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11 juillet 2015

Longue lumière malouine

doer

                                De très bonnes critiques pour ce pavé américain dont les deux personnages principaux Marie-Laure et Werner ne se rencontrent que peu avant la page 500. La jeune aveugle et l'orphelin surdoué des communications sont observés tout le long (long) de Toute la lumière que nous ne pouvons voir comme en champ contre-champ à parts égales, en chapitres très courts, un peu feuilletonesques, qui nous mènent du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris à la campagne de Russie, des bombes sur Saint Malo aux ruines fumantes de Berlin. Bien construit, ce qui permet de lire sans peine cette belle histoire, le roman d'Anthony Doer se veut assez sentimental en ce sens pas du tout péjoratif que Werner et Marie-Laure demeurent dans l'adversité des modèles très positifs sans aucune mièvrerie, ce qui était le risque.

                               Magnifiques, y compris, pour les profanes les digressions sur les mollusques fossiles, les ammonites et les anatifes, sujet peu porteur a priori. Même les éléments techniques sur les transmissions, transfigurés par Werner, s'avèrent d'une belle essence romanesque. Là encore c'était loin d'être évident, surtout pour moi qui maîtrise si mal anode et cathode. Et puis le patronage du grand Jules Verne et de 20 000 lieues sous les mers vogue sur toute la distance du livre, si abondamment cité et que Marie-Laure lit en braille depuis son enfance. Grand livre de l'imaginaire avec la quête de l'Océan de Flammes, un diamant légendaire, avec le rôle de la lumière pour cette enfant de l'ombre guidée dans la ville par les maquettes citadines de son père maintenant disparu, avec Saint Malo ville reconstruite de toute part comme un studio prêt à l'emploi, Toute la lumière que nous ne pouvons voir est un roman superbe, qui ressemble aux romans pour adolescence d'antan sans céder à aucune de leurs facilités.

                               Nanti du prestigieux Prix Pulitzer et déjà acheté par Hollywood, nous aurons l'occasion de voir en chair et en os tous les personnages de cette fresque de guerre et d'espoir. Mais aucune jeune actrice ne saura nous toucher comme la Marie-Laure de Toute la lumière que nous ne pouvons voir. Ce prénom m'est cher.

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19 juin 2015

On voyait les chevaux de la mer

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                               J'ai de très bons souvenirs de la ville d'Ostende qui nargue la Mer du Nord comme une chanson de Jacques Brel et traîne le désespoir du genre humain depuis la chanson Ferré et Caussimon. Sur cette côte flamande se retrouvent Stefan Zweig et Joseph Roth, les deux immenses et si différents écrivains autrichiens. D'autres intellectuels aussi avant leur partance goûtent les derniers feux de la belle saison avant la longue nuit. Il y a aussi Hermann Kesten, Egon Erwin Kisch, le dramaturge Ernst Toller, Arthur Koestler, tous écrivains ou journalistes juifs. Quelques femmes aussi dont l'écrivaine Irmgard Keun, seule aryenne, qui partage quelques mois la vie de Joseph Roth et son goût pour l'alcool. Tous plus tout à fait en villégiature et pas encore vraiment en fuite.

                               Ostende 1936 de Volker Weidermann, directeur littéraire du Franfurter Allgemeine Zeitung, croque ainsi quelques moments au bord du gouffre. Chacun à sa manière sait à peu près l'inéluctable et ils ont déjà pas mal erré, ces dégénérés, Zurich, la Côte d'Azur, Amsterdam, plus ou moins interdits de publication.  L'amitié de Zweig et Roth (photo), si dissemblables quoiqu'issus tous deux de l'Autriche-Hongrie, était assez explosive, l'un célèbre auteur de nouvelles raffinées, l'autre dans la dèche et la déprime et qui ne serait reconnu que bien après sa mort. Critiquant parfois vertement et réciproquement leurs oeuvres ils  s'appréciaient néanmoins, Zweig acceptant volontiers les conseils littéraires de Roth, celui-ci acceptant encore plus volontiers l'aide financière de Zweig.

Roth

                               En juillet 1936, tous ces réfugiés partageaient encore un apéritif sous le ciel de la mer du Nord. Koestler allait couvrirr la Guerre Civile Espagnole. Berlin allait avoir ses Dieux du Stade. Expression consacrée, l'Europe dansait sur un volcan. Thanatos planait déjà sur la côte belge, qui devait conduire au suicide Ernst Toller, à New York, Stefan Zweig et sa jeune femme Lotte Altmann, au Brésil. Alcoolisme terminal et déprime maximale firent de la mort à Paris de Joseph Roth plus qu'un simulacre de suicide. Ce court roman-vrai de Weidermann est très intéressant, une saison à la plage en compagnie de sces écrivains "massacrés" qui restent des hommes, Dieu merci, et non des icônes. J'aurais aimé peut-être quelques éléments biographiques d'accompagnement car si j'ai beaucoup lu Roth (La marche de Radetzky est un de mes chocs littéraires) et un peu Zweig pourtant plus connu (c'est vrai que le cinéma y est pour beaucoup), les autres figures importantes de ce livre demeurent assez ignorées en France. Dominique partage cet avis. Ostende 1936 - Voker Weidermann

 

 

                              

 

 

 

 

 

8 juin 2015

63,rue de Monceau

 L9782070410514

                                  C'est un livre d'historien, pas un roman, mais Pierre Assouline est un parfait biographe (Simenon, Hergé) et j'ai trouvé passionnante et souvent émouvante la vie du Dernier des Camondo. La saga des Camondo, de l'Inquisition espagnole au génocide nazi en passant par le ghetto de Venise et les palais de Constantinople, n'est pas seulement un récit historique retraçant l'épopée de ces grands seigneurs séfarades. Sans refaire toute l'histoire de ces Juifs du Sud l'auteur nous en livre l'essentiel pour situer la fin de la famille à travers la figure du comte Moïse de Camondo (1860-1935). C'est aussi une méditation sur la solitude d'un homme qui consacra sa vie et sa fortune à reconstituer au coeur de la plaine Monceau une demeure du XVIIIe, siècle préféré de cet esthète collectionneur aristocrate, commensal des Rothschild ou des Pereire, à qui nous devons le musée Nissim de Camondo, espace qu'Assouline souligne comme l'un des lieux les plus raffinés de Paris.

