbelé agrippé à un bras pourri
Remplace le vieux verrou, avec un charme mesquin.
Le peuplier sur lequel tu t’appuies est mort,
Et tout le charme de sa jeunesse est oublié.
Ce fossé devra bientôt trouver un autre gardien,
Sinon les vaches iront errer dans les champs.
Elles riront de toi, vieux portail de bois, tes membres,
Elles les disloqueront, les pousseront dans la bouillasse.
Alors je ne pourrai plus m’appuyer sur ton sommet
Et penser, rêver de galets sur la grève,
Ou regarder les colonnes féériques de la fumée de tourbe
Monter des cheminées chaulées en spirales célestes.
Ici j’ai toujours honoré le tendre rendez-vous, et de tout cœur
Quand nous étions tous deux amants, et que tu étais neuf.
Et de nombreuses vois j’ai vu l’œil rieur
De l’écolier à cheval sur ton dos robuste.
Mais la longue main argentée du Temps a touché notre front,
Je suis celui dont se moquent les femmes – toi, les vaches.
Comment pourrais-je aimer les portails de fer qui gardent
Les champs des riches fermiers. Ce sont de durs
De froids objets, un battement autour des piliers de béton,
Le bout du doigt pointé comme les vieilles lances
Mais toi et moi sommes de la même race, Portail en ruines,
Car tous les deux nous avons souffert le même destin.
Patrick Kavanagh
J'aime beaucoup ce texte. N'avons-nous pas tous comme ça un mur, un coin de rue, un vieil arbre, un pont, là, dans notre mémoire et notre coeur? A Dublin Patrick Kavanagh (1904-1967) a comme tout le monde sa statue, près du canal. Né dans le nord de l'Irlande, mais pas en Irlande du Nord, il est très honoré notamment à Trinity College où il étudia bien qu'ayant quitté l'école à treize ans.Les Dubliners ont mis en musique Raglan Road, l'un de ses textes les plus connus.
Marchande de poissons le jour, mais ça ne suffisait pas pour les nombreux frères et soeurs de Molly Malone. La nuit elle exerçait un tout autre métier. Héroïne de Dublin, honorée et méprisée, résistera-t-elle à ce qui suit? Remettez-vous puis écoutez les Dubliners, ambassadeurs quasi officiels de la ville depuis 50 ans. Enfin pour finir, une autre ambassadrice tout aussi officielle.
Voilà, je l'ai débusqué. Un lieu de perdition parmi d'autres. Sur les bords de la Liffey j'ai retrouvé et officiellement validé le port d'attache d'un blogueur de ma connaissance, que je ne citerai pas mais identifiable malgré tout. A noter qu'on ne m'y a pas servi la bière ni le whiskey "free" malgré tout. Allez, "slainte" et rendez-vous à l'adresse indiquée.
Apparitions
Inishbofin un dimanche matin.
Soleil, fumée de tourbe, mouettes, diesel, cales des navires.
On nous aidait à descendre l’un après l’autre
Sur une embarcation que chaque passager faisait tanguer
Dans un vacillement sinistre, avant de nous serrer
Sur les bancs de traverse, par petits groupes craintifs,
Obéissants et mal à l’aise ; nul ne parlait que l’équipage
À chaque immersion des plats-bords
Qui semblaient près de prendre l’eau.
Malgré le calme de la mer,
Les secousses du moteur obligeaient le pilote
À maintenir son équilibre en manoeuvrant la barre :
La réticence et le poids de l’embarcation m’emplissaient D’épouvante.
Cela même qui garantissait notre salut
- soubresauts, légèreté, mouvement -
Faisait ma terreur. À chaque instant
De cette traversée, à la surface régulière
D’une eau profonde et calme, dont on voyait le fond,
C’était comme si j’observais la scène de très haut,
Sur un autre bateau voguant parmi les airs, effaré
Par les périls de cette plongée dans le matin,
Et j’avais pour nos têtes nues,
Courbées, comptées, un inutile amour.
trad. Patrick Hersant
Seamus Heaney, (1939-2013), Nobel 95, est né en Ulster. Inishbofin est une petite île au large de Galway dans l'Ouest irlandais. J'ai eu l'occasion de m'y promener un peu il y a bien longtemps. Comme une peur d'enfance, sinistre, effaré, épouvante, craintifs, périls sont les mots du poète. Rien de rassurant...Mais comme je trouve ça magnifique j'ai voulu vous le proposer. Merci à Asphodèle sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont.
Quel auteur splendide, encore un, que l'Irlandais octogénaire William Trevor. The children of Dynmouth est un roman déjà ancien, 1976, qui paraît seulement en France cet automne. Dynmouth est une petite ville côtière de la côte du Dorset dans les années 70. C'est un petit monde pas très folichon mais la vie passe avec ses petites petitesses chez tout un chacun. Personne n'est parfait. Timothy, un ado perturbé, passe son temps à épier les habitants, à les harceler, à taper l'incruste si j'ose, à seule fin de laisser ses délires miner la petite ville. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose (Beaumarchais avait vu juste). Un ancien officier serait attiré par les jeunes garçons, un autre ne serait pas étranger à la mort accidentelle de son épouse, etc... Les touches sont plutôt délicates et c'est par petits bonds que la perversion de Timothy contamine l'ambiance trop tranquille de cetet sation balnéaire sans histoire.
Timothy n'est pas l'ange de Théorème et n'apporte pas vraiment le glaive. Ce serait lui accorder une importance excessive et un honneur usurpé. Mais tout de même c'est un prurit ce graçon qui clame ainsi son venin du haut de ses quinze ans, du genre, je dis ça, moi, je dis rien... Là est la force de ce roman, des dialogues entre lui et les autres habitants,simples et lourds de conséquences. La vérité, la vraie, est-elle si éloignée de ses propos? La rumeur, ce cinquième cavalier de l'Apocalypse, le pire, puisque la nier est encore l'alimenter, la rumeur ira-t-elle jusqu'à devenir meurtrière? D'où vient chez Timothy ce goût du poison? Son enfance, comme souvent est-elle en cause? Les enfants de Dynmouth, roman très fin et très précis, chronique de l'ennui, ne m'a pas séduit autant que Ma maison en Ombrie ou Les splendeurs de l'Alexandra, mais presque. Voir Ballade ombrienne et La splendeur du bref.
Le rejeu (j'ai décidé de traduire replay) d'Arte permet pas mal de souplesse et j'ai pu ainsi découvrir deux films à peu près inédits qui me renvoient à ma chère Irlande, l'un dans la très catholique campagne des années cinquante, l'autre dans Belfast à feu et à sang des années quatre-vingt. Stella days est un joli film où dans une petite ville vers 1955 un prêtre âgé, ancien bibliothécaire au Vatican, qui n'avait pas forcément la vocation, entreprend d'installer dans la cité un cinéma, le Stella. Ce n'est pas que la programmation envisagée soit olé olé mais dans le pays à cette époque tout est considéré olé olé dès que ça change un tout petit peu.
Le maire est plutôt obtus et le Père Barry se bat de son mieux pour faire aboutir son idée. Le film est agréable mais trop "raisonnable" et les graves problèmes sont abordés en catimini, que ce soit les relations avec Londres ou l'éducation des enfants. Mais Martin Sheen, acteur assez âgé maintenant compose un beau rôle de prêtre ouvert et tolérant, qui voudrait réformer les choses, doucement. On finit par apprendre que son choix de vie fut plus ou moins, et surtout plus, orienté par ses parents. J'ai pensé à Spencer Tracy devant ce personnage de douceur et parfois de colère. Du même metteur en scène Thaddeus O'Sullivan j'ai vu jadis l'excellent Ordinary decent criminal.
On aurait pu traduire ce film par Cinquante vies sauvées. Mais non, ce film s'appelle en français La guerre de l'ombre. C'est idiot mais fréquent. Brutal, n'occultant pas le fait que les violences aient été bilatérales, tourné souvent à la façon d'un reportage de guerre, ce film de la réalisatrice canadienne Kari Skogland, d'après le récit autobiographique de Martin McGartland, revient sur le très difficile point d'équilibre en Irlande du Nord entre l'I.R.A. et les forces loyalistes. Erin,que d'horreurs commises en ton nom!
Martin est un petit délinquant sans trop d'envergure. Mais dans Belfast qui brûle "fraternellement",il est arrêté, il est sollicité par l’officier Fergus pour devenir indic et informer les Anglais. Bientôt recruté par l’IRA, il se trouve rapidement en porte à faux. Réalisé fiévreusement parmi les décombres et les hangars, comme déshumanisé, il me semble que le film sonne juste. Cependant McGartland lui-même s'en est totalement désolidarisé. A croire que la vérité sera difficile à établir, comme souvent dans les guerres civiles. Selon lui-même et quelques autres ses "renseignements" auraient sauvé cinquante Irlandais. Selon des points de vue différents il est considéré comme un traître et, même si la situation s'est améliorée, n'est pas sûr de finir ses jours dans son lit. J'ai bien aimé ce film, qui fait froid dans le dos, et je songe, un peu rêveur, au référendum écossais, et, alors que ce blog évite soigneusement toute polémique, alors même que j'essaie de ne pas amalgamer tout et n'importe quoi, j'ai envie de dire "Gentlemen, n'allons pas trop loin".
Dans cette optique la superbe Aurore/Sunrise de Neil Hannon (The Divine Comedy) en version symphonique me paraît illustrer parfaitement mon propos.
Une novella, je ne savais pas ce que, c'était. Ainsi est présenté le recueil de Joseph O'Connor, Les âmes égarées (titre français médiocre pour Where have you been?, moins pompeux, plus sobre, que je traduirais bien par "Qu'est-ce que t'as foutu?), sept nouvelles + une novella, nommée Un garçon bien-aimé. Si j'ai bien compris une novella serait un court roman d'une centaine de pages avec des chapitres. Appelons ça comme on veut, on s'en fiche. Joseph O'Connor a déjà été abondamment chroniqué ici que ce soit romans, Muse, Redemption Falls, Inishowen ou nouvelles, Les bons chrétiens. Il fait partie de l'invincible armada des écrivains irlandais dont je découvre toujours de nouveaux matelots. J'extrairai de ce beau recueil, où Dublin tient une place importante,ce qui m'intéresse au plus haut point, deux nouvelles qui m'ont particulièrement emballé.
Deux petits nuages, qu'O'Connor définit comme une réponse à une nouvelle de Joyce, Un petit nuage, dont je ne me souviens plus mais que je vais relire, est une formidable tranche de vie sur les retrouvailles à Dublin de deux quadras, le narrateur et Eddy, mainteanant soi-disant dans le show-biz, proche de Bono et pote avec Van Morrison, et dont les enfants s'appellent Kurt et Courtney, vous voyez le genre. Addict aux substances et divorcé menant une vie agitée Eddy se moque de son ami vivant à Londres. Sauf que rien n'est vrai (les enfants se nomment Luca et Emma) et qu'il vit tout à fait bourgeoisement avec son épouse enceinte d'un troisième, ce qui est finalement bien plus original mais quand le dit anticonformisme devient orthodoxie...J'ai vraiment beaucoup aimé la chute de cette nouvelle qui m'a pas mal touché.
Orchard Street, à l'aube revient (c'est récurrent chez les auteurs de l'île verte) sur New York, première ville irlandaise, et la difficile insertion de ces émigrés de la fameuse famine dite des pommes de terre du XIXème Siècle. Très poignante avec la mort d'un bébé cette nouvelle symbolise très bien l'axe transatlantique, omniprésent dans cetet littérature dont je ne me lasse pas. On pense à Dickens, contemporain, car la misère à cette époque n'était pas géographiquement exclusive.
