Et merci à Celestine pour le lien vidéo. Celestine, c'est un peu ma Fedora à moi, loin, trop loin et si proche.
On n'est pas loin du chef d'oeuvre avec La maison au toit rouge du cinéaste japonais octogénaire Yoji Yamada dont je n'avais vu aucun film. J'ai recopié le synopsis. En 1936, la jeune Taki quitte sa campagne pour travailler comme gouvernante à Tokyo au sein de la famille Tokoda composé d’un charmant couple et de leur fils de 6 ans. Lorsqu'Itakura, un jeune collègue du mari est chez lui, Tokiko la maîtresse de maison se trouve irrésistiblement attirée par cet homme différent, sensible et cultivé. Témoin de leur liaison secrète, la servante se souviendra bien des années plus tard, non sans une certaine émotion, de cette époque tourmentée d’ un Japon en guerre dans la rédaction de ses mémoires...
Ca a tout l'air d'un mélo et c'en est un. Et alors... Cette histoire simple est traitée d'une manière calme et modeste, nous quitterons fort peu cette maison symbole d'abord d'un bonheur assez tranquille ou rien n'est remis en question et surtout pas la place de la femme dans cette société japonaise d'avant-guerre. Parlons-en, de la place des femmes. L'épouse est plutôt bien traitée, comme une épouse quoi, qui sait mettre en valeur son grand homme de mari. Pas très loin du féodal. La servante, quant à elle, suit un cursus classique pour une jeune fille pauvre à cette époque. Terriblement troublée par ce secret qu'elle partage bien involontairement avec sa patronne, Taki voit en plus comme tous les Japonais le spectre de la guerre s'avancer et se préciser. C'est un bel art que pratique Yoji Yamada: parvenir à faire passer le souffle de la guerre, la guerre sino-japonaise d'abord, sans insister, uniquement pas des bribes de conversation entre hommes, mais en nous faisant parfaitement comprendre cette sensation de culpabilité qui déjà lors du massacre controversé de Nankin, 1937, acommencé d'étreindre les Japonais.
Puis c'est Pearl Harbor et le conflit du Pacifique. Itakura sera finalement mobilisé, les bombes sur Tokyo et le feu nucléaire (présent d'une manière ou d'une autre dans tout le cinéma nippon) auront raison de cette liaison secrète. Mais quel joli prodige que La maison au toit rouge qui en dit tant avec une économie de moyens, qui laisse le spectateur se faire sa propre version, et qui grave au coeur la jolie habitation tokyoïte. Fine analyse de ce Japon que l'on connait si mal, et bien beau mélo tout en retenue, le petit jardin, les volets claquant et les sentiments qui blessent pour si longtemps, comme tout cela exprime bien la sensibilité du vieux cinéaste. C'est un régal que ce film d'un grand classicisme que certains critiques ont confondu avec le conservatisme le plus rassis. Consternant. A mon avis.
Il faudra que j'aille à Ferrare un jour. Je le savais depuis longtemps déjà, vous connaissez ma passion pour l'Italie en général, sa litté et son ciné en particulier. J'ai décidé de dire litté comme on dit ciné, à savoir une belle apocope, histoire d'avoir l'air de frayer avec tout ce qui s'écrit et se lit. Vanité...Humour, ça je précise toujours. Faute d'aller en Emilie-Romagne je me suis contenté pour l'instant de visiter à la Cinémathèque de Bercy, curieux endroit ou snobisme et perdition voisinent avec nostalgie et fascination, l'expo (encore une apocope) consacrée à Michelangelo Antonioni, un beau et patricien patronyme, presque aussi beau qu'Edualc Eeguab. C'est un modèle pour les cinéphiles, un endroit où je me suis senti mal, donc en phase avec le cinéma d'Antonioni, où tous les personnages ne vont pas bien, donc j'étais bien là bas à Bercy, à ma place, pas aux Finances. Le cinéma antonionien, on lui reproche parfois son nombrilisme, et l'on n'a pas complètement tort. Mais voilà, un nombril peut parfois, pourvu qu'il soit bien observé, nous apprendre beaucoup.
Les films d'Antonioni prêtent le flanc aux accusations d'élitisme un peu comme s'ils venaient d'un homme qu'on estime mais à la réputation ésotérique. Il y a dix ans déjà, présentant les cinq géants du cinéma italien d'après guerre, j'avais pris pour incipit: Rossellini le professeur éclairé, De Sica le médecin prévenant, Fellini le roi-bouffon, Visconti le cousin aristocrate et contradictoire et Antiononi un autre cousin, intellectuel un peu éloigné.
Il faudra que j'aille à Ferrare un jour. Ferrare, héroïne des si beaux livres de Giorgio Bassani mais aussi ville natale d'Antonioni . L'expo n'oublie pas ses débuts néoréalistes, le court métrage Les gens du Pô, cette Italie juste après guerre qui initiait un nouveau courant, celui d'un cinéma qui sera comme aucun autre en totale adéquation avec un pays, un peuple, une époque. Je rabâche. L'influence du Duc de Modrone, Luchino Visconti, est bien là dans le premier quart de sa carrière, dont surtout après une incursion dans les coulisses du Septième Art, La dame sans camélias et sa première muse, Lucia Bose, il s'affranchira pour défricher une terra incognita en cinéma, la fameuse incommunabilité qui devait le poursuivre toute sa vie. Très bien initiée par Le cri, avec quelques séquelles néoréalistes, cette période culmina avec sa trilogie L'Avventura, La notte, L'eclisse. Ce fut aussi l'incompréhension, y compris d'une partie de la critique dérangée dans ses certitudes.
Lettres, manuscrits, photos, et les magnifiques affiches, toutes plus belles les unes que les autres, composent ce chemin d'étoiles, interrogeant nos souvenirs cinéphiles et existentiels. Bien trop jeune pour la trilogie, j'ai découvert ces films et leur richesse trente ans après, stupéfait devant une telle modernité, un tel cran, qui devaient laisser au début des sixties bien des spectateurs au bord de la route. Un visage illumina ces années, Monica Vitti, même si dans La notte Jeanne Moreau, si souvent insupportable par la suite, forme avec Marcello un couple reflet, un duo miroir extaordinaire.
Cette expo s'intitule Aux origines du pop car Michelangelo Antonioni, très intéressé par la culture pop, Carnaby Street, le pop art, et la musique émergente, choisit de quitter l'Italie pour mijoter en Angleterre Blow up, Palme d'Or, parabole sur le voyeurisme et sur la presse qu'on n'appelait pas encore people, qui fit de lui une icône d'une certaine jeunesse, l'un des rares cinéastes à s'aventurer dans cet univers étrange et un peu effrayant pour qui avait dépassé trente ans. Moi j'en avais seize et, fou de cette musique, je retenais surtout la scène où Jeff Beck cassait sa guitare au sein des Yardbirds (Beck et Jimmy Page réunis, c'est le seul document).
Puis ce fut l'Amérique de Zabriskie Point et Profession reporter, visions désespérées des seventies, déjà évoquées sur ce blog. Mais je ne vais pas faire l'analyse exhaustive de Aux origines du pop, j'engage seulement ceux qui en auront l'occasion, à s'attarder rue de Bercy pour découvrir un artiste protéiforme et qui ne se retourna pas, le contraire d'un créateur de recettes, et qui fut aussi peintre et photographe, l'influence d'un Giorgio de Chirico notamment.
Il faudra que j'aille à Ferrare un jour. Car Michelangelo Antonioni n' apas usurpé son prénom, participant à une nouvelle renaissance de ce cinéma italien phenix, des paysans de la plaine du Pô aux esthètes oisifs romains, du Swinging London à la Chine postmaoïste. Il ya comme ça, des choses qu'il faut faire. Autre chose qu'on peut faire, sans être un italocinémaniaque comme moi, regarder ce beau montage travelling proposé par la Cinémathèque. http://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/antonioni/index.htm
P.S. Pour retrouver quelques-unes de mes chroniques sur les films de M.A. tapez Antonioni dans "Rechercher".
Voilà le quatrième et dernier ouvrage de la sélection Prix Relay Babelio. Et ce fut un grand plaisir, les quatre livres étant de qualité. Dominique de Saint Pern revient sur Karen Blixen d'une superbe manière, non avec une biographie de plus mais avec un portrait joliment brossé qui va au delà du célèbre et très réussi Out of Africa, bien que Meryl Streep apparaisse dans Baronne Blixen, qui reste un roman, et ne fait pas l'impasse sur le Danemark après son retour du Kenya. C'est peut-être un peu moins "grand romanesque" mais c'est très attachant.
Clara Svendsen, polyglotte, pianiste, latiniste fut longtemps la secrétaire dame de compagnie infirmière traductrice esclave, oui, tout ça, de Karen Blixen. Dans ce roman elle est la passeuse qui nous immisce dans la complexité de la galaxie Blixen, personnalité décidément bien difficile à circonscrire. Ses triomphes littéraires et sa santé chancelante, en grande partie cadeau de son mari Bror, ses très nombreux paradoxes, ce qu'il faut bien appeler son snobisme, sa passion pour Thornkild Bjornvig, poète plus jeune de trente ans, son amertume et une haute idée d'elle-même parfois nous conduisent à trouver Isak Dinesen Karen Blixen un peu "trop". Son carnet d'adresses nous énerve un peu, Truman Capote, John Gielgud, Cecil Beaton, Carson McCullers. Une scène sublime vers la fin du livre: un homme deux fois immense, à l'Hôtel d'Angleterre, Copenhague, n'ose lui téléphoner. Il repartira, sans la voir, intimidé. Il en fallait pourtant beaucoup pour impressionner Orson Welles. Je me fiche bien de savoir si c'est vrai, mais j'adoube cette anecdote. Citizen Welles adaptera après sa mort Une histoire immortelle. Quand la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende.
Vous voulez savoir pour Denys Finch Hatton. L'Afrique est là bien présente. Les Kikuyus et les Somalis, les fauves et le Gipsy Moth jaune étincelant qui devait l'emporter. Et sa tombe sur la colline. Mais vous savez tous l'histoire. "Jamais plus sa voiture remontant l'allée. Jamais plus sa longue silhouette sur le seuil de sa véranda. Jamais plus ses chapeaux accrochés à la patère". Baronne Blixen, le livre, a su s'affranchir de son modèle et de sa très belle mise en scène hollywoodienne (ne cherchez pas, c'est un hommage, une qualité). Dominique de Saint Pern a tout bon, les climats, les cocktails, la chasse et la littérature, la grandeur et les petites petitesses du presque Prix Nobel anorexique et tabétique. Allez-y sans crainte de doublonner avec La ferme africaine, avec Out of Africa ou avec une bio traditionnelle. Vous y apercevrez un lion étendu non loin de Mbogani, vous y sentirez le souffle du vent sur Elseneur, et vous y aimerez plus encore la Baronne avec parfois des envies de la gifler.
"Il (le soleil) joue avec son propre reflet dans l'eau puis s'amuse à caresser le pelage tacheté des girafes, ou bien la fine accolade dessinée à l'encre de Chine sur les flancs des impalas venus se désaltérer; enfin, indolent, il glisse sur le plumage des flamants et le lac brûle soudain dans la lumière des couchants."
Dominique d'A sauts et à gambades Baronne Blixen - Dominique de Saint Pern
J'ai eu l'occasion de présenter ce film il y a quelques jours au multiplexe de notre ville. Un film qui nous vient d'Estonie, ce qui est déjà une rareté, mais surtout un film qui ne ressemble à aucun autre, exigeant, passionnant, déroutant et pourtant cohérent. Composé à 95% de plans fixes Crosswind narre la très peu médiatisée déportation des Baltes par l'Union Soviétique en 1941. Un noir et blanc oppressant mais de toute beauté happe le spectateur auquel il faut un peu de bonne volonté car sa situation est celle d'un otage, capté à son corps défendant, et qui subit le syndrome de Stockholm et entre peu à peu en empathie avec ses geôliers. C'est, je l'avoue, une façon un peu cavalière de présenter les choses mais des critiques ont parlé à propos de Crosswind d'une technique de gel cinématographique, une assertion pas du tout péjorative en l'occurrence.
Ce film a été bien reçu malgré son parti pris extrême et les spectateurs ont activement participé à une discussion sur le fond et plus encore sur la forme. C'était un pari que le Cinéquai 02 avait engagé , programmer cette oeuvre austère et difficile mais finalement très prenante. D'abord revenir un peu sur l'histoire souvent occultée de ce que le jeune metteur en scène Martti Helde nomme sans détour l'holocauste soviétique et l'exil forcé de si nombreux Baltes, et qui devait se prolonger au delà de la mort de Staline. Puis que ceux qui le souhaitent s'expriment sur la structure si unique de ce film. Ainsi de la caméra, seule à se mouvoir au long de Crosswind, serpentant, s'insinuant au plus près là d'un genou, là d'un visage ou d'une larme, là du grain du mauvais pain des reclus. Ainsi de la forme épistolaire du récit basé sur les lettres d'Erna jeune mère séparée de son mari, jamais envoyées, et qui ne saura sa mort que 47 ans plus tard, lors de l'éclatement de l'empire soviétique. Une longue glaciation qui perdura bien après la guerre, c'est ce que retrace sobrement et si intelligemment Crosswind/La croisée des vents, admirable premier opus d'un Estonien de 27 ans dont le projet fut initié alors qu'il n'en avait que 23.
Que dire aussi de l'impressionnante beauté de la bande son, quand bruissement des feuilles, chuchotements d'un modeste filet d'eau, voix off comme je n'en ai jamais entendue prennent une signification fabuleuse eu égard au côté statique des images, statiques mais jamais figées tendance Grévin, le risque majeur d'une telle entreprise. Afin de m'imprégner de cette histoire et d'étayer un peu mes propos j'ai vu Crosswind deux fois le même jour. Le film est d'une telle richesse que ce fut un plaisir redoublé. Le Septième Art s'égare si souvent qu'il faut rendre hommage à cette oeuvre originale et forte, jamais dénuée d'émotion.
"CROSSWIND - LA CROISEE DES VENTS" de Martti Helde
Pas moins de trois légendes dans cette drôlatique et nordique balade en absurdie. Trois grands sobres, trois joyeux drilles, trois qui comptent. Bien sûr pas simple de faire entrer Mrs. Aki Kaurismaki, Jean-Pierre Léaud et Joe Strummer dans des cases bien définies. N'essayez pas. Jubilez seulement.
J'ai engagé un tueur, Aki Kaurismaki, 1991, Jean-Pierre Léaud, Serge Reggiani, Margi Clarke, Joe Strummer
Une belle soirée jeudi dernier au Ciné-Quai, où les associations France-Alzheimer et JALMALV projetaient le très serein et très beau document Flore. Le documentariste Jean-Albert Lièvre a filmé pendant quatre ans sa mère veuve atteinte de la maladie d'Alzheimer. Proprement stupéfiant, le film apporte un début de réponse à ce fléau, hélas tempérée très sérieusement par le volet financier. Flore a 70 ans en 2005, au moment où les premiers signes inquiètent ses trois enfants. Peintre de talent elle perd vite tout goût pour la création. Et c'est le chapelet hélas souvent inévitable d'assistance à domicile parfois refusée, d'hébergement en EHPAD puis en institution spécialisée. Flore se dégrade, vite, très vite. Jean-Albert en accord avec ses frère et soeur décide d'installer leur maman dans leur maison de famille en Corse.
Nous sommes face à une famille privilégiée. Sur les plans intellectuel, affectif, et matériel, et c'est tant mieux. Voilà Flore dans cette jolie maison corse où elle connut tant de joies. Les enfants se sont démenés pour trouver de l'aide et nombreux seront les intervenants auprès de Flore dont le visage doucement redeviendra expressif, le poids normal, la marche possible, le sourire fréquent. Il faut l'avoir vu un an avant, plus que prostrée, en voie de grabatisation et d'une rare violence envers elle-même et les autres.
Evidemment, et les premiers échanges du débat ont porté là-dessus, la famille a pu financièrement supporter des frais que l'on devine importants pour avoir à demeure un personnel adéquat, une "gouvernante" tibétaine qui lui a prodigué des soins de toucher, de massage, de chansons, asiatiques et certainement efficaces, un aide psychologique voisin dont je n'ai pas bien compris les compétences officielles mais manifestement très à l'aise et très en osmose avec Flore. Cette dernière a même pu nager à nouveau en Méditerranée. Sans parler des thérapies classiques des infirmières et kinés et là je ne vous cacherai pas ma surprise quand on sait la difficulté d'avoir un MK à domicile et d'une telle disponibilité, moi dont le cabinet tenu 39 ans a tout simplement disparu faute de successeur.
Mais surtout mon sentiment après le document a été la stupéfaction. Interrogeant la gériatre qui répondait au public, j'ai eu la confirmation que, au moins dans certains cas idéaux, moyens, personnel, cadre de vie, famille unie, la maladie pouvait s'améliorer dans des proportions vraiment intéressantes. J'ignorais que c'était possible. Ce fut une soirée enthousiasmante et les spectateurs, concernés comme nous tous, n'oublieront pas cette Flore qui s'illumine à nouveau et retrouve le goût de vivre même si l'on ne peut certes évoquer la guérison totale, et si l'on a bien compris que les conditions optima pour une amélioration ne sont pas près de s'étendre aux si nombreux cas d'alzheimer.
Lorsque l'enfant était enfant (Als das Kind Kind war)
"Lorsque l'enfant était enfant, il marchait les bras ballants...
Il voulait que le ruisseau soit une rivière un fleuve et que cette flaque d'eau soit la mer...
Lorsque l'enfant était enfant, il ne savait pas qu'il était enfant.
Pour lui tout avait une âme,
Et toutes les âmes n'en faisaient qu'une.
Lorsque l'enfant était enfant, il n'avait d'opinion sur rien, il n'avait pas d'habitudes...
Souvent il s'asseyait en tailleur, partait en courant...
Il avait une mèche rebelle
Et ne faisait pas de mines quand on le photographiait...
Lorsque l'enfant était enfant
Vint le temps des questions comme celle ci:
Pourquoi est-ce que je suis moi?
Et pourquoi est-ce que je ne suis pas toi?
Pourquoi est-ce que je suis ici?
Et pourquoi est-ce que je ne suis pas ailleurs?
Quand a commencé le temps?
Et où finit l'espace?
La vie sur le soleil n'est-elle rien d'autre qu'un rêve?
Ce que je vois, ce que j'entends
Ce que je sens
N'est-ce pas simplement l'apparence d'un monde devant le monde?
Est-ce que le mal existe véritablement?
Est-ce qu'il y a des gens qui sont vraiment mauvais?
Comment se fait-il que moi qui suis-moi,
Avant que je devienne, je n'étais pas
Et qu'un jour moi qui suis moi
Je ne serais plus ce moi que je suis..."
Peter Handke.
https://youtu.be/deFSC741coQ (français)
https://youtu.be/fdv_u7HGQIk (allemand)
Ce texte de Peter Handke est indissociable du chef d'oeuvre onirique de Wim Wenders Der Himmel über Berlin, Les ailes du désir. Ce n'est pas le texte entier mais on devrait le retrouver sur le lien, dit en français par le fabuleux comédien Bruno Ganz. L'association de l'écrivain autrichien et du metteur en scène allemand nous a valu quelques films exigeants qui à mon sens relèvent tout à fait de la poésie (L'angoisse du gardien de but..., Faux mouvement) Ecouter ces lignes en allemand peut être aussi source d'émotion, ne serait-ce que celle de rappeler la beauté de cette langue et de la haute culture germanique. Und danke Schön, meine liebe Asphodèle für die Donnerstäge mit Dichtkunst (sous réserve des déclinaisons).
Guerre, cinéma et vérité, ce trio a souvent été utilisé et souvent malmené. Quelques mots sans prétention quant à deux films très récents, qui reviennent sur la Guerre d'Irak et sur la la Deuxième Guerre. N'étant pas historien ni spécialiste je livre un simple sentiment de spectateur. American sniper, très grand succès américain actuel, pas forcément pour de bonnes raisons, a déclenché une certaine polémique prévisible.
On touche évidemment avec le dernier film de Clint Eastwood à ce thème hyperclassique du cinéma de genre, l'interventionnisme et ses composants. A travers le portrait du pour le moins controversé de Chris Kyle, "champion" des snipers en Irak, on assiste à un film très efficace qui, sur le plan du film d'action, est très bien mis en scène, le père Eastwood ayant depuis longtemps maîtrisé les codes du cinéma américain, mélo (Sur la route de Madison), western (Josey Wales, Impitoyable), thriller (Sudden impact), biopic (Bird). Alternance du front, catégorie spécial tireur planqué, ce qui diffère assez de la soldatesque confrontation d'un film de guerre classique, et des scènes familailes, même les snipers sont pères de famille. Pas très difficile de pointer un certain conservatisme, mais gardons-nous de trop juger à l'aune du vieux continent.
Reste ce monsieur, Chris Kyle, excellement campé par Bradley Cooper, dont la personnalité pour le moins discutable, d'ailleurs rendue un peu plus présentable par le film, offusque pas mal nos européennes âmes. A juste titre, ajouterai-je. L'homme Kyle, bardé de médailles, revendiquait plus de 250 tirs létaux, c'est comme ça que ça s'appelle. Dont 160 officiellement validés. Je ne suis pas sûr qu'il faille faire dire à American sniper plus qu'il ne le mérite. C'est ainsi que ça s'est passé, au moins là-bas. Arrangez-vous avec. Les discussions interminables ne sont pas de mise. Elles seront, surtout pour un film comme American sniper, encore plus stériles que d'habitude. Quant à moi j'ai trouvé le temps long dans la salle ce jour là, et l'ennui un peu létal, ce qui n'enlève rien aux qualités strictement cinématographiques du film. American Sniper - Clint Eastwood vous donnera l'avis de Dasola, pas très éloigné.
Le thème d'Imitation game a été classé secret pendant cinquante ans. Le film est l'histoire vraie d'Alan Turing, génial mathématicien britannique, qui réussit à déchiffrer le code Enigma du Troisième Reich pendant la guerre. Turing était-il l'homme qui en savait trop? Rôle à oscar comme d'ailleurs celui de Bradley Cooper susdit, cet homme (incarné par le brillant Benedict Cumberbatch) ne suscite pas lui non plus une sympathie énorme, un tantinet inadapté depuis son jeune âge, une sorte de surdoué qui plus est homosexuel en des années où ce n'était pas la mode. La romance avec sa collaboratrice Joan Clarke me semble un artifice mais après tout je n'ai pas lu la bio d'Andrew Hodges dont le film est tiré.
Alan Turing travaille en équipe, une équipe dont il devient le chef respecté, mais peu aimé. Il n'est pas du genre très amical et le metteur en scène norvégien Morten Tyldum ne cherche pas à l'humaniser davantage. De même après la résolution de l'énigme Turing n'hésitera pas à ce qu'on appelle la Realpolitik, ne pas trop divulguer cette découverte pour ne pas attirer trop vite l'attention allemande, c'est à dire sacrifier par exemple certains bâtiments anglais. Il plane sur Imitation game, et bien que ce ne soit pas à priori un film d'espionnage, une ambiance à la fois lourde et feutrée, qui évoque Graham Greene et John le Carré. Les célèbres agents doubles des années cinquante, Burgess et McLean, y sont cités.
L'après-guerre, facile pour personne, le sera encore moins pour Alan Turing, considéré ingérable voire dangereux. Son homosexualité sera le prétexte idéal pour l'aliéner en le bourrant de médicaments contre le silence sur ses rencontres. Son suicide à 41 ans conclura une vie en marge,mais ça on le savait depuis le début, considérant ses problèmes d'intégration d'élève trop brillant dès les années de collège. Il n'a jamais été recommandé de trop sortir du lot. J'ai aimé ce film, pas bouleversant d'originalité, mais qui revient sur un aspect très méconnu de la guerre. Ainsi, avec Foxcatcher récemment chroniqué, trois histoires vraies ont donné trois films très différents, tous trois dignes d'intérêt.
Voilà un film d'une grande originalité et qui en dit long sur une société américaine des eighties, pas la plus sympathique. Histoire vraie. John du Pont, milliardaire très conservateur, vieux garçon refoulé passionné de matériel militaire, patriote à l'excès, mais aussi philanthrope richissime qui parrainait l'équipe privée de lutte Foxcatcher du centre sportif amateur connu sous le nom de Foxcatcher Farm en Pennsylvanie, prend sous sa coupe Dave et Mark Schulz, deux frères médailles d'or aux jeux de Los Angeles en 1984. Si Dave l'aîné garde ses distances Mark s'installe à demeure à Foxcatcher. Les rapports entre le mécène, qui se veut aussi coach, et qui aime se faire appeler Eagle, très courtois au début, tournent à la fascination-répulsion. J'ai un peu pensé à The servant.
Le côté physique de ce sport a manifestement été sérieusement étudié et les deux acteurs Tatum et Ruffalo sont très à la hauteur. Le vrai Mark Schulz, crédité producteur du film, a depuis la sortie émis un jugement très négatif sur Foxcatcher alors qu'il était tout à fait partie prenante lors de la présentation en compétition à Cannes 2014. Il semble depuis avoir fait à nouveau machine arrière. Tout est question d'ego dans le film et dans la vie. Je ne voudrais pas que l'on croie ce film destiné uniquement aux amateurs de sports de combat. La lutte n'a pas grand chose à voir ni avec la boxe, ni avec les arts martiaux. Si les corps y sont intimes on n'y trouve pas autant de rituels et si l'on est loin de Raging Bull les séances d'entraînement sont très belles. Croyez-moi, je ne suis pas un zélateur de ces activités.
Rien à voir non plus avec une success story à la Rocky Balboa. Les frères Schulz ont déjà réussi quand John du Pont entre en scène. On a évidemment un peu évoqué une relation homosexuelle latente, tellement latente que j'y ai à peine pensé. Mais c'est ainsi et le nouveau conformisme conduit systématiquement à ce genre de conclusion pour le moins hâtive. Ou du suivisme des idées. L'intérêt de Foxcatcher repose surtout sur cette hypertrophie de l'american way of life, argentée et assez rétrograde, complexée en même temps qu'éclatante.Steve Carell, grimé, vieilli,et oscarisable (c'était avant-hier, c'est raté) est aussi attirant qu'un serpent à sonnettes dans le désert du Mojave. Et c'est très bien ainsi.
Souvent perçue par les critiques comme un western existentiel cette belle adaptation très libre de L'hôte, nouvelle d'Albert Camus, issue du recueil L'exil et le royaume, est une réussite. On peut bien sûr discuter à n'en plus finir sur l'esprit et la lettre de Camus. Vieille histoire. Ecrit juste avant la guerre, ce récit met aux prises un condamné algérien (pour un meurtre de tradition si j'ose dire, type vendetta) et un instituteur ancien combattant de 40 censé le convoyer au village où il doit être jugé. Inutile de rappeler l'importance de la figure de l'instituteur dans l'oeuvre d'Albert Camus, elle est bien connue et il a maintes fois rendu hommage à Louis Germain l'enseignant de ses tendres années.
Tel le supplétif d'un sheriff (Trois heures dix pour Yuma en étant l'exemple type) Daru plutôt pacifiste, vaguement "étranger" quoique l'hôte en quelque sorte de Mohamed (ambiguité du substantif hôte), hésite avant d'accepter la mission d'un fonctionnaire aux abois en ce qui commence à ressembler au début de la fin de la présence française en Algérie. La nouvelle fait dix pages, le film 1h45, et David Oelhoffen a souhaité aussi un film avec un minimum d'action, ce qui nous vaut une illustration qui reste relativement modeste certes mais qui permet de sortir du huis clos de l'oeuvre littéraire. Qu'en aurait pensé Albert Camus?
A mon avis peu importe en l'occurrence. Ce qui compte c'est que le questionnement de Daru-Camus est parfaitement rendu dans Loin des hommes, d'abord hostile à s'en mêler puis prenant en charge Mohamed, les deux hommes finissant par se respecter, tout cela dans un délai de quelques jours maximum. Evidemment le metteur en scène souligne et ponctue la justice, l'éducation, la guerre, la violence, évoquant même un crime de guerre. Camus, lui, n'avait pas besoin de tant d'images pour nous convaincre à travers un très beau texte, simple et quotidien, poussière, un cheval dans le lointain,quelques figues. J'ai lu trois fois la nouvelle, admirable, et vu deux fois le film, la seconde animant un bref débat, les spectateurs ayant apprécié Loin des hommes, à juste titre. Les deux acteurs, Viggo Mortensen, Américain qui n'a pas hésité à coproduire le film et à l'interpréter en français, et Reda Kateb, d'abord muré puis s'humanisant joliment, n'y sont pas, non plus, étrangers.
L'Amérique que je parcours musicalement, cinématographiquement et littérairement depuis si longtemps a ses laideurs profondes qui n'ont rien à voir avec la vieille Europe. Cette statue d'Abraham Lincoln perché sur granit en fait partie, ce qui ne nous empêche pas de boire un verre downtown à la santé du Wyoming dont nous connaissons déjà la capitale Cheyenne. Voici donc Laramie, petite ville de l'Ouest, dont le nom fleure bon mes chers westerns, essentiellement le superbe Man from Laramie, L'homme de la plaine, avec James Stewart. Le Wyoming, rectangle parfait, on reconnait bien là un rationnalisme américain, est le moins peuplé de tous les états de l'Union.
Richmond Fontaine est un groupe de folk alternatif qui existe depuis vingt ans. Voici, live à Edimbourg, la pièce à conviction de cette étape, justement appelée Laramie,Wyoming. Ce qui m'arrange bien. Si vous trouvez que cette rubrique fatigue vous avez raison. Si vous trouvez qu'elle est à bout de souffle vous avez encore plus raison. Terminus imminent... C'est vrai aussi que j'ai déjà dit ça plusieurs fois.
Il est Charlie, aborigène mal dans sa peau, pas bien dans la banlieue de Darwin, capitale du Territoire du Nord australien, sa communauté se délabre et il ne reconnait même plus son bush. Le scénario est de Charlie lui-même, enfin, son interprète David Gulpilil, qui sait ce dont il parle. Tracasseries policières, alcoolisme et rares discussions avec ses congénères plus très jeunes non plus. Il est "mal-bouffant", Charlie, et son estomac fait grise mine. Il n'y a plus grand chose qui tourne rond en son outback océanien.
Il est Charlie mais conserve une conscience quoiqu'un peu floue. Il en a marre,Charlie, qu'on lui pique sa lance et ses racines. Il est fatigué, Charlie, il a trop fumé, Charlie, c'est l'hosto qui le guette. Il est Charlie, membre d'une communauté qui, si elle évolue disparait, et qui, si elle n'évolue pas , disparait.
Il est Charlie, mais il faut qu'il sache, Charlie, que ce n'est pas uniquement la faute des autres, et que la notion même de tribu, il a parfois contribué à la galvauder. Gnole et ganja, pas le meilleur pour la clairvoyance. Oui,Ce blog essaie de lutter à sa très modeste mesure contre les simplismes (ça s'appelle un aparté). L'acteur David Gulpilil est une icône,un leader en son pays, ancien danseur, ancien pisteur, déjà dans La dernière vague de Peter Weir en 1977 et dans Crocodile Dundee, deux pôles pour le moins différents du cinéma australien.
Il est Charlie, avec étonnament au moins un très beau souvenir. Avoir dansé là-bas tout au Sud devant l'Union Jack et le chef de l'état australien pour l'inauguration de Sydney. Vous connaissez tous le chef de l'état australien. Curieusement il a aimé faire ça. Comme quoi rien n'est si simple et la fierté multiple. Il est Charlie, un très bon film, du Hollando-australien Rolf de Heer à peu près ignoré de tous. Il est Charlie, un film que j'ai vu la première fois seul dans la salle, un peu Charlie moi aussi. La seconde fois lors d'un ciné-débat les gens sont venus, pas la foