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BLOGART(LA COMTESSE)
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17 février 2022

Bon appétit Messieurs

Dejeuner 

                 Ce déjeuner est délicieux. Il en émane un charme très plaisant à l'évocation de mai 68 vu du palace parisien le Meurice où doit avoir lieu la remise du prix littéraire Roger-Nimier,l'un des rares prix de printemps, financé et organisé par la milliardaire Florence Gould, elle-même pensionnaire permanente du Meurice. Tout ça au cours d'un déjeuner prestigieux avec les membres du jury, Blondin, Jouhandeau, Morand, peu suspects de gauchisme, un aréopage très masculin, et quelques invités de passage dont Dali, son épouse Gala et son ocelot Babou. On attend le lauréat, un tout jeune auteur qu'on nobélisera cinquante ans plus tard.

                 Seul écueil, de taille, en ce joli mai Paris est en rade et le Meurice...plus ou moins en autogestion. Les clients, sultan de Zanzibar, maharadjah de Kapurthala, ne sont plus là. De toute façon ni trains ni avions ne condescendent à fonctionner. Rares sont les taxis. Et puis il y a plus de vingt ans que l'on ne croise plus au Meurice le maréchal Von Choltitz se demandant Paris brûle-t-il? L'auteure explore pour nous les arcanes du palace en mode mineur. Le directeur n'étant plus reconnu, plus grand-chose n'étant reconnu dans Paris, le maître d'hôtel en chef et le concierge assurent tant bien que mal un fantomatique service. L'un penchant pour ce magnifique élan populaire, l'autre le déplorant. Moi, moi qui vous parle, je n'étais plus étudiant, il n'y avait plus d'études que la SNCF de toute façon m'interdisait, comme la pénurie d'essence. Donc moi je ne penchais pas. Je ne penche toujours pas, enfin pas sur ce sujet.

                La tendance du roman lorgne vers le burlesque avec  des scènes surréalistes étonnantes bien que ces quelques semaines printanières autorisent pas mal de licences. Il était interdit d'interdire. On a surtout oublié d'interdire la bêtise, incommensurable et tellement partagée. Les directeurs de palaces se réunissent au Fontainebleau, luxueux bar du Meurice. Ils s'appellent par leur raison sociale, un, enfin plusieurs cocktails pour Ritz, pour Plaza, pour Bristol, pour Crillon. Charmeuse, un des quatre pékinois de la milliardaire, aura maille à partir avec Babou le félin du moustachu catalan perpignanocentré. De littérature pour ce prix Roger-Nimier il n'est guère question. Florence ne lit jamais. Morand est surtout assez satisfait des ennuis de De Gaulle, Morand qui fut loin d'être résistant. Blondin ne craint que le rationnement liquide. 

              Pas de belons au menu non plus. Mondanités et ragots, mais dans la soie. Le lauréat, famélique et bégayant, est devenu depuis l'un des plus grands écrivains français, même s'il se voit parfois reprocher d'écrire toujours le même livre. Patrick! Pas tout à fait faux. 

              Ritz n'a encore rien dit. C'est tout de même une référence dans la profession. Ritz a un ascendant certain sur ses confrères, auréolé qu'il est par le génie maladif de Proust et le courage alcoolisé d'Hemingway. Même en tournant toutes le pages de leurs livres d'or,  aucun de ses homologues ne peut se vanter d'un passé aussi chic. Son nom est l'antonomase des palaces. Fitzgerald n'a pas écrit Un diamant gros comme le Bristol ou comme le Plaza. Non, il a écrit Un diamant gros comme le Ritz. C'est à vous rendre jaloux quand on fait le même métier. Dans ce syndicat qui n'en est pas un il fait figure de chef.

             Plongez dans le quotidien eceptionnel du célébre établissement. Au menu du Déjeuner des barricades, à défaut du luxe étoilé des autres années, un millésime d'humour et de fantaisie de très bon aloi, orchestré par une Pauline Dreyfus très affutée en maîtresse de (grande) maison.  

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8 février 2022

Une vie

Masse

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                         Babelio Masse Critique épisode je ne sais plus combien tant notre collaboration est ancienne. Et bon millésime cette fois avec le dernier roman de Dermot Bolger Une arche de lumière. Cet auteur irlandais est l'un des meilleurs contemporains, mais j'en dis autant de Colum McCann, Joseph O'Connor ou Donal Ryan. Années cinquante, Eva est l'héroïne irlandaise, épouse de Freddie, mais qui ne partage pas les idées conservatrices de son mari. Eva reprend sa liberté. Et se consacrera à sa vie personnelle, ce n'est cependant pas un roman que je définirais comme féministe, c'est bien mieux que cela. Francis, le fils d'Eva et Freddie, est homosexuel. En ce temps là, pas facile. Leur fille Hazel, très indépendante, aura besoin de deux mariages pour comprendre sa solitude.

                      On suit Eva du comté de Mayo au Maroc, en passant par l'Espagne et le Kenya qui s'éveille à l'indépendance. C'est un très beau personnage romanesque, un peu inadapté que ce soit à l'Irlande rétrograde (oui, ma chère Irlande a longtemps privilégié l'obscuroté), ou au monde en général. Mais surtout Eva a vraiment existé et Dermot Bolger l'a bien connue. J'ai aimé cette dame mûre, vieillissante, très âgée  et son énergie à vivre au mieux avec ses convictions, qui parvient à ne jamais s'arroger le droit de donner des leçons. Une vie jalonnée de drames terribles, trois horreurs successives.  Mais Eva est une vivante, une opiniatre qui tout au long de son existence, a privilégié sa liberté tout en empathies, difddrentes, avec Franciset Hazel.

                     On sent l'importance qu'a eue dans la vie de Bolger Stella, le modèle qui lui a inspiré le personnage d'Eva. C'est très émouvant et pour tout dire on envie cette relation. Relation déjà évoquée dans Toute la famille sur la jetée du Paradis, que publia l'auteur en 2008, la famille Goold Verschoyle, dont Stella (Eva) est le membre le plus attachant. Les 460 pages d'Une arche de lumière, c'est une odyssée, un voyage "vital" avec ses tristesses infinies, ses moments de joie simple, surtout les rapports d'Eva avec les jeunes générations, sans flatterie ni démagogie. Et la grande complexité des fils qui unissent les êtres humains. 

                     Merci à Babelio, qui m'a parfois éloigné de mes conforts littéraires, et c'est très bien ainsi. Et aux Editions Joelle Losfeld.

23 janvier 2022

Chronique d'une tempête annoncée

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                        Troisième incursion chez le romancier irlandais, ce huis clos marin est assez impressionnant mais pas pour les raisons que l'on pourrait croire.  Un rivage sud-américain, pas Copacabana, loin de là, côté Pacifique, Colombie, Equateur, Pérou...De toute façon la côte, on la quitte très vite avec Bolivar, modeste pêcheur, qui décide de braver la tempête annoncée. Il a embarqué par défaut le jeune Hector, sans expérience. Ne vous attendez pas à un roman de survie avec action et morceaux de bravoure. Si très vite se lève le grain ce sera pour nous immiscer davantage dans l'esprit de l'homme mur et de l'adolescent, embarqués dans la même galère sans espoir.

