Absences
Une belle livraison, Babelio encore merci (une longue collaboration, maintenant, très stimulante et qui m'a assez souvent sorti de mon confort de lecteur), et merci Les Avrils, jeune maison d'édition. Le roman d'Alexandra Matine, Les grandes occasions m'a semblé une belle réussite sur une trame couramment utilisée en littérature et au cinéma, le repas de famille. Un couple âgé, lui est un médecin retraité d'origine iranienne, elle, ancienne infirmière a élevé quatre enfants. Deux garçons, deux filles, tous partis, la dernière en Australie. Mais même les plus proches ne sont pas plus présents. Elle croit pouvoir les réunir en un repas, le premier depuis des années.
Il n'y a pas dans Les grandes occasions de réglements de comptes à grands cris, ni de "Familles je vous hais". Ce n'est pas Festen, le film danois explosif. Non, mais c'est un beau roman de violence contenue, discrète et terrible. Esther, la mère, a passé sa vie ainsi, un peu confisquée par son mari Reza et surtout déléguée (si j'ose dire) à l'éducation de Carole, Alexandre, Bruno et Vanessa. Le soir venu, la santé vacillante, elle espère que les quatre seront là, avec plus ou moins de conjoints, plus ou moins de petits-enfants, et que de vieilles haches de guerre, par ailleurs indéfissables, seront enterrées.
Et durant les préparatifs on apprend à connaitre cette famille qui n'en est pas une. Pire on devine qu'elle n'en a jaamis été une. Alexandra Martine use de phrases courtes mais très incisives sur les non-dits de ces années. La préférence du père, médecin des pauvres peut-être mais plutôt odieux dans la sphère familiale, seulement intéressé par son premier fils qu'il étouffe cependant, par exemple en lui interdisant le piano. Comment peut-on prohiber la musique? L'égocentrisme de la petite dernière qui rencontre une ancienne amie et décide de déjeuner avec elle en lieu et place des retrouvailles. Drôles de retrouvailles, il faudrait un autre vocabulaire, car ce terme implique des liens, liens presque inexistants.
Les grandes occasions est un roman sur l'indifférence, l'indifférence quotidienne, triviale, domestique et toute la cruauté qui l'accompagne. Les phrases sont sobres et laconiques. La famille y est comme un nid de rapaces, rien de moins. Sans haine, c'est presque pire. Un jour, le père est fatigué et il appelle Bruno. C'est lui qui a une annonce à faire cette fois. Il ne s'embarrasse pas de mots. Il dit juste "Va-t'en". Il ajoute des choses terribles qu'on ne doit pas dire à son enfant. Et il le vire. Et Bruno s'en va.
Ah oui...les souvenirs. Mais il y a aussi dans un coin de la cave des cartons empilés. Parfaitement rangés. Avec des noms dessus. Carole, Alexandre, Bruno, Vanessa. Les noms des enfants. Les cartons des enfants. L'enfance de ses enfants. Bien rangée, bien catégorisée dans des cartons. Je vous encourage à découvrir Les grandes occasions, vous souhaitant de ne pas trop vous y retrouver. Le livre est assez terrible.