La dite novella, Un garçon bien-aimé, raconte quelques années de la vie de Cian Hanahoe, divorce, déprime, du classique dans une ville de Dublin qui a beaucoup changé, avec une évocation de son père Colm d'une grande portée émotionnelle. O'Connor cite d'ailleurs Dickens, souvent incontournable bien qu' anglais. Dans cette ville moderne qu'est devenue la capitale irlandaise, entre "salons de coiffure à l'africaine et cybercafés polonais" le rock-blues de Rory Gallagher traîne toujours et à côté quelques substances gangréneuses, hélas, pas de la petite bière. Bien que la bière là-bas soit tout sauf petite.
Les livres de Colum McCann sont tous passionnants. Romans (Le chant du coyote, Les saisons de la nuit) , nouvelles (La rivière de l'exil, Ailleurs, en ce pays). Et Transatlantic ne fait pas exception. Hardiment construit sur un siècle et nanti d'un long prologue sur les pionniers de l'aviation dans le sens Amérique-Irlande, Terre-Neuve-Connemara, Alcock et Brown en 1919, le beau roman chevauche habilement mais très émotionnellement aussi 150 années de l'histoire de l'Irlande. Dublin, 1845, Fredrick Douglass, esclave afro-américain en fuite, fait une tournée pour la cause de l'abolition, et arrive en Irlande quand la tristement célèbre famine fait rage, entraînant la mort d'un tiers des Irlandais et le difficile exil de beaucoup d'autres. Lily Duggan, jeune domestique le croise brièvement avant de s'embarquer elle-même pour l'Amérique.
Brassant Histoire et fiction (Colum McCann sait faire ça très bien comme dans Danseur ou Et que le vaste monde reprenne sa course folle), le roman est éblouissant et pas seulement pour les irlandophiles chroniques comme moi. La liberté est le maître mot qui court au long du livre. Que ce soit celle que revendique Douglass, le Dark Dandy qui incarne la lutte, visionnaire et mécomprise du peuple noir, avec une complexité qui éloigne toute facilité. Ou celle des filles, petite-fille et arrière petite-fille de Lily Duggan l'émigrée, qui chacune à leur manière ont changé les choses pour les femmes (pour ça, en Irlande , on partait de loin).
Autre personnage bien réel richement évoqué par Colum McCann, George Mitchell, le sénateur américain, infatigable artisan du processus de paix en Irlande, à la fin des années 1990. On a oublié cet homme qui semble bien avoir oeuvré au mieux, avec quelques autres, pour sortir l'Irlande de cet historique magma Black and Tan versus IRA. Le portrait d'honnête homme qu'en fait l'auteur est magistral et nous aide à appréhender la complexité de cette longue quête vers quelque chose qui ressemblerait à la paix. Vivant sur les rives de l'Hudson depuis 25 ans, McCann se définit comme Irlandais de New York, une variété à part entière. Avouez que pour cet "homme à deux poches", dixit lui-même, quand on sait la richesse littéraire et de la Verte Erin et de la Grosse Pomme, on comprend aisément que nous naviguons dans une sphère littéraire de très haut vol.
Et Dieu fit le dimanche... est un joli recueil du "Galway man" Walter Macken (1915-1967) dont j'ai déjà présenté ici Le Seigneur de la Montagne. Treize nouvelles plutôt rurales et insulaires, plutôt versant Ouest que Dublin. Publié en 1962 le livre est une délicieuse promenade dans ce versant océanique de l'Irlande où rien ne manque. Bien sûr, ayant déjà beaucoup lu le pays, on retrouve des traits communs à d'autres auteurs dont le pays est si riche mais j'ai appris depuis bien longtemps qu'à trop chercher la singularité la littérature peut parfois se fourvoyer. Trêve d'exégèse, quelques nouvelles des nouvelles de Walter Macken en ce florilège dont je vous ai proposé une illustration en version originale non pas parce que je l'ai lu ainsi, ça me serait assez difficile, mais parce que je l'ai trouvé bien jolie.
On y rencontre de modestes pêcheurs réparant leur curragh, petit bateau traditionnel du côté de Dingle. On y rencontre un prêtre, élément à peu près obligatoire. Mais voilà, le Père Henderson, dit Solo, n'est pas le personnage torturé digne des Magdalen Sisters, mais un brave type courageux qui ne dédaigne pas le football gaélique et penche plutôt du côté de L'homme tranquille de Maurice Walsh mais annexé par John Ford. S'il faut défendre un simple d'esprit ou une fille perdue, deux autres figures très présentes dans les lettres irlandaises de ces années-là, il n'hésitera pas à faire le coup de poing (Solo et la pécheresse, Solo et le simple d'esprit). Ces histoires paraissent parfois presque naïves, dans leur rudesse, où de bons chiens de bergers sauvent les moutons, où les fameux "tinkers", ces nomades irlandais ne sont pas (trop) pourchassés,où même la lutte fratricide et séculaire des deux clans connait quelques relâchements individuels, quelques bonnes volontés. On n'est pas chez le O'Flaherty du Mouchard ou d'Insurrection.
Et puis Walter Macken décrit si bien les nuances de ce pays parfois âpre, tellement laborieux, mais si attachant. "De paresseuses volutes bleues montent des cheminées"."Les agneaux avaient l'air de ballons de laine blanche que les brebis poussaient à coups de pattes". Et Dieu fit le dimanche... est une délicate offre de voyage dans un pays qui n'existe plus tout à fait mais qui a cependant la chance d'avoir attiré assez tardivement les curieux pour savoir garder in extremis quelque chose en lui de Walter Macken.
J'espère que Valentyne, La jument verte de Val, maintenant primée à Lyon, encore toutes mes félicitations, aura toujours le temps de lire en commun avec moi. Aujourd'hui nous revenons tous deux de Canaan et d'Irlande avec le bien beau roman de Sebastian Barry, sur la partance Irlande-Amérique un peu certes, mais bien plus sur la vie d'une femme que les graves dissensions, le mot est faible, dans l'Irlande des années vingt, ont conduite à l'exil avec son fiancé. En effet Du côté de Canaan raconte une femme, Lilly Bere, dont on fait la connaissance lors qu'elle a 89 ans et que son petit-fils vient de mourir. La construction du roman m'a beaucoup plu, entremêlant sa vie, brève, avec Tadg qui n'avait pas choisi le bon camp, celui de l'IRA, avant la traversée clandestine et Chicago, des souvenirs de son frère Willie qui combattit en Picardie (voir Un long long chemin, Beau roman de boue ), et des épisodes plus récents de sa vie à Cleveland, Ohio.
C'est que déjà son père, policier à Dublin, n'était pas vraiment du côté que l'Histoire aura retenu. Et que dire des guerres qui lui enlèveront son frère dans la Somme et plus indirectement son fils des suites du Vietnam et son petit-fils de celles du Golfe. Ainsi les choses se répètent dans la vie de Lilly Bere et passent les hommes, passent les années dans cette Amérique qui exclut souvent tout autant que la vieille Erin là-bas à l'Est. Mais la Lilly Bere vieille dame sur le départ, tout comme la jeune émigrée confrontée à la vengeance et au mépris qu'elle fut jadis, aura doucement changé les choses, sans bruit, sans extravagance, sans grandes théories féministes, par sa simple disponibilité envers de plus modestes encore qu'elles, Cassie, sa meilleure amie, noire, par exemple. Autour d'elles les hommes auront fait ce qu'ils auront pu, tant d'erreurs, parfois suivies de rédemptions comme Nolan le jardinier ou Eugenides le vieux marchand grec.Tous de très beaux personnages.
Nous pensions agir pour le bien de l'Irlande.
Les Italiens partirent, Mike Scopello parmi les premiers, bien que leur pays fut de l'autre côté. Les Irlandais y partirent, bien que l'Angleterre fut du même côté.
Deux citations pour un livre dont il faudrait tout retenir. Mon Irlande littéraire se porte bien et là au moins du côté de Wicklow, le nouvelles sont bonnes. Quelque chose me dit que ma co-listière Valentyne partagera mon sentiment mais là je m'avance un peu. Par ailleurs mon vieil ami Yvon est aussi un ardent défenseur de ce beau roman BARRY Sebastian / Du côté de Canaan.