                       Tout se passe à bord mais tout se passe surtout dans la tête de l'un et l'autre, avec leurs carences affectives et leurs regrets. Paul Lynch n'écrit qu'en phrases courtes. On dirait qu'il martèle ses mots, fracassant crânes et coeurs. C'est pointu, presque technique, et au bout du compte s'est profilée pour moi une ombre d'ennui pour un livre assez court. La condition de l'homme face à l'autre, face à la nature dans toute sa brutalité, face à Dieu, voilà le viatique de ce roman. Ce décor unique de pleine mer est oppressant et la déraison finira par prendre le pouvoir. Rêves, cauchemars, espoir, désespoir sont le lot tant de Bolivar, longtemps dans l'action, que d'Hector, plus malléable et qui verse dans le fatalisme. Incompréhension réciproque totale. 

                       Mais avaient-ils une vie avant la tragédie, ces deux hommes perdus? Un souvenir féminin tout au plus, rien de très rassurant. Le reste du roman, on le passe dans les méandres psychologiques des personnages. Et pour tout dire, quoique très bien exprimés, ces doutes m'ont laissé de glace. Quant aux souffrances ichtyo et ornithologiques, inhérentes aux récits de haute mer, à déconseiller aux âmes sensibles.  

                      Bolivar regarde les dents jaunies d'Hector, ses yeux enfoncés dans les orbites caves. Il est en train de perdre la tête, pense-t-il. Il est en train de vieillir. Sa figure, là, c'est celle d'un vieillard. Ca, c'est sûr.

                      Vieil amoureux d'Erin comme vous le savez, j'étais plus à l'aise avec Un ciel rouge, le matin ou La neige noire. Mais je reconnais à Paul Lynch un élan pour sortir d'un relatif confort d'écriture. L'éditeur Albin Michel évoque les mânes de Camus ou Hemingway. Il y a de ça.

18 janvier 2022

Insensible au chant des sirènes, chronique en deux temps à lire jusqu'au bout

Masse

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                    Babelio, qui n'y est pour rien et que je remercie à nouveau, m'a cette fois emporté dans un no interest's land que seule l'honnêteté m'a conduit à lire jusqu'au bout. Vous intéressez-vous à vingt ans de la vie d'un DJ en ces années 2000? D'Ibiza à Berlin en passant par Rio ou Milan? Avec son cortège de drogues présentées comme relevant de la norme la plus normale, égrené par l'auteur Tom Charbit, en termes qui pour la plupart m'étaient inconnus? Si oui Les sirènes d'Es Vedra méritera peut-être votre visite et ce sera votre droit. Ce sera le mien de ne pas aimer ce roman terriblement branché et froid comme la mort, d'une tristesse assez lamentable. Charbit est céramiste en Ardèche, pourquoi pas? La description du monde de la nuit, enfin la nuit de certains, m'a laissé de marbre. Il faut pour entrer dans un livre un minimum d'empathie avec les personnages. Ca arrive y compris avec des criminels dans les polars par exemple. Et là c'est tellement loin d'être le cas. Toute la première partie revient sur sa vie de zombie de la musique, avec un vocabulaire qui ne m'est pas accessible. Question générationnelle sûrement. 

                 Ca ne s'arrange pas vraiment quand Juan Llosa décide de poser ses valises dans un village cévenol. Et le voilà qui vient en aide au monde rural forcément un peu zadiste, un peu écolo. Ca c'est de l'anticonformisme, n'est-ce pas? Lequel consiste essentiellement à picoler et inhaler. Je n'aime pas du tout non plus la façon dont les relations hommes femmes sont décrites. Il y a beaucoup de romans où je n'aime pas tout. Dans Les sirènes d'Es Vedra je n'aime rien. Leur insulaire chant, je le laisse à qui veut. Ce roman sera prochainement abandonné sur un banc de l'un de mes chers jardins publics. De perché, en littérature, je n'aime que le Corbeau ou le Baron. Comprenne qui pourra, ou qui l'aura lu.  

               Mais je suis injuste. Le double préambule du roman est très bien, quatre lignes de la chanson la plus connue de Woody Guthrie, This land is your land. Et la citation de L'odyssée sur les Sirènes.

P.S. Ces lignes ont été rédigées aux trois quarts du roman. Il se trouve que la dernière partie du livre que je ne divulgâcherai pas, je l'ai trouvée très belle, très émouvante. Les circaètes et les aigles de Bonelli dans le ciel ardéchois. Il fallait que ce soit dit. Un DJ serait donc un être humain. Et le banc public pourrait patienter. 

10 janvier 2022

Le lien

Ce lien

                   Très très bon roman que Ce lien entre nous du jeune auteur américain David Joy. Caroline du Nord, une histoire d'hommes. C'est un coin d'Amérique comme il y en a tant. Avec des bosseurs-chasseurs-buveurs. Pas des mauvais types. Des gars du crû. Darl braconne, comme tout le monde. Ca tourne mal, il tue accidentellement Sissy, vaguement attardé mental, qui lui-même trafique le ginseng, et qu'il avait pris pour un sanglier. Ca n'arrive pas qu'en Caroline du Nord. Il n'a pas beaucoup d'amis, Darl. En fait, que Calvin, qui va l'aider à cacher le corps. Car ça a beau être accidentel, Dwayne, 130 kg de dur, maître es armes à feu, frère aîné de Sissy, qui n'est sentimental qu'au sujet de son petit frère, n'en restera pas là. 

                  Viril et brutal? Pas tant que ça. C'est que David Joy parvient à surprendre en étoffant les personnages de Dwayne, le vengeur, et de Calvin, l'ami. Dwayne est certes peu amène, mais il a sa cohérence, liée au pays, les Appalaches, plus précisément les Blue Ridge Mountains, où pas mal de gens vivent assez retirés et ont l'habitude de faire face, aux ours comme aux hommes. Un pays de chasse et de gâchettes, omniprésentes. Avec la participation de Dieu, lointain et que chacun utilise à son profit, non sans crainte, et des idées de culpabilité et de rédemption. Dans un étonnant entretien avec François Busnel, David Joy répond aux questions avec une arme toute proche, et s'en explique très bien. Il semble vivre dans des conditions proches du livre. Il dit ne manger que la viande qu'il abat lui-même. Je conseille vraiment ce document qui éclaire l'auteur et le livre. 

                  L'ordre public est dans ces contrées plutôt assuré par les citoyens eux-mêmes. La loi du talion y règne en maître.  Et les gens ne quittent guère leur environnement d'enfance. Pourtant des liens, oui. Des liens entre eux. Oh, pas une communauté, plutôt un archipel. Ces types là sont des îles reliées entre elles parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Froid dans le dos. La logique est basique, tuer le mal par le mal. Peu importe que le meurtre soit accidentel. Et enterrer la victime, en douce, moins bien qu'un chien, pourrait être  plus grave encore. 

 

                        

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21 décembre 2021

Caraïbes Connection

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                        Les forbans de Cuba, c'est un peu trop long, mais c'est du solide. Simmons  est auteur de SF mais nous livre là un récit d'aventures inspiré de la vie d'Ernest Hemingway à Cuba lors de la Seconde Guerre mondiale. Le plus étonnant est que la plupart des faits sont réels. Papa Hem a beau être connu pour sa grande gueule et son intempérance, il a bel et bien joué plus ou moins bien les espions en 1942 à bord de son bateau. Le célèbre écrivain s'est mis en tête de créer un réseau de contre-espionnage, qu'il baptise lui-même l'Usine à forbans, pour faire obstacle aux activités des nazis dans la mer des Caraïbes. Son cas intéressait d'ailleurs beaucoup le FBI et son célèbre patron J.Edgar Hoover. 

                     C'est qu'il ne se contente pas de pêcher le marlin, d'écluser le whisky et de séduire les filles. Il n'en est alors qu'à sa deuxième épouse, souvent en voyage, ce qui arrange tout le monde. Avec quelques copains de pêche et de beuverie il mène le Pilar un train d'enfer et pas seulement pour se faire photographier avec une belle prise. La plus belle serait pour lui d'arraisonner, voire de détruire un des sous-marins allemands qui pulluleraient dans les Antilles. Dan Simmons, dont je n'ai lu que Terreur, le thriller arctique futuriste, sait raconter une histoire. Et on partage volontiers les aventures hautes en couleurs de ce diable d'homme, un peu compliquées comme tout roman d'espionnage. Ce bon vieux toubib serait-il un agent double? Ou est-ce ce séduisant champion basque  de chistera? A moins que la jolie prostituée cubaine?

                     Alors on vogue dans le sillage d'Ernie. Qu'il est énervant parfois avec sa morgue querelleuse, sa paranoia légendaire, le côté Who's who?, Ingrid Bergman, Gary Cooper, Marlene Dietrich. Et quelle drôle d'éducation donne-t-il à ses enfants, du moins quand ils sont avec lui, plus que libéral sur la consommation d'alcool des mineurs. Mais il y a du souffle dans cette histoire abracadabrante. On prend un peu la gueule de bois, mais somme toute la croisière, agitée, laisse de bons souvenirs. Ne pas trop chercher à démêler les différents services secret, d'espionnage, de contre-espionnage, de sécurité, etc...Ni du côté allemand, ni du côté américain.

19 décembre 2021

Le grand air de l'incompétence, le grand art de la délation

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      Notre lecture commune avec Val (La jument verte de Val) nous a cette fois emmenés en URSS au début des années soixante. Staline est mort depuis dix ans. Iegor Gran, l'auteur de cet excellent roman, souvent très drôle, sait de quoi il parle. Il est le fi!s du dissident soviétique Andreï Siniavski, condamné en  1965 à sept ans de camp "dur". Les services compétents raconte la traque de deux auteurs soviétiques qui ont réussi à faire publier des nouvelle en Occident. On a compris, ces écrits déplaisent souverainement au Kremlin où Brejnev est le nouveau maître. Apogée de la Guerre Froide, ces temps révolus (?) sont traités par Iegor Gran par le petit bout de la lorgnette, satire parfois désopilante du KGB et autres structures rigolotes qui s'obstinaient à faire le bonheur de la valeureuse classe ouvrière.

      Stakhanovistes de la filature et du soupçon les agents du pouvoir n'ont de cesse d'identifier les coupables aux pseudos transparents de judaïsme, peut-être trop. Abram Tertz, Nicolaï Arjak, ça sonne trop juif pour être juif. Allez savoir. Tout ce temps durant le petit peuple moscovite s'affaire à faire la queue pour trois boîtes de sprat ou une paire de chaussettes. Ivanov, quel nom original, a d'autres occupations. Il fait partie de ces services dont l'éloge n'est plus à faire, dont le louable objectif est de chercher, trouver (pas toujours), et persécuter le mauvais citoyen.

      Ivanov n'est certes pas un expert en littérature (à chacun son métier), mais, devant ces textes horribles, pas besoin de s'y connaître! Il faut arrêter le criminel avant qu'il n'écrive autre chose. Avant qu'il ne métastase. 

      Le sujet est on ne peut plus grave. La Guerre Froide semble loin quoique...Mais Iegor Gran se veut proche de Courteline plus que de Soljenytsine, lequel n'était d'ailleurs pas en phase avec Siniavski, les dissidents ne se décidant pas toujours à dissider (?) dans le même sens. Courteline, Kafka, même combat. Noublions pas la vodka, star incontestée du quotidien, et dans tous les camps. Dans la gauche française de ces années soixante la fidélité à Moscou commence à battre de l'aile. Iegor Gran rappelle à ce sujet la "haute" figure de Maurice Thorez, premier secrétaire du PC et thuriféraire stalinien historique. L'aveuglement d'une certaine gauche française, avec le recul, est hallucinant. 

      Pas vraiment un pamphlet, plutôt une farce cynique et sinistre, désamorcée par l'humour désespoir qui convient parfaitement à la bêtise des ces années, Les services compétents, au titre antithétique déjà clair, se déguste avcc gourmandise et malice. On en oublierait que ces pantalonnades orchestrées par des tyrans et exécutées par des pantins conduisirent au goulag. 

5 novembre 2021

Comme un contrat...léonin

Lions

                J'ai toujours été un passionné de la littérature israélienne, très incisive et très critique envers...Israel. Ayelet Gundar-Goshen, scénariste et romancière, née en 82, nous présente une sorte de face à face, d'affrontement entre le Dr. Ethan Green,  neurochirurgien israélien réputé et Sirkitt, la femme d'un clandestin érythréen qu'il a tué accidentellement en voiture. Au delà des aspects proches du thriller Réveiller les lions est une remarquable étude sur la situation explosive et kafkaienne de la région. J'enfonce là des portes ouvertes. Sirkitt a découvert l'identité du conducteur qui a pris la fuite. Ce n'est pas une femme soumise et bien que maltraitée par son mari mort elle demeure à sa manière une militante. La condition d'une femme africaine se moque bien de l'écriture inclusive. Tout autres sont les combats à mener.

                Ethan et Sirkitt vont finir par s'apprécier, avec modération. Sirkitt a trouvé un moyen de coercition, pour ne pas dire de chantage, pour amener le chirurgien  à composer. L'immigration est un vaste sujet , particulièrement favaorable aux démagogies bilatérales qui se portent toutes les deux très bien. Avec dans ce cas une spécificité régionale, ce qui est compliqué partout est pire la-bas. Ajoutons sur le plan polar, qui compte aussi, le personnage de Liath, l'épouse d'Ethan, inspecteur (ou trice) de police, chargée de l'enquête. Ethan aura bien du mal à garder la tête hors de l'eau. Le brillant praticien de la belle société israélienne va être amené à cotoyer le monde perdu, souterrain, des clandestins venus d'Afrique Orientale. 

                Le contact entre Ethan et Sirkitt, que je vous laisse imaginer peut-être à tort, va prendre une tournure inattendue. La clandestine africaine est un beau personnage qui ne s'en laisse pas conter, un personnage rare, mais une aubaine romanesque au sens noble. Réveiller les lions est ainsi un joli titre, que l'on peut prendre au sens noble, et qui éclaire les inégalités planétaires sans donner de solution simpliste. Un grain de sable parfois...

               Il y a un Erythréen gisant sur le bas-côté. Des cuisses noires figées dans une position qui n'a rien de naturel. Tout comme les bras. Oui, évidemment, rien dans ce tableau n'était naturel. Pas seulement parce que c'était un Erythréen écrasé mais aussi parce qu'il n'aurait jamais dû se trouver là en même temps que lui. La vie d'Ethan n'incluait aucun Erythréen écrabouillé sous son pare-chocs, aucun Erythréen éperdu de reconnaissance, ni même aucun Erythréen tout court. Et imperceptiblement, l'affolement et la culpabilité de la veille laissent place à de la colère.

             L'incipit: L'homme, il le percute précisément au moment où il songe que c'est la plus belle lune qu'il a vue de  sa vie. 

 

30 octobre 2021

Malin Malouin

Masse

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                      Balade malouine post-révolutionnaire et sympathique lecture que cette livraison Babelio Masse Critique, que je remercie. Et l'occasion de rendre hommage à Palémon, maison d'édition sise à Quimper dont les nombreux romans noirs et policiers nous emmènent aux quatre coins de Bretagne. Hugo Buan, lui-même malouin, nous plonge dans les derniers mois du Consulat, avec l'enquête du commissaire Darcourt, ex-officier de Bonaparte, de retour à Port-Malo (les saints ne sont pas encore réhabilités) aux prises avec l'encombrant cadavre d'un meunier dans une cité turbulente, malodorante et braillarde. 

                      L'intrigue n'est en soi guère palpitante car les rancunes à propos des exactions de la Terreur, dix ans plus tôt, sont forcément tenaces. On voit à peu près autour de quoi tourne l'affaire. Mais Les âmes noires de Saint Malo a d'autres qualités. Une pittoresque et très remuante reconstitution de l'agglomération malouine à l'aube de l'Empire. Hugo Buan abuse peut-être un peu de la géographie, que de noms de rues, de places, de tavernes, de lieux-dits. On sent un peu le terroir. Peu importe. le peuple des dockers, des corsaires en goguette, des entraîneuses, des artisans, tout cela fourmille et nous donne soif. Sur un plan historique, très intéressante, la mise en place par Bonaparte de nouvelles  structures administratives, les rivalités entre fonctionnaires, comme un bulletin de naissance d'une France contemporaine, celle des départements, des découpages préfectoraux, de la police de Fouché sure le point de revenir au pouvoir.

                    Pour vous donner une petite idée, j'ai déjà recruté depuis le 25 novembre 1799 plus de deux mille indicateurs sur toute la France: des corporations entières de balayeurs, de marchands de vin, de laquais, de cochers, de valets de pied, des gens tout à fait qualifiés pour écouter les propos de table et de voiture.

                     Enfin un humour très solide court tout au long de notre histoire avec des personnages à grande gueule et à gosier sec. La balade a des senteurs marines , mais moins que des puanteurs citadines. Alors, nantis d'un mouchoir, je vous propose de retrouver le  commissaire Darcourt à la Belle Jambe ou au Chat qui Pète. Vous le reconnaitrez à son adjoint. Il est... mulâtre. Et, malgré que nombre de Malouins courent les mers et voient du pays, la plupart ne hantent que les quais, les bordels et les hospices, et sont bien étonnés de voir un tel officier officier. 

13 octobre 2021

Kelley cet inconnu

Masse

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                             Masse Critique Babelio, merci encore, que de découvertes. Et de redécouvertes. Notamment William Melvin Kelley que je viens de lire pour la troisième fois, dont deux grace à vous. Seul recueil de nouvelles de l'auteur, Danseurs sur le rivage, publié au début des sixties, se compose de seize textes courts sur la vie de familles noires américaines moyennes. Ce sont des nouvelles reliées, les personnages se retrouvant dans chaque histoire. Chose importante, l'humour n'en est pas absent et nous ne sommes pas dans une littérature strictement militante. Cela n'empêche pas ces scènes d'en dire beaucoup sur la société américaine de l'époque. En voici quelques-unes. Comme dans tout recueil elles peuvent être assez inégales. 

                           Je l'ai expliqué dans mes deux chroniques précédentes sur Kelley (Jazz à l'âme, Un autre tambour), il y a quelque chose de musical dans ses textes, un rythme, une pulsation, un swing, un choeur gospel, que sais-je. Et pas mal d'émotion. Un de mes préférés est Pas tout à fait Lena Horne, gentille querelle de deux vieux amis déclinant, et dont l'unique divertissement est de compter les plaques minéralogiques des voitures sur leur pas de porte. Engueulades et attendrissements. 

                           Une autre semble avoir été inspirée par le classique shanty (chant de marin) Drunken sailor. Un marin ivre rêve d'un bordel et d'une fille couleur de miel et longues jambes de danseuse. Concrétisera-t-il? Connie est l'une des plus veilles histoires au monde. Enceinte, sait-elle seulement quelle décision prendre? Aucun misérabilisme, seulement une sorte de conseil de famille dans lequel chacun a ses bonnes raisons.

                           Pleurez pour moi clot le livre. Peut-être la nouvelle qui me touche le plus. Cela ne vous surprendra pas. Wallace Bedlow quitte son Sud pour rejoindre son frère à New York. Working hard. Mais Oncle Wallace, c'est raconté par son neveu Carlyle, est un géant sensible et un chanteur guitariste de folk, de blues, Kelley reste assez évasif. Le hasard en fera une vedette. Brièvement il réunira Blancs et Noirs en une farandole magique. Carnegie Hall, rien que ça. J'entendais Oncle Wallace chanter plus fort que jamais. Les gens se ruaient vers lui, pleurant et souriant comme des fidèles qui tombent en transe dans une église. On aurait dit qu'ils étaient tous sur la scène pour tâcher de l'approcher assez pour le toucher, lui serrer la main, l'étreindre, et même l'embrasser. Et puis la chanson s'est arrêtée. 

 

 

8 octobre 2021

L'Ecrivraquier/26/Nossie.Ode au laid.

                     

L'Ecrivraquier

                   Les comtes transylvaniens de ma jeunesse, croisés dans quelques salles obscures de mes natales bourgades, avaient toujours, et c'est bien le moins pour des princes du sang, possédé un maintien plus que patricien, une morgue balkanique, un élégant mépris aristocratique. Cette altière arrogance n'était pas sans beauté. Et Christopher Lee en Dracula distillait une fascination sans égal. Un monarque de l'hémoglobine, un ciseleur aux canines délicieusement excavatrices. J'ai toujours vénéré cet acteur par ailleurs francophile et phone d'une belle culture. Ne voulant m'attarder sur la laideur que du point de vue du Septième Art, je vous présente en avant-première une chronique qui devrait être publiée prochainement dans la revue Les laides heures, pérodique moche et et disgracieux, cauchemardesque pensum que je vous conseille d'éviter.

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                      Peur rime avec laideur, pas une rime riche, pas de riches heures. Horreur, hideur, pas haut les coeurs mais des haut le coeur. D'obscures et pas belles tractations ont empêché mon triste héros d'endosser la nom du célébrissime comte moldo-valaque. Moldo-valaque, ne trouvez-vous pas que ça sonne déjà très laid? Comment peut-on être moldo-valaque? Le Non-Mort, c'est l'appellation quasi officielle de Nosferatu, en vieux roumain. Quand il arrive à l'écran il est précédé du plan d'une hyène dans le piedmont balkanique. La hyène, symbole animal de la laideur et du dégoût, alors imaginez une hyène des Carpathes. Outre son rire sardonique, qui nous est épargné vu que le film est muet, on comprend que là où est la hyène pas de plaisir, et que cette aberration géographique et zoologique n'est qu'un préambule avec le choc tératologique de l'apparition de ce clone de Dracula, sans la haute stature du Comte, sans son habit de soirée rehaussé d'une cape de prestige. Le choc du Comte Orlok, une anthologie de la laideur sous toutes ses coutures, à commencer par une inversion des critères esthétiques de la vampirologie. 

                      L'expressionnisme transfigure la laideur. Pas la mocheté. Voir Munch, voir et entendre son Cri. Nosferatu, Non-Mort, à peine vivant. A mes yeux quintessence de la laideur en un art qui aime jouer avec les contrastes, du glamour hollywoodien aux affres, souvent mitteleuropéennes de la monstruosité.  C'est qu'au coeur meurtri de la laideur savent parfois se nicher le rejet et la xénophobie. Bref. Passons à l'examen du sujet, j'oserai dire l'autopsie.

                      Cet avatar du noble mais dégénérescent héros de Bram Stoker conjugue les imperfections. Dieu que ce mot est faible.Et quand je dis Dieu je pense à Héphaïstos plus qu'à Apollon. Héphaïstos, que sa mère Héra jugea si laid qu'elle le balança du haut de l'Olympe. Un précurseur, ce forgeron bancal et poussif, aux pieds tournés vers l'arrière. 

                      Personnage emblématique de cette Symphonie de l'horreur Orlok a tous les attraits d'un rat, la finesse d'une chauve-souris, la séduction d'une gargouille. Qu'il repose dans la cave, gentiment allongé dans son cercueil, semblant regarder de méphitiques voûtes, le visage d'un blanc cadavérique, la laideur raffole des pléonasmes. Une oreille démesurée, excroissance indécente, semblant guetter une proie. Les poignets sont croisés sur un étique abdomen, aux doigts polyarthritiques, qu'on dirait faits pour saisir mais incapables de lâcher prise. 

                       Objet d'un jeu d'ombres, le Non-Mort est hors champ, effrayante lanterne maléfique, s'incurvant vicieusement, juste assez pour que les phalanges de la main droite frôlent une porte prometteuse d'indicibles  frayeurs. L'homme, c'est beaucoup dire, l'homme est un royaume de l'ombre à lui seul. Appendice nasal tiré d'une innommable caricature antisémite. Des épaules quasimodesques mais qui n'abritent pas le coeur du doux sonneur de Notre-Dame. 

                        Mais la laideur s'extrapole et s'exporte. La voilà de sortie. Il quitte le château sur la pointe des pieds. Les yeux exorbités, sous un chapeau moyenageux ridicule, ongles interminables idéaux pour déterrer. La posture est effroyable de surenchère. Urbain, le Comte nous présente ses alliés, armée de rongeurs mais sans joueur de flûte, la peste au faciès insoutenable, la descente aux enfers, l'attaque de l'Ouest au sourire insupportable. Film centenaire aux lourdes implications freudiennes, aux hystéries subtiles, méfiez-vous. Il y a en Nosferatu quelque chose du syndrome de Stockholm. Si, lors de sa scène d'amour avec la belle Ellen, à l'étage d'un hôtel particulier londonien, poignardé par la hideuse lumière d'un nouveau jour, il nous apparaissait victime, séduisante victime. Max Schreck (Schreck veut dire terreur) qui incarna Nossie (j'ai fini par l'appeler Nossie tant j'en suis familier), fut lui aussi une victime. Une rumeur le prétendait réellement vampire. Après des décennies d'études je ne me hasarderai pas à dire le contraire. Mais là, j'ai froid. Pas vous?

         

1 octobre 2021

L'heure de l'Apeirogon

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                     Ce bon vieux blog respire encore un peu. Et quand on tombe sur un livre extraordinaire pas question de garder ça pour moi. J'étais déjà un lecteur fidèle et zélé de l'Irlandais Colum McCann, que ce soient ses nouvelles (La rivière de l'exil, Treize façons de voir) ou ses romans (Les saisons de la nuit, Transatlantic). En fait seuls deux romans traduits en français m'ont échappé. Ceux qui me lisent depuis longtemps savent ma folie irlandaise. Ce n'était donc pas une surprise de lire un bon livre de McCann.

            Le destin d'Israel et de la Palestine m'a toujours passionné. La littérature israélienne* est d'ailleurs absolument remarquable de clairvoyance à ce sujet. Je n'ai pas eu l'occasion de lire un auteur palestinien. Colum McCann vient d'un pays qui s'y connait en dissensions internes, quel bel euphémisme. On dirait que cela lui a donné une extraordinaire acuité pour nous infiltrer à ce point dans les méandres de l'immémorial conflit.

           Un apeirogon est une figure géométrique au nombre infini de côtés. C'est déjà vertigineux. Tout aussi vertigineuse est la dextérité de McCann quant au destin des deux peuples. Et des deux familles, celle de Rami, israélien, fils d'un rescapé de la Shoah, ancien soldat de la guerre du Kippour, et celle de Bassam, palestinien, qui a surtout connu geôle et spoliation. Tous deux vont se rencontrer, se connaître et devenir des militants de la paix, mais c'est plus que ça. Tous deux ont perdu une fille. Tout les sépare.

           L'auteur ne se contente pas de dire les sentiments et les actes des protagonistes, de leurs épouses respectives. Il ne se satisfait pas non plus de d'exprimer leur courage, leur noblesse et leurs faiblesses face à l'indicible in-fini de la situation. Long aller-retour sur la genèse du conflit, les enfances et les jeunesses perdues de Rami et Bassam, leur évolution, leur volonté. Découpé en 1000 chapitres, de 1 à 500, puis de 500 à 1, certains ne font qu'une ligne, Apeirogon passionne intégralement (chose rare en littérature) et nous rend un peu plus compétents sur le sujet. Et l'émotion est là, qui sourd à chaque expression, comme l'eau d'un puits du Neguev pourtant avare, comme un thé partagé, comme le rire de Smadar, 13 ans ou d'Abir, 10 ans, fracassées par l'Histoire, enfants sacrifiées.

            On trouve tout dans ce livre, la vie quotidienne à Jérusalem ou à Jericho, de somptueuses références aux mathématique, à la poésie, à la médecine, à l'ornithologie. Tout cela est irracontable et magnifique, comme la relation entre Rami et Bassam, jumeaux de douleur, membres du Cercle des Parents, ils sontaussi l'Esoir...Mais Apeirogon, si l'on est autorisé à en parler et à le conseiller, il faut le lire, impérativement. Je pratique peu les extraits mais en voici quelques-uns. Rami, Bassam, vous ne les oublierez pas. 

             Les morts se produisent à dix ans d'intervalle: Smadar en 1997, Abir en 2007. Lors d'une conférence à Stockholm, Bassam se leva pour dire qu'il avait l'impression que la balle en caoutchouc avait voyagé pendant toute une décennie.

              La plupart des 750 000 Palestinens ne transportaient rien de trop lourd, persuadés qu'ils étaient de regagner leurs pénates quelques jours lus tard: d'après la légende certains avaient laissé la soupe bouillir sur les fourneaux.

              Rami est allé en Allemagne avec moi il y a quelques années de ça, mais c'est une longue histoire, j'ai dû le convaincre d'y aller, il haïssait les Allemands. Il n'avait jamais cru pouvoir y aller. Mais il y est allé. Et il a vu un pays différent de celui qu'il imaginait.

              Pris  dans sa totalité,  un apeirogon approche de la forme d'un cercle, mais un petit fragment, une fois grossi, ressemble à une ligne droite. On peut finalement atteindre n'importe quel point à l'intérieur du tout. Tout est atteignable. Tout est possible, meme l'apparemment impossible. 

               Ma plus belle lecture depuis un nombre indéfinissable  de jours et de mois. Vertigineusement vôtre. Une envergure exceptionnelle. 

* Lu récemment, peut-être y reviendrai-je, l'excellent Réveiller les lions d'Ayelet Gundar-Goshen.  

 

11 août 2021

Au mitan du dernier millénaire

Masse

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                                      Timide retour sur la planète blog. Babelio et Gallimard ne m'oublient jamais. Je les en remercie. Dernière livraison, le pavé historique de Nadeije Laneyrie-Dagen. Histoire intéressante mais long, très long bouquin, que L'étoile brisée, entre Christophe Colomb et Léonard de Vinci, entre fin du Moyen Age et Renaissance. C'est cette période en effet qui constitue la toile de fond de l'histoire de deux frères juifs dans l'Espagne de la fin du XVe siècle. Encore enfants ils échappent aux massacres et vont connaître un destin très différent. L'un marin cartographe proche d'Amerigo Vespucci, l'autre médecin ami de Martin Luther. Mais ce ne sont que les deux protagonistes initiaux de cette saga de cinquante ans où nous allons rencontrer une foule d'autres personnages, tous à la croisée des chemins, au noeud de l'Histoire qu'a constitué le début du Cinquecento.

            Ils sont très nombreux, et ont 742 pages à remplir. Il n'en reste pas moins que L'étoile brisée est un bon livre qui brasse large tant culturellement que géographiquement. Florence, Londres, Alger, Séville, l'Allemagne, le Nouveau Monde, et la Renaissance, l'intolérance, l'esclavage, rien ne manque.  Comme rien ne manque j'aurais aimé qu'un thème soit privilégié. Mais peu importe, on se laisse emporter, chapitres relativement brefs, personnages bien construits, intrigues dans les cours royales. On fait même un petit tour au Camp du Drap d'Or, un sujet en soi. 

           Madame Laneyrie-Dagen est professeure d'histoire de l'art, spécialiste de la Renaissance. Son ouvrage est parfaitement documenté, notamment sur l'essor du commerce maritime, les luttes d'influence, les monarchies s'adaptant aux récentes découvertes, la science encore incertaine de la cartographie (le plus passionnant à mon goût). Cette fresque historique est une lecture tout à fait recommandable. Le temps parfois nous est compté et d'autres livres méritent peut-être davantage notre urgence. J'en ai lu quelques-uns dernièrement. En ferai-je un billet? Peut-être. Mais on a tous quelque chose en nous de lacéré, il me semble. 

19 mai 2021

Hem Hem Hem

Masse

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                               Babelio et 21g, merci. 21g c'est le nom de cette maison d'édition, et c'est aussi le poids de l'âme d'après le Dr MacDougall, médecin américain du XIXe siècle. C'est un beau cadeau dans lequel passe effectivement beaucoup d'âme, et qui m'a enthousiasmé. Jeb Brown, que je ne connais pas, mais je connais très peu d'auteurs de BD, est à la fois le dessinateur et l'écrivain de Hemingway à Paris. Une splendeur pour qui s'intéresse au célèbre baroudeur écrivain qui en eut assez en juillet 1961. Son père, sa soeur, son frère et sa petite-fille Margaux ont également choisi la nuit. 

                             Hemingway à Paris raconte en fait différents épisodes de sa vie, les plus emblématiques, qui ont contribué à l'extraordinaire popularité du Nobel 54. Un personnage hollywoodien, bigger than life, qui a tout eu, tout vu, tout su, tout lu et tout bu. Moi qui ne suis pas un grand relecteur, aurai-je le temps de relire au moins quelques-unes de ses nouvelles? La chronologie est un peu bousculée mais nul doute, Ernie est bien là, bien en pages, bien en couleurs, bien en action. Un ouragan cet homme-là. Un ouragan comme il en souffle sur les Keys, ce chapelet d'îles extrêmes de Floride qui s'égrènent, Key West, Key Largo, de quoi rêver au marlin merveilleux comme Le vieil homme et la mer

                             On retrouve Papa (l'un de ses surnoms) à Paris à deux reprises en 21 et 24. Besogneux à la tache d'écrire, la célébrité attendra encore un peu. Le rhum, la boxe, les courses hippiques, les copains, les complices, Fitzgerald, Ezra Pöund, James Joyce. Blaise Cendrars, la Grande Guerre. Le trait de Jeb Brown cerne admirablement le géant des lettres en devenir, sur fond de Notre-Dame, de bateaux-mouche ou de Closerie des Lilas. Quelle joie de se replonger dans cette ambiance Paris années vingt, vous savez, ces années d'entre deux.

                            Vous n'échapperez pas non plus à l'Espagne en ces mêmes années vingt. Le chapitre Aficionados et muletas évoque la passion d'Hemingway pour la corrida qu'on n'est pas obligé de partager. Tout en nuances n'écrit-il pas Il faut voir la corrida comme une tragédie, elle symbolise le combat entre l'homme et la bête, rouge du sang du taureau ou rouge du sang du torero.

                            Hemingway, on le sait, était un excessif et Jeb Brown l'illustre parfaitement, nous donnant envie de revenir à Paris est une fête, Pour qui sonne le glas, Mort dans l'après-midi, Le soleil se lève aussi... Bizarrement Hollywood n'a guère su célébrer Hemingway. Alors faites vous votre propre cinéma de Papa, commencez par ce joli voyage de 94 pages, inauguré par les train des Keys et clos par la Tour Eiffel. Puis, comme je devrais le faire, relisez au moins quelques morceaux choisis du chantre de la Lost Generation. 

 

9 mai 2021

Battant

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                             On redécouvre, enfin c'est mon cas, William Melvin Kelley (1937-2017). Le géant oublié des lettres américaines, écrit 10-18, grande maison du livre s'il en est, qui m'a fait connaitre bien des talents. Après Jazz à l'âme, chroniqué il y a peu, voici Un autre tambour, le premier roman de Kelley (1962). Les deux titres font référence à la musique, mais aussi à l'action, le tambour ayant une consonnance guerrière. Et ces deux beaux romans battent en effet au rythme des pulsations, comme un quartet de jazz, allant à l'essentiel. J'ai pensé au cinéma de John Cassavetes. 

                             Dans une ville du Sud, ce sud de Faulkner, de Caldwell, de Flannery O'Connor, sur lequel on a déjà tant lu, en juin 1957, Tucker, jeune fermier noir, empoisonne sa propre terre, abat son bétail et brûle sa maison. A sa suite toute la population noire quitte la ville. Les blancs de la véranda, réunis comme tous les jours, n'en croient pas meurs yeux. Faut-il se réjouir de cet exode? A travers quelques personnages, notamment la famille Willson, les aristocrates descendants dun général de la Confédération, Kelley nous plonge dans quelques dizaines d'années de cetet histoire du Sud, si douloureux, victime de tant d'incompréhension.

                              On y rencontre pourtant pas mal de bonnes volontés. Une amitié entre un noir et un blanc y est esquissée, battue en brèche par le climat en ces années cinquante. Kelley écrit comme dans une mouvance Richard Wright ou James Baldwin, écrivains "politiques" réfugiés en France un certain temps.Lui-même  a quitté l'Amérique assez longtemps, vécu à Paris et Rome, s'est établi un moment en Jamaïque. Cependant Un autre tambour n'est pas un livre pamphlet et s'apparente plutôt à une fable où Tucker Caliban, descendant d'esclave, devient celui par qui le scandale arrive. Le roman évite le manichéisme, souvent une plaie dans ce genre d'ouvrage. Tucker agit, silencieux, avec un air de Bartleby, le scribe d'Herman Melville, qui préférerait ne pas le faire, son travail. C'est assez impressionnant, Tucker décidant, un jour, de cesser le travail de la terre. Go North Young Man. 

                              Le livre doit son titre à une très belle citation de Thoreau. Si un homme ne marche pas au pas de ses camarades, c'est qu'il entend le son d'un autre tambour. Une phrase qui sonne comme une ébauche de liberté, une majesté.

 

23 avril 2021

Que tout change pour que rien ne change

Borgo   

                       Scènes de la vie quotidienne de Mimmo et Cristofaro, Palerme, Sicile, une Palerme contemporaine, pas celle de Don Corleone. Borgo Vecchio, le vieux bourg, quartier pauvre, c'est peu dire. Les deux enfants y traînent beaucoup, l'un battu par son père, l'autre se consumant pour Celeste, fille de Carmela. Celeste est souvent sur son balcon tandis que sa mère reçoit des hommes, c'est son métier qu'elle exerce consciencieusement sous le regard de la Vierge au manteau. Mais il y a un héros, Toto, un peu Robin des Bois d'une métropole sicilienne archaïque. Borgo Vecchio pourrait friser voire respirer le misérabilisme. C'est sans compter la verve et le punch de l'écriture de Giosuè Calaciura.

                     Car Borgo Vecchio est un roman délicieux, bref, c'est souvent une qualité, mais qui explore l'humanité palermitaine avec la tendresse d'un film néoréaliste (à cette référence ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je fonds), l'humour en plus, un peu désespéré, l'humour. Souvent brutal, le propos de l'auteur ne s'embarrasse pas d'un exotisme rédempteur, ni de facilités descriptives. Mais qu'est-ce qu'on les aime ces figures d'un Mezzogiorno toujours englué dans une misère endémique et une délinquance précoce inextinguible. Carmela, la sainte putain, la petite Celeste, rêveuse et décidée. Mimmo, relativement privilégié et Cristofaro, dans cette chronique d'un martyre annoncé, et Nana, cheval de son état, à la fois déifié pour ses performances en course et maltraité comme une bête de somme. 

                       De belles et longues phrases, d'une grande poésie, traversent, fulgurantes, ce Borgo Vecchio, sorte de chorégraphie de rêves et de violence, parfois drôles, avec par exemple le curé, receleur au tabernacle, souvent émouvantes, je pense à l'ode au pain et aux scènes de marché. A ce beau ballet ne manque même pas la trajectoire fantastique d'une balle dans la cité sur les traces de Toto. Du grand baroque, de l'opéra, grandiose et pouilleux. Un déluge d'images, envoûtant, ce déluge étant à prendre au sens propre durant tout le troisième chapitre, impressionnante symphonie pour navires en folie et flux punitif sur le peuple des ruelles. 

                       Aux premières lumières du jour, on découvrit que la mer avait brisé toutes les digues et avait pénétré dans la ville par la porte du Quartier. Il régnait un calme de déluge universel. Ceux qui dormaient encore furent réveillés par les sirènes des bateaux qui ne trouvaient plus le port et s'enfonçaient versl'intérieur car ils voyaient encore de la mer à l'horizon alors que les instruments indiquaient la fin de la navigation.

                       La Sicile a ses grands, très grands romanciers. Le Lampedusa du Guépard, le Sciascia des pamphlets politiques,le Pirandello des Nouvelles Sicilennes, et aussi Brancati (Le bel Antonio), Vittorini, Camilleri et son commissaire Montalbano. De toute évidence Giosuè Calaciura, né en 1960 à Palerme, ne dépare pas. 

 

 

 

 

18 avril 2021

Hélas pour Arras

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                     C'est un roman sur la Révolution Française, genre qui fait flores depuis quelque temps. Et sûrement pas le plus intéressant. Il me semble d'après ce que j'ai lu chez Babelio que je ne suis pas le seul à n'avoir guère apprécié. Babelio, mon ami, tu n'y es pour rien s'il n'y a pas la moindre étoile au frontispice de 30, rue de Saintonge. Mais, si l'auteure pense qu'il suffit de bien se documenter sur la langue française en ces années révolutionnaires, je pense qu'elle se trompe. Sûr que Françoise Dag'Naud maîtrise bien le parler populaire, très rude et cru, de tous les voyous à cocarde qu'elle nous présente. Ca ne m'a pas amusé le moins du monde. 

                    Plus grave, l'intrigue, une aventure d'Axel de Sainte-Croix, fringant lieutenant a échappé de peu au couperet quotidien, juillet 94, enfin thermidor, la Grande Terreur, Robespierre ignore encore qu'il suivra Danton de quelques semaines. A Arras il se retrouev chargé d'une curieuse mission, retrouver son capitaine accusé de trahison. On espère encore un livre d'aventures virevoltant, certes sans élégance, mais avec fougue. Hélas, hélas pour la si belle ville d'Arras, c'est plutôt un ramassis d'invraisemblances qui nous envahit. Les clichés sont clichissimes. Les fourbes fourbissimes, le peuple vulgarissime, les gargotes infâmissimes. Une fille de salle s'avère une belle agente secrète, est-ce comme ça qu'on dit? Le parler de la Révolution, pittoresque sur deux pages, s'avère une très grosse ficelle qui m'a bien vite irrité la couenne.

                    Y paraît qu'pour deux sous la bagasse s'amatinait avec tout l'monde et s'arrangeait de tous les paroissiens du pays. On dit qu'elle les zaurait harpillés. Pis, elle aurait emmiasmé d'jeunes recrues de l'armée du Nord...

                    J'oubliais, la préface est signée d'Alain Dag'Naud. Elle est enthousiaste. 

                     

14 avril 2021

Transat au XVIIème

Masse

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                       Babelio (merci encore) m'a cette fois proposé un roman d'aventures mâtiné de polar qui nous entraîne sur l'Atlantique en 1665. Les passagères du Paragon nous offre une enquête en huis clos où l'ancien juge Howard et le comédien Garin tentent de percer le mystère d'un marin vidé de son sang dans la cale du navire. Le Paragon est un trois-mâts qui effectue des voyages réguliers entre Plymouth, à l'ouest de l'Angleterre, et la Virginie. Embarqués officieusement les deux hommes vont connaître une traversée agitée. Les matelots du voilier n'ont rien d'angélique,  les passagers rien de loups de mer. Cependant Howard résout l'énigme un peu vite à mon gré. Peu importe, cela ne nous mène qu'à la moitié de cette histoire. Débarquant à Jamestown, Virginie, les deux hommes, étrange attelage entre le magistrat et le bateleur, vont s'apercevoir que le monde colonial qui s'éveille a tout de la piraterie, comme l'univers marin qu'ils viennent d'affronter.

                       Trafiquants d'armes, massacreurs d'indiens, esclavagistes, rien ne manque...sauf le suspense. Si le côté voyage fonctionne pas mal l'enquête n'est vraiment pas menée de main de maître. Je ne suis pas sûr qu'elle intéresse vraiment Guillaume Dalaudier, et du coup, on traverse la deuxième partie dans une propriété familiale dont le maître s'avère un tyran local acoquiné avec une brochettes de marins malhonnêtes et de négociants véreux, tout cela n'est pas vraiment passionnant. Sans être catastrophique l'histoire, cousue de fil blanc, est de celles qu'on oublie vite. 

                        Le plus réussi est peut-être le duo d'enquêteurs lui-même, improbable tandem de l'ex-juge et du baladin, tous deux seuls pour des raisons différentes. Howard, le magistrat, homme mûr à la recherche de son épouse, et Garin, comédien tinérant auquel la peste a ravi femme et enfant, s'ils ne sont pas du même monde, forment une bonne équipe, qui pourrait être récurrente en cas de succès de librairie. Pour l'enquête ce n'est pas Conan Doyle, pour l'aventure ce n'est pas Dumas. Mais pourquoi pas?

10 avril 2021

Aube eurasienne

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                         Nos lectures communes, à Val La jument verte de Val et moi, nous font voyager. Ce fut au tour du Vietnam avec le beau livre de Duong Thu Huong Terre des oublis. Je ne crois pas avoir jamais lu d'auteur vietnamien. Duong Thu Huong (c'est une femme née en 1947) est une ancienne des jeunesses communistes pendant la guerre. Très critique à l'égard du parti elle a fini par en être exclue en 90, assignée à résidence. Elle vit maintenant en France.

                         Un trio: Mien, son second mari Hoan, et son premier mari, Bôn, porté disparu lors de la guerre du Vietnam, resurgi quatorze ans après. Mien, heureuse auprès de Hoan, riche commerçant et bon époux, père de leur jeune enfant, accepte la mort dans l'âme de retourner vivre auprès de Bôn. Hoan ne lui en veut pas vraiment et lui conserve tout son amour et continue de lui assurer une belle aisance matérielle. Tout le roman alterne entre ces trois personnages secoués par la vie, avec quelques personnages secondaires bien sentis, amis de l'un ou de l'autre, tous formidablement campés par l'auteure.  700 pages format poche passent ainsi très allégrément, ce qui m'a surpris. Narration éblouissante, dit la quatrième de couv., à juste titre.

                         Bôn, le vétéran communiste, rentré meurtri n'est pas loin d'être une épave. Mais reste un homme qu'on ne se résigne pas à condamner. Après tout n'est-il pas l'époux légitime de Mien? Presque misérable, usé, détruit, comme humilié, Duong Thu Huong lui conserve une certaine tendresse qu'elle nous fait très bien partager. Aussi bien Bôn que Mien ou Hoan s'expriment directement, c'est en italiques dans le texte et je trouve cela très bien. Ainsi de Bôn: J'ai raté le coche.Ce train ne reviendra plus jamais. Il n'y a plus que de l'herbe et des feuilles mortes dans la cour de la gare, il n'y a plus de voyageur attendant le train, il n'y a même plus de trace de ce train d'autrefois...Je me suis trompé. Le train de la vie n'offre qu'un seul voyage, il ne revient jamais dans une gare qu'il a quittée... Particulièrement bien décrite, la quête de Bôn égaré dans la jungle après la guerre, est saisissante, impressionnante. Le fantôme de son sergent...

                       Hoan, riche terrien, élégant et cultivé, voue un culte à son épouse Mien. Une certaine grandeur d'âme, ce qui n'est pas si fréquent en littérature en ce qui concerne les nantis (relativement). Ne pas se fier au côté apparemment lisse du personnage. Ses relations avec les prostituées humanisent considérablement Hoan et finiront par grandir son sentiment pour le statut des femmes. Car le Vietnam entier, lui non plus, n'est pas tendre avec elles. Duong Thu Huong nous fait partager le quotidien tout de labeur et de modestie de ces dames, tant aux champs qu'au foyer, souvent rudimentaire, la plupart du temps nourri d'un modeste mais omniprésent bol de riz gluant. 

                     Mien, épouse, mère de famille, jolie femme de bonne foi, sincèrement éprise de Hoan, et sincèrement triste de la déchéance de Bôn, fait preuve de pas mal d'autonomie, partagée entre deux devoirs, mais éveillée et comme préparant la société vietnamienne, archaïque et si patriarcale, à certains changements. Le livre est passionnant de bout en bout. Les descriptions de la jungle, des cultures, de l'heure du thé, des arbres, sont fabuleuses. Loin d'un exotisme bon marché, et réussissant aussi à éviter le pamphlet post-colonial, ce n'est pas le propos, Terre des oublis ne les risque pas, les oublis. 

                     La femme est un monde mystérieux, incompréhensible. Elle se désintéresse de la logique ordinaire et n'écoute que la voix de son coeur. C'est pourquoi l'homme n'arrivera jamais à sa hauteur... La femme est plus clairvoyante que l'homme sans doute justement grâce à ce fond obscur de son âme où l'intelligence s'arrête, où l'intuition érige ses antennes invisibles mais efficaces.

 

20 mars 2021

Trois femmes

La vie joue

                    La vie joue avec moi est un roman d'une rare complexité dans lequel on n'entre pas sans effort. David Grossman est l'un ds écrivains israéliens les plus reconnus, très critique sur son propre pays. Quatre personnages dans ce livre qui explore la transmission, les silences et les secrets au travers de l'Histoire de Véra, 90 ans fêtés au kibboutz, sa fille Nina, sa petite-fille Guili et le père de cette dernière, Raphy. Véra s'et trouvée broyée par le régime de Tito, en lutte contre Staline, et qui aboutira à une fédération yougoslave qui se révélera invivable. Les méthodes du Maréchal n'ont rien à envier à celles d'Oncle Jo. En ces années d'après-guerre la liberté ne se conjuguait guère de ce côté de l'Europe. 

                   C'est à travers le film de Guili et Raphy que nous sont exposées les relations, bien compliquées, entre les trois femmes. Ainsi les deux tiers du livre nous immergent dans les dialogues, nous immergent... et nous noient presque, tant les névroses des trois femmes sont prégnantes et nous débordent. J'ai souffert un peu, ayant souvent des difficultés à bien saisir qui parle, l'osmose de la mère, de la fille et de la petite-fille étant assez éprouvante. J'ai trouvé que le récit manquait quelque peu de limpidité, ce qui ne remet pas en cause la qualité du roman. Disons que La vie joue avec moi n'est pas une récréation.

                    Mais le souffle de l'Histoire est bien présent, la littérature israélienne y excelle, et la dernière partie du livre, sur une île solitaire de Croatie, une geôle de rochers et de garde-chiourmes, où Véra fut recluse près de trois ans, nous redonne une grande empathie avec Véra, Nina et Guili, et leur "témoin" Raphy. Eva Panic Nahir était une résistante yougoslave qui a inspiré le romancier. Victime du goulag de Tito elle a permis de faire savoir la tragédie de l'après-guerre dans la célèbre poudrière des Balkans. 

                   Guili, la petite-fille, 40 ans. Plus tard, à l'hôtel, j'ai visionné le film et découvert quelque chose: chez elles, toutes les quelques secondes, le globe ocuclaire glisse lentement de sa cachette sous la paupière, apparaît à moitié sur le fond blanc, puis remonte et s'éclipse de nouveau sous la paupière. Je n'ai pas pu me retenir. Je me suis précipitée avec la caméra dans la chambre de Raphy. "Ces deux-là, a-t-il réagi avec un éclat de rire, ne s'autorisent jamais à fermer les yeux, même en plein sommeil."

                    

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