                                Instantané d'une grande maison, Le dernier des Camondo est aussi le portrait d'une société contradictoire, l'aristocratie juive parisienne, flattée et vilipendée, habituée des chasses à courre comme des conseils d'administration, parfois suspectée d'être apatride au moins de coeur.Affaire Dreyfus, Grande Guerre où cet "apatride" perdit en 1917 son fils Nissim, pilote, affaire Stavisky, rafles (qu'il n'aura pas connues) de sa fille Béatrice et de ses petits-enfants morts en déportation, voilà tout un pan de la vie de Moïse de Camondo. Cet homme finira seul de sa dynastie, inconsolé parmi ses chefs d'oeuvre, le livre nous laissant sur un sentiment et de tristesse et de gâchis. Le tout demeurant à mon sens absolument fascinant.

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                              Au musée qui porte le nom de son fils descendu dans la Meuse, tous les meubles, tapisseries, tableaux, tapis, porcelaines et pièces d'orfèvrerie datent du 18e siècle français et ont été collectionnés avec passion par Moïse de Camando. Ce dernier avait à sa mort tout légué aux Arts Décoratifs à la condition impérative que les collections soient présentées dans leur agencement originel, telles que pouvait les voir et les vivre le comte.

6 juin 2015

Toiles printanières

Taxi

                  Jafar Panahi, cinéaste iranien, a été emprisonné par le régime de Téhéran il y a quelques années. On se souvient de sa chaise vide dans le jury du festival de Cannes 2010 alors qu'il était retenu dans son pays. Honoré par les plus grandes manifestations pour Le ballon blanc, Le cercle, Sang et or, et cette année encore par l'Ours d'Or de Berlin pour Taxi Téhéran, le cinéaste est encore actuellement plus qu'en délicatesse avec le pouvoir et demeure interdit de tournage. Devenu une sorte de symbole d'un cinéma de la liberté, Panahi n'a pas que des partisans, y compris chez les intellectuels. Certains de ces derniers reprochent au cinéma international de sélectionner et récompenser ses films davantage pour le symbole que pour leurs qualités propres.

                Taxi Téhéran, tourné en douce dans les rues de la capitale iranienne ne sera pas vu de sitôt là-bas. On peut fort heureusement voir ici  ce "street-movie", ce huis-clos automobile, kafkaien en diable, très critique et souvent très drôle, qui cite Woody Allen et Nuri Bilge Ceylan la Palme d'Or 2014. A vous de vous faire votre propre idée, et éventuellement d'en discuter. La mienne, d'idée, est que ce film est passionnant et aussi pas mal roublard.

                Ce lundi 1er juin beaucoup de spectateurs pour ce ciné-débat, ce qui a permis des échanges très intéressants. Bien des pistes à explorer pour ce film clandestin, cocasse, drôle, bon enfant dont la légèreté apparente est évidemment très grave puisque remettant en cause la société iranienne à travers cette balade dans Téhéran. Le taxi collectif, surtout conduit par Jafar Panahi, ne manque pas de saveur et les passagers, à travers l'ironie, le système D et un sens de l'absurde picaresque rendent le voyage inoubliable.

Le labyrinthe

                  Le labyrinthe du silence, film allemand de Giulio Ricciarelli, a la lourdeur des films à thèse, expression jadis très en vogue dans le cinéma. Il n'en est pas moins intéressant. Un peu écrasant de bonnes intentions, voir la photo, le film revient sur le méconnu procès de Francfort, 1958, qui fut le premier à mettre en accusation certains responsables d'Auschwitz. Rien à voir avec Nüremberg. Cette fois les Allemands jugeront les Allemands. Bien mené, comme une sorte de thriller judicaire, Le labyrinthe du silence a surtout le mérite de rendre compte de la complexité de l'Allemagne d'après-guerre et de son miracle économique, possible parfois avec une certaine amnésie. En partie inévitable cette relative amnésie? C'est toute la question et c'en est passionnant.

pARTISAN

                      Je n'entonnerai certes pas Le chant des partisans pour ce film australien, fable très vaguement écolo-pédago-futuriste, où le gourou Cassel et les enfants inquiétants ne m'ont pas intéressé. De plus Partisan est plombé par une musique à vous faire frôler le saturnisme et, inquiétants, les enfants le sont tellement plus dans Le villages des damnés ou Le ruban blanc.

9 mai 2015

Un toit ne suffit pas

Toit rouge

                                       On n'est pas loin du chef d'oeuvre avec La maison au toit rouge du cinéaste japonais octogénaire Yoji Yamada dont je n'avais vu aucun film. J'ai recopié le synopsis. En 1936, la jeune Taki quitte sa campagne pour travailler comme gouvernante à Tokyo au sein de la famille Tokoda composé d’un charmant couple et de leur fils de 6 ans. Lorsqu'Itakura, un jeune collègue du mari est chez lui, Tokiko la maîtresse de maison se trouve irrésistiblement attirée par cet homme différent, sensible et cultivé. Témoin de leur liaison secrète, la servante se souviendra bien des années plus tard, non sans une certaine émotion, de cette époque tourmentée d’ un Japon en guerre dans la rédaction de ses mémoires...

                                       Ca a tout l'air d'un mélo et c'en est un. Et alors... Cette histoire simple est traitée  d'une manière calme et modeste, nous quitterons fort peu cette maison symbole d'abord d'un bonheur assez tranquille ou rien n'est remis en question et surtout pas la place de la femme dans cette société japonaise d'avant-guerre. Parlons-en, de la place des femmes. L'épouse est plutôt bien traitée, comme une épouse quoi, qui sait mettre en valeur son grand homme de mari. Pas très loin du féodal. La servante, quant à elle, suit un cursus classique pour une jeune fille pauvre à cette époque. Terriblement troublée par ce secret qu'elle partage bien involontairement avec sa patronne, Taki voit en plus comme tous les Japonais le spectre de la guerre s'avancer et se préciser. C'est un bel art que pratique Yoji Yamada: parvenir à faire passer le souffle de la guerre, la guerre sino-japonaise d'abord, sans insister, uniquement pas des bribes de conversation entre hommes, mais en nous faisant parfaitement comprendre cette sensation de culpabilité qui déjà lors du massacre controversé de Nankin, 1937, acommencé d'étreindre les Japonais.

                                       Puis c'est Pearl Harbor et le conflit du Pacifique. Itakura sera finalement mobilisé, les bombes sur Tokyo et le feu nucléaire (présent d'une manière ou d'une autre dans tout le cinéma nippon) auront raison de cette liaison secrète. Mais quel joli prodige que La maison au toit rouge qui en dit tant avec une économie de moyens, qui laisse le spectateur se faire sa propre version, et qui grave au coeur la jolie habitation tokyoïte. Fine analyse de ce Japon que l'on connait si mal, et bien beau mélo tout en retenue, le petit jardin, les volets claquant et les sentiments qui blessent pour si longtemps, comme tout cela exprime bien la sensibilité du vieux cinéaste. C'est un régal que ce film d'un grand classicisme que certains critiques ont confondu avec le conservatisme le plus rassis. Consternant. A mon avis.

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18 avril 2015

A la croisée des vents

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                                                      J'ai eu l'occasion de présenter ce film il y a quelques jours au multiplexe de notre ville. Un film qui nous vient d'Estonie, ce qui est déjà une rareté, mais surtout un film qui ne ressemble à aucun autre, exigeant, passionnant, déroutant et pourtant cohérent. Composé à 95% de plans fixes Crosswind narre la très peu médiatisée déportation des Baltes par l'Union Soviétique en 1941. Un noir et blanc oppressant mais de toute beauté happe le spectateur auquel il faut un peu de bonne volonté car sa situation est celle d'un otage, capté à son corps défendant, et qui subit le syndrome de Stockholm et entre peu à peu en empathie avec ses geôliers. C'est, je l'avoue, une façon un peu cavalière de présenter les choses mais des critiques ont parlé à propos de Crosswind d'une technique de gel cinématographique, une assertion pas du tout péjorative en l'occurrence.

                                                     Ce film a été bien reçu malgré son parti pris extrême et les spectateurs ont activement participé à une discussion sur le fond et plus encore sur la forme. C'était un pari que le Cinéquai 02 avait engagé , programmer cette oeuvre austère et difficile mais finalement très prenante. D'abord revenir un peu sur l'histoire souvent occultée de ce que le jeune metteur en scène Martti Helde nomme sans détour l'holocauste soviétique et l'exil forcé de si nombreux Baltes, et qui devait se prolonger au delà de la mort de Staline. Puis que ceux qui le souhaitent s'expriment sur la structure si unique de ce film. Ainsi de la caméra, seule à se mouvoir au long de Crosswind, serpentant, s'insinuant au plus près là d'un genou, là d'un visage ou d'une larme, là du grain du mauvais pain des reclus. Ainsi de la forme épistolaire du récit basé sur les lettres d'Erna jeune mère séparée de son mari, jamais envoyées, et qui ne saura sa mort que 47 ans plus tard, lors de l'éclatement de l'empire soviétique. Une longue glaciation qui perdura bien après la guerre, c'est ce que retrace sobrement et si intelligemment Crosswind/La croisée des vents, admirable premier opus d'un Estonien de 27 ans dont le projet fut initié alors qu'il n'en avait que 23.

                                                     Que dire aussi de l'impressionnante beauté de la bande son, quand bruissement des feuilles, chuchotements d'un modeste filet d'eau, voix off comme je n'en ai jamais entendue prennent une signification fabuleuse eu égard au côté statique des images, statiques mais jamais figées tendance Grévin, le risque majeur d'une telle entreprise. Afin de m'imprégner de cette histoire et d'étayer un peu mes propos j'ai vu Crosswind deux fois le même jour. Le film est d'une telle richesse que ce fut un plaisir redoublé. Le Septième Art s'égare si souvent qu'il faut rendre hommage à cette oeuvre originale et forte, jamais dénuée d'émotion.

"CROSSWIND - LA CROISEE DES VENTS" de Martti Helde

16 mars 2015

Clair et net

 Masse critique

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                                Etre retenu dans le Club des Lecteurs Relay 2015 est une chance qui m'a permis de recevoir quatre livres. A charge de les lire (oui) et d'en poster une critique. Voici le premier. Jerôme Garcin a eu bien raison de nous faire redécouvrir Jacques Lusseyran, écrivain, résistant, aveugle (1924-1971) car c'est un beau récit d'amitié et d'admiration qu'il nous livre à travers le destin de cet homme, le visionnaire, le clairvoyant, le voyant. Frappé de cécité à huit ans Jacques Lusseyran fut très vite attiré par la musique et plus encore par la littérature et l'écriture. Sa prodigieuse mémoire lui permit des études brillantes qui le conduisirent, lui, le rescapé infirme de Buchenwald, à enseigner après-guerre la littérature aux Etats-Unis, pays où il se reconnaissait et où on le reconnaissait mieux que dans la France encore frileuse de 1950.

                                    Le voyant se situe, bien que récit, dans une grande veine romanesque humaniste, mais ce dernier mot est si galvaudé, que j'hésite. A travers le prisme Jérôme Garcin, cet homme semble irradier une lumière contagieuse, renforcée à de multiples occasions par ce qu'on ne peut pas qualifier ici de handicap, tant les sens et les empathies de Lusseyran ont crû et embelli suite à la perte de la vue. Certains chroniqueurs, pas tout à fait à tort, y ont décelé, eux, du trop, du trop beau pour être vrai, du trop de facilités pour un seul homme, voire du trop peu de séquelles pour un retour des camps.

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                                 Mais Jérôme Garcin est encore plus bouleversant quand il revient sur les failles de Jacques Lusseyran car on finit par les connaître, ses mariages manqués, ses rapports inexistants avec ses enfants sauf sa fille ainée Claire, ses exigeances. Et ses relations avec un certain maître parfois contestable. De l'influence anthroposophe et de l'ésotérisme chrétien venus en partie de son père Pierre Lusseyran je n'ai pas compétence et me tairai donc. Enfin en une douzaine de lignes l'auteur fait le parallèle entre la mort dans un accident de la route de Lusseyran en 71, avec sa troisième et jeune épouse, et celui de son propre père le grand éditeur Philippe Garcin, mort de façon similaire en 73. Tous deux étaient khagneux de Louis-le-Grand, amoureux fous de la langue française et de la littérature en général, brillants et pleins d'avenir.

                                                  

9 mars 2015

Guerre, cinéma et vérité

                             Guerre, cinéma et vérité, ce trio a souvent été utilisé et souvent malmené. Quelques mots sans prétention quant à deux films très récents, qui reviennent sur la  Guerre d'Irak et sur la la Deuxième Guerre. N'étant pas historien ni spécialiste je livre un simple sentiment de spectateur. American sniper, très grand succès américain actuel, pas forcément pour de bonnes raisons, a déclenché une certaine polémique prévisible.

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                                 On touche évidemment avec le dernier film de Clint Eastwood à ce thème hyperclassique du cinéma de genre, l'interventionnisme et ses composants. A travers le portrait du pour le moins controversé de Chris Kyle, "champion" des snipers en Irak, on assiste à un film très efficace qui, sur le plan du film d'action, est très bien mis en scène, le père Eastwood ayant depuis longtemps maîtrisé les codes du cinéma américain, mélo (Sur la route de Madison), western (Josey Wales, Impitoyable), thriller (Sudden impact), biopic (Bird). Alternance du front, catégorie spécial tireur planqué, ce qui diffère assez de la soldatesque confrontation d'un film de guerre classique, et des scènes familailes, même les snipers sont pères de famille. Pas très difficile de pointer un certain conservatisme, mais gardons-nous de trop juger à l'aune du vieux continent.

                                 Reste ce monsieur, Chris Kyle, excellement campé par Bradley Cooper, dont la personnalité pour le moins discutable, d'ailleurs rendue un peu plus présentable par le film, offusque pas mal nos européennes âmes. A juste titre, ajouterai-je. L'homme Kyle, bardé de médailles, revendiquait plus de 250 tirs létaux, c'est comme ça que ça s'appelle. Dont 160 officiellement validés. Je ne suis pas sûr qu'il faille faire dire à American sniper plus qu'il ne le mérite. C'est ainsi que ça s'est passé, au moins là-bas. Arrangez-vous avec. Les discussions interminables ne sont pas de mise. Elles seront, surtout pour un film comme American sniper, encore plus stériles que d'habitude. Quant à moi j'ai trouvé le temps long dans la salle ce jour là, et l'ennui un peu létal, ce qui n'enlève rien aux qualités strictement cinématographiques du film. American Sniper - Clint Eastwood vous donnera l'avis de Dasola, pas très éloigné.

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                                 Le thème d'Imitation game a été classé secret pendant cinquante ans. Le film est l'histoire vraie d'Alan Turing, génial mathématicien britannique, qui réussit à déchiffrer le code Enigma du Troisième Reich pendant la guerre. Turing était-il l'homme qui en savait trop? Rôle à oscar comme d'ailleurs celui de Bradley Cooper susdit, cet homme (incarné par le brillant Benedict Cumberbatch) ne suscite pas lui non plus une sympathie énorme, un tantinet inadapté depuis son jeune âge, une sorte de surdoué qui plus est homosexuel en des années où ce n'était pas la mode. La romance avec sa collaboratrice Joan Clarke me semble un artifice mais après tout je n'ai pas lu la bio d'Andrew Hodges dont le film est tiré.

                                 Alan Turing travaille en équipe, une équipe dont il devient le chef respecté, mais peu aimé. Il n'est pas du genre très amical et le metteur en scène norvégien Morten Tyldum ne cherche pas à l'humaniser davantage. De même après la résolution de l'énigme Turing n'hésitera pas à ce qu'on appelle la Realpolitik, ne pas trop divulguer cette découverte pour ne pas attirer trop vite l'attention allemande, c'est à dire sacrifier par exemple certains bâtiments anglais. Il plane sur Imitation game, et bien que ce ne soit pas à priori un film d'espionnage, une ambiance à la fois lourde et feutrée, qui évoque Graham Greene et John le Carré. Les célèbres agents doubles des années cinquante, Burgess et McLean, y sont cités.

                                 L'après-guerre, facile pour personne, le sera encore moins pour Alan Turing, considéré ingérable voire dangereux. Son homosexualité sera le prétexte idéal pour l'aliéner en le bourrant de médicaments contre le silence sur ses rencontres. Son suicide à 41 ans conclura une vie en marge,mais ça on le savait depuis le début, considérant ses problèmes d'intégration d'élève trop brillant dès les années de collège. Il n'a jamais été recommandé de trop sortir du lot. J'ai aimé ce film, pas bouleversant d'originalité, mais qui revient sur un aspect très méconnu de la guerre. Ainsi, avec Foxcatcher récemment chroniqué, trois histoires vraies ont donné trois films très différents, tous trois dignes d'intérêt.

 

23 février 2015

Le cinéma, mon vélo et moi/6/Le braquet de Noiret

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VIEUX FUSIL

Qu'ils semblent loin ces vélos du cinéma français, qu'ils soient philosophie hédoniste d'Alexandre le Bienheureux, amitié des Copains ou tragédie du Vieux fusil. La roue tourne...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le cinéma,mon vélo et moi

13 février 2015

Je est un hôte

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                                                                  Souvent perçue par les critiques comme un western existentiel cette belle adaptation très libre de L'hôte, nouvelle d'Albert Camus, issue du recueil L'exil et le royaume, est une réussite. On peut bien sûr discuter à n'en plus finir sur l'esprit et la lettre de Camus. Vieille histoire. Ecrit juste avant la guerre, ce récit met aux prises un condamné algérien (pour un meurtre de tradition si j'ose dire, type vendetta) et un instituteur ancien combattant de 40 censé le convoyer au village où il doit être jugé. Inutile de rappeler l'importance de la figure de l'instituteur dans l'oeuvre d'Albert Camus, elle est bien connue et il a maintes fois rendu hommage à Louis Germain l'enseignant de ses tendres années.

                                                                  Tel le supplétif d'un sheriff (Trois heures dix pour Yuma en étant l'exemple type) Daru plutôt pacifiste, vaguement "étranger" quoique l'hôte en quelque sorte de Mohamed (ambiguité du substantif hôte), hésite avant d'accepter la mission d'un fonctionnaire aux abois en ce qui commence à ressembler au début de la fin de la présence française en Algérie. La nouvelle fait dix pages, le film 1h45, et David Oelhoffen a souhaité aussi un film avec un minimum d'action, ce qui nous vaut une illustration qui reste relativement modeste certes mais qui permet de sortir du huis clos de l'oeuvre littéraire. Qu'en aurait pensé Albert Camus?

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                                                                  A mon avis peu importe en l'occurrence. Ce qui compte c'est que le questionnement de Daru-Camus est parfaitement rendu dans Loin des hommes, d'abord hostile à s'en mêler puis prenant en charge Mohamed, les deux hommes finissant par se respecter, tout cela dans un délai de quelques jours maximum. Evidemment le metteur en scène souligne et ponctue la justice, l'éducation, la guerre, la violence, évoquant même un crime de guerre. Camus, lui, n'avait pas besoin de tant d'images pour nous convaincre à travers un très beau texte, simple et quotidien, poussière, un cheval dans le lointain,quelques figues. J'ai lu trois fois la nouvelle, admirable, et vu deux fois le film, la seconde animant un bref débat, les spectateurs ayant apprécié Loin des hommes, à juste titre. Les deux acteurs, Viggo Mortensen, Américain qui n'a pas hésité à coproduire le film et à l'interpréter en français, et Reda Kateb, d'abord muré puis s'humanisant joliment, n'y sont pas, non plus, étrangers.

10 janvier 2015

Quand Tombouctou tombe à pic

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                                                              C'est plus que jamais le moment de voir le très beau Timbuktu. Je n'aurais jamais cru que ce serait "à ce point" le moment. C'est presque indispensable en dépit de ses maladresses. 

                                                              Abderrahmane Sissako le Mauritanien, l'un des très rares cinéastes africains un peu connus en Europe a abordé le problème du fondamentalisme d'une manière très personnelle qui parvient à mélanger l'humour et l'absurde à la gravité qui n'est pas esquivée. Scènes de la vie quotidienne, banales, banalisées, pour le pire des autochtones, du moins ceux qui n'ont pas encore fui la Tombouctou historique, berceau d'une civilisation avec mausolées et manuscrits. Mais que reste-t-il de ces symboles face à la bêtise abyssale?

                                                             Ils sont quelques-uns dans les villages voisins de la ville, la ville dont on ne verra rien, à tenter de continuer de vivre normalement malgré la présence et les consignes officielles des nouveaux maîtres sur des choses aussi dangereuses que le football, les mains nues des femmes ou la longueur des pantalons des hommes. Le cinéaste ose quelque chose de rare, montrer les tyrans intégristes comme des imbéciles, à peine capables de parler d'autre chose que de Zidane ou de Messi, ce qui ne les empêche pas de faire la chasse au ballon rond. A rire avant que d'en pleurer. Une calme soirée musicale entre amis est ainsi brutalement interrompue. C'est que la guitare est diablement décadente. A pleurer vous dis-je. Mais à pleurer de rage.

                                                             Car toute vie est réévaluée ou plutôt dévaluée à l'aune de l'extrêmisme. Ainsi l'homicide accidentel commis par Kidane le tranquille éleveur ne trouvera aucune circonstance atténuante. Ainsi redoubleront les mariages forcés et les lapidations. Ainsi le simple chant mène au fouet. L'une des forces de Timbuktu est de rendre presque ordinaires les brutes, j'entends par là leur ôter la moindre once de légitimité religieuse et de l'éventuelle noblesse que quelques individus tout aussi bas de plafond pourraient leur trouver. Timbuktu, d'après certaines critiques, transformerait cette force en faiblesse en simplifiant outrageusement l'histoire du Mali et en occultant les rebellions touareg et les différentes collusions entre ethnies, que je serais bien incapable de préciser. Ces mêmes critiques émettent ainsi des réserves sur ce qui reste un beau film, qui selon certains spécialistes, tiendrait plus du conte pour Occidentaux de bonne volonté que de la complexe réalité de l'ancien Soudan français.

                                                             Reste qu'un film africain, au moins en partie, n'est pas si fréquent sur nos écrans.  Reste qu'au moins une scène est déjà entrée dans l'histoire, le match de foot sans ballon. Reste que dans le contexte actuel il est sûrement difficile de faire beaucoup mieux pour décrire les dramatiques turbulences d'un Mali en implosion.

 

L'avis de Dasola Timbuktu - Abderrahmane Sissako

Celui de  Y a quoi à chercher CINEMA- TUMBUKTU : LA CULTURE AFRICAINE OTAGE DES DJIADHISTES

 

 

18 novembre 2014

L'insoutenable liberté des autres

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                                         Ce n'est que mon deuxième roman slovène. La Slovénie n'avait jusqu'à présent guère été fondamentale dans mon patrimoine littéraire. Petit pays coincé entre Autriche et Italie, le premier cependant à quItter l'ogre yougoslave,le plus prospère aussi, c'est relatif, la Slovénie est plus alpine que balkanique. Cette nuit je l'ai vue a obtenu le prix du Meilleur Livre Etranger délivré par je ne sais plus qui et il me semble qu'un bouche à oreille sympathique circule dans le Landerneau littéraire. A juste titre m'empressé-je de vous dire.

                                      Veronika Zarnik est une femme libre et troublante,  indéfinissable, de celles que l’on n’oublie pas.  Mariée à Leo, un homme d'affaires bourgeois lui aussi mais peu conventionnel, tous deux d'une totale indépendance d'esprit, ils vivent à leur manière, affranchis de la plupart des contraintes de la vieille Europe, jusqu'à ce que la guerre fasse d'eux, fasse d'eux quoi exactement d'ailleurs? En hiver 1944 le couple disparaît du manoir où il vivait. "Cette nuit je l'ai vue comme si elle était vivante" est l'incipit de ce très beau roman, c'est Stevo,officier pro-allemand qui parle le premier, qui fut l'un des amants de Veronika. Et tout se passe comme si le spectre de cette femme incernable hantait différentes voix qui s'élèvent alors pour l'évoquer. ls sont cinq à ce jeu-là, tous l'ont connue d'une manière ou d'une autre. Outre Stevo, Horst le médecin allemand, sa propre mère, Jerenek, un résistant et une servante dévouée se remémorent Veronika, probablement punie,de quoi? De collaboration, c'est parfois si facile, en ces temps de titisme, de liberté surtout. C'est qu'elle nous insupporte, parfois cette liberté en cheveux que rien n'émeut. Rien n'est plus dur que la liberté des autres.

                                      J'ai choisi de lire Cette nuit je l'ai vue avec 50%de hasard, 50% d'envie d'un autre pays. Après j'ai su pour le prix et vu les encarts photos du livre dans la presse. Il est bien agréable de découvrir la littérature de ces pays si longtemps ignorés. Je joins une excellente critique, que je partage tout à fait, celle de L'Humanité, non sans m'étonner comme toujours quand on trouve la traduction inspirée ou médiocre, sauf à lire parfaitement la langue vernaculaire. Bien peu,vraiment bien peu slovenophone, je ne me hasarderai pas à émettre une opinion.

                                       « Continûment servi par une traduction inspirée, le texte aux infinies nuances de Drago Jančar s’élève à ces hauteurs d’où rayonnent les chefs d’œuvre, qui éclairent les convulsions de l’Histoire. » Jean-Claude Lebrun. L’Humanité.

12 octobre 2014

Le cinéma, mon vélo et moi / 4 / Ferrare antebellum

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                                                                                   Années trente. Une famille juive dans Ferrare la belle,le magnifique roman de Giorgio Bassani, l'un des derniers films de De Sica, une Italie du Nord, certes assez éloignée du Néoréalisme historique, mais tout aussi vraie. Je m'imagine, en blanc, mince et sportif, chevalier servant de Dominique Sanda et  rejoignant de toute la vélocité de ma bicyclette Le jardin des Finzi-Contini. Trente ans  après Le voleur de bicyclette le vélo retrouve toute sa place dans le cinéma italien. Un homme dans la ville. Et merci encore à Asphodèle pour la belle illustration de cette chronique.

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9 octobre 2014

Le vallon rouge

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                                         The cove, titre original peut se traduire par la baie ou par le gars. Le gars en l'occurrence est un inconnu, hagard et muet, qui est retrouvé blessé après une chute dans un  vallon perdu de Caroline, au coeur des Appalaches. Nous sommes dans les derniers mois de la Grande Guerre. Hank Shelton, de retour du front français où il a laissé une main et a soeur Laurel,une jolie fille hélas disgraciée par une tache de vin, recueillent ce Walter qui ne s'exprime que par la flûte dont il joue avec baucoup de  sensibilté. On sait que dans ce contexte la germanophobie a été virulente aux Etats-Unis, surtout après l'entrée en guerre du pays, Steinbeck l'évoque dans A l'est d'Eden si j'ai bonne mémoire. Et les autochtones ne brillent pas par leur esprit éclairé.

                                         En peu de jours Walter est apprécié de Hank qu'il aide aux travaux de la ferme, difficiles sur cette terre noire et sèche, et du vieux voisin Slidell, un brave type qui refuse de hurler avec les loups. Il est juste de dire qu'il est encore plus apprécié de Laurel, quand deux handicaps se conjuguent... Ron Rash décrit très bien les travaux et les jours de poussière et de boue, la fatigue qui plante son glaive, l'espoir naissant de Laurel en un nouveau destin. Et si le vallon n'était pas si maudit... Plus rare, il sait aussi nous faire partager la peur de la fin de la guerre là-bas si loin à l'Est. Car la guerre a ceci d'unique que sa fin programmée n'arrange pas tout le monde, et surtout qu'on a vu des paix toutes neuves guère plus engageantes que les conflits qui les ont précédées. Car quel bel exutoire que la guerre pour défouler l'homme dans ce qu'il a de plus homme, c'est à dire sa haine et sa bile envers les responsables idéaux, si ce n'est toi c'est donc ton frère, ici l'Allemand, là le Juif et autres...

                                         En résumé Une terre d'ombre est un très bon roman d'un auteur que je n'avais encore jamais lu, souvent commenté sur les blogs, et qui incite à continuer sa découverte. Le mutique Walter est un personnage attachant et les défauts de l'Amérique ont ceci de pratique qu'ils permettent de ne pas  trop se pencher sur les nôtres. Comme un exutoire, en quelque sorte.

3 juin 2014

Peu de précipitation

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                                         Ce polar pourrait entrer dans le sous-genre psycho puisqu''il se situe entièrement dans un hôpital psychiatrique, lequel établissement a une histoire et ruisselle de souvenirs d'une époque pas si lointaine où la médecine des troubles du comportement était rien moins que diablement carcérale. Diablement est le mot juste car le centre porte le nom pas forcément jovial de Théophobe Le Diaoul, jadis Théophile Le Bellec, un ancien patient illuminé ou assombri, c'est selon, et que la Grande Guerre avait conduit dans ces murs tragiquement continuateurs de l'aliénation des tranchées. Cette idée sous-tend toute la suite de l'enquête menée par Eric Lanester, flic et psychologue, et son équipe dans cet univers où l'on a coutume de dire que la différence entre les soignants et les soignés ne saute pas toujours aux yeux.

                                        En cette année centenaire la Grande Guerre est donc indirectement responsable une fois encore de morts violentes, celles d'un patient défenestré par son infirmier, puis le suicide de ce dernier. Le meurtre en ces lieux peut s'avérer essentiellement d'ordre chimique, antidépresseurs, psychotropes, gélules et pilules multicolores pouvant faire fonction de fameux objets contondants. Françoise Guérin, elle-même psychologue, décrit bien les arcanes et plus encore les archives si cruciales dans cet hôpital où l'on comprend trop vite l'importance de l'hérédité, des rivalités et des dynasties. Peu de professionnels collaborent vraiment aux interrogations de Lanester et de ses collègues, soigneusement stéréotypés, une râleuse, une extravertie portée sur la chose, un bleu maladroit. Pas trop d'aide du médecin-chef, pointilleux sur ses prérogatives. Par contre, Elisabeth Bassonville, elle, responsable de tout le passé historique du Centre Théophobe Le Diaoul, se prête si bien aux questions que ça en devient louche.

                                       On s'achemine ainsi vers une vérité subodorée depuis bien longtemps. Dommage que l'on soit depuis pas mal de pages resté assis à la cafeteria, à rêvasser à ce qu'aurait pu être une incursion réussie dans ce milieu hostile à toute curiosité. Les enfants de la dernière pluie, tout au plus une petite ondée de l'autre côté du rideau, celui qui sépare tant bien que mal la norme de la différence, sachant que l'individu dit normal n'a pas bonne presse dans la critique littéraire jamais exempte de démagogie, mais tout ceci reste insuffisant.

28 janvier 2014

Sarajevo blues ou la solitude du tireur d'élite

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                                           Le temps a plusieurs fois effacé Sarajevo. Sait-on encore où se trouve cette ville? Et l'a-t-on jamais su? Jean Hatzfeld qui a couvert l'agonie de la Yougoslavie revient sur la Bosnie avec ce beau roman où une jeune femme serbe et son fiancé musulman se retrouvent presque du jour au lendemain en plein coeur du grand chamboulement. Tous deux sont tireurs d'élite et chances de médailles aux J.O. de Barcelone 1992. Mais voilà on découvre à Sarajevo à cette époque d'autres usages pour les tireurs de cette trempe. Appelons-les des snipers par exemple. Vahidin le musulman et Marija l'orthodoxe sont ainsi intégrés dans des camps différents, situation pas exceptionnelle en ces années 90 entre Belgrade et Sarajevo. A propos même aujourd'hui bien difficile de démêler la complexité administrative de la République de Bosnie-Herzégovine nantie d'une République Serbe de Bosnie, de divers districts plus ou moins autonomes, et peuplée de Bosniens et de Bosniaques.

                                          Utilisés contre leur gré pour leur art du dégommage les deux amants seront séparés par l'absurdité d'un conflit qui les dépasse. On sent l'univers journalistique de Hatzfeld, c'est un livre de grand reporter bien sûr et l'on songe aux historiques,Londres, Kessel, Lacouture. Mais la fiction sonne tout à fait vrai. Et il est très intéressant de lire les précisions sur l'entraînement des athlètes de haut niveau dans cette discipline peu médiatisée. Cela aussi fait partie d'un travail de romancier, une solide base documentaire. La solitude de ces soldats perdus, leur responsabilité, est impressionnante. Pourtant dans ces petits pays, à quelques kilomètres parfois, poussent encore les fruits rouges et court le gibier. Vahidin et Marija, de chasseurs en gibier, se retrouveront-ils? Et Robert Mitchum, qui manque parfois de rappel, jappera-t-il à leurs côtés.

7 novembre 2013

La poésie du jeudi, Boris Vian

chromo oiseau couronné ana-rosa(1) A propos de guerre, de novembre et de deuil (j'aime tout spécialement "une abeille de cuivre chaud").

L’Evadé

 

Il a dévalé la colline

Ses pas faisaient rouler les pierres

Là-haut entre les quatre murs

La sirène chantait sans joie

 

Il respirait l’odeur des arbres

Avec son corps comme une forge

La lumière l’accompagnait

Et lui faisait danser son ombre

 

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il sautait à travers les herbes

Il a cueilli deux feuilles jaunes

Gorgées de sève et de soleil

 

Les canons d’acier bleu crachaient

De courtes flammes de feu sec

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il est arrivé près de l’eau

 

Il y a plongé son visage

Il riait de joie il a bu

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il s’est relevé pour sauter

 

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Une abeille de cuivre chaud

L’a foudroyé sur l’autre rive

Le sang et l’eau se sont mêlés

 

Il avait eu le temps de voir

Le temps de boire à ce ruisseau

Le temps de porter à sa bouche

Deux feuilles gorgées de soleil

 

Le temps d’atteindre l’autre rive

Le temps de rire aux assassins

Le temps de courir vers la femme

Il avait eu le temps de vivre.

 

Boris Vian, Chansons et Poèmes

20 septembre 2013

Nous sommes tous des spadassins

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                                 Très beau roman,sombre et brusque d'un auteur français que je découvre. Les spadassins est une grande réussite du roman sur fond historique qui conjugue le regard sur la brutalité d'une époque,les Guerres de Religion, et le récit d'aventures et de combats refusant totalement,et à ce point là c'est rare,le picaresque qui enjolive parfois un peu trop ce type de littérature.Jean-Baptiste Evette confie la narration de cette histoire à Antonio Zampini,bretteur italien assez lettré pour devenir l'homme de confiance et le chroniqueur de Guillame Du Prat,baron de Vitteaux en cette fin de XVIème Siècle. Le royaume de France est à feu et à sang et s'ils s'engagent  du côté du roi et du parti catholique ce n'est certes pas par conviction papiste.La seule fougue qui stimule Vitteaux,c'est le goût de la bagarre,très en vogue à l'époque où le fratricide était un art majeur dont l'exemple venait de très haut.

basilic

                              Car de religion ou de foi point n'est question dans ce qui ressemble parfois au journal de bord d'une bande de brutes rappelant certains univers de westerns, plutôt à l'italienne,ou fin de mythologie.Très loin d'Alexandre Dumas où l'on a du chevaleresque,du preux, Evette nous présente ses combattants,courageux certes mais n'hésitant pas à tirer sur un fuyard ou à trucider au coin de la rue,rue bien peu avenante en ces années de Saint Barthélémy.Car si la Saint Bart est la star incontestée de ces années obscures on assiste à une multitude de sympathiques petits massacres sans importance,où l'on trucide le parpaillot,même pas gaiement d'ailleurs.Certes le huguenot n'est pas en reste quant à brûler et dévaster.

 FAUCO

                             Zampini,qu'il ne faut pas trop sanctifier parce qu'il sait lire et écrire,est en fait fasciné par le baron de Vitteaux,que rien n'arrête,et que rien n'intéresse hors les lames et à la rigueur,les aventures sans lendemain.Des lendemains il n'y en aura pas pour tout le monde,même pas pour les grands,Coligny, Guise, Charles IX ou Henri III. Mais Vitteaux semble protégé par un quelconque talisman alors que ses proches rejoignent le paradis ou l'enfer, romain ou protestant.J'ai aimé ce livre aussi pour son vocabulaire très riche. D'ailleurs pour défendre la langue française je suis prêt moi-même à tirer de l'émerillon ou du fauconneau,voire du basilic,coiffé d'un morion. La guerre a parfois de bien jolis mots. On pense un peu à La Reine Margot mais on est aux antipodes de ce brave Alexandre.Alors on pense à l'autre Reine Margot, celle de Patrice Chéreau. Pour la brutalité et l'effet "soudard" on a un peu de ça,c'est vrai.Mais débarrassé des intimes obsessions du metteur en scène. Si vous ne craignez pas de chevaucher et ferrailler, claquant des dents, affamé et crotté, foncez dans les sillage des Spadassins. Eux au moins ne vous donneront pas de leçon de morale.

                            

30 juillet 2013

Scènes de la vie de Bohème

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                              Athalie A les lire  m'avait rappelé ce livre dont je ne connaissais que le nom,et vaguement cette notion d'humour tchèque déjà rencontré chez Bohumil Hrabal et chez certains cinéastes.Jiri Weil,juif tchèque,sait ce dont il parle:les prémices de l'horreur,déjà une horreur en soi.Si le ridicule avait tué le monde aurait échappé à bien des carnages.Car c'est avec le sens de l'absurde et un humour solide que Jiri Weil nous balade dans la Prague de 1942.L'épisode historique est connu, notamment grâce aux films de Fritz Lang, Les bourreaux meurent aussi, et de Douglas Sirk, Hitler's madman. Heydrich, sympathique Reichsprotector adjoint en Bohème-Moravie,est assassiné et c'est un enchaînement de répressions qui s'abat sur la Tchécoslovaquie. Attention,Heydrich n'était pas un second couteau,fût-il long. Ses ambitions étaient grandes et il fut l'un des plus méthodiques instigateurs de la Shoah.La mort de Heydrich n'est qu'un catalyseur dans Mendelssohn est sur le toit.L'important du roman est ailleurs.

                        Deux modestes fonctionnaires sont réquisitionnés pour enlever la statue de Mendelssohn du toit du Palais des Arts.On ne va quand même pas laisser ce compositeur d'origine juive parader dans la nouvelle Prague.Seul souci,aucun nom marqué,comment reconnaître l'auteur du Songe d'une nuit d'été? Au nez,pardi! Oui mais le nez le plus sémite,sur ce foutu toit,semble être celui de Wagner.Je vous laisse imaginer la théorie des dominos pour trouver un responsable et c'est toute la grandeur de l'écrivain Jiri Weil de nous donner à voir par le petit bout de la lorgnette les facultés d'adaptation de tout ce petit monde pour,un,ne pas trop se faire repérer,deux,sauver sa peau,objectif somme toute relativement compréhensible.

                      Donc,et Athalie le note très justement,pas forcément de grandes bassesses chez tous ces gens,mais des faiblesses,des accommodements. Et nous,qu'aurions-nous fait? Ballade du dérisoire et de l'absurde,à la lisière de la tragédie imminente et toute proche,à Theresienstadt par exemple,où mourut  Desnos ("Je pense à toi Robert qui partis de Compiègne" *),  Mendelssohn est sur le toit  jongle avec la drôlerie pour mieux désespérer.A Prague pour cela on en connait un rayon, de Franz Kafka au brave soldat Chveik,en passant par Ian Palach en ce printemps raté de 68.

http://aleslire.hautetfort.com/archive/2013/07/06/mendelson-est-sur-le-toit-jiri-weil.html

* Robert le Diable,poème de Louis Aragon,mis en musique par Jean Ferrat

 

27 avril 2013

Ennui vénitien

alibi

           Grosse déception que cet Alibi de Joseph Kanon dont j'avais, tant apprécié L'ami allemand,The good German au cinéma, Soderbergh, Clooney.Venise a rarement semblé aussi peu inspirée dans ces premiers mois après la fin de la guerre.Un jeune Américain,démobilisé,retrouve sa mère qui va se marier à un médecin italien.Qui est vraiment cet homme? S'intéresse-t-il surtout à la fortune de cette femme?Et le Grand Canal a-t-il beaucoup de cadavres à vomir ainsi?

          Autant le Berlin de 1945 était judicieusement étudié par Joseph Kanon avec ses trafics divers,ses vestes retournées in extremis,et ses signes très précoces de la future Guerre Froide,autant l'auteur se noie dans les eaux troubles de la Sérénissime.Rien ne m'a intéressé dans cette histoire qui mêle résistants au fascisme et chemises brunes,qu'on confond allégrément.Bien sûr les immédiates après-guerre peuvent être diablement séduisantes pour l'univers du polar.Mais ce qui fonctionne dans le Berlin de L'ami allemand ou la Vienne du Troisième homme,ça ne marche pas sur la lagune.Chiuso! Scusami mais, Dieu merci, j'ai connu La mort à Venise autrement excitante,et des Lunaisons vénitiennes d'un tout autre calibre.Pourtant j'aimais bien la photographie de couverture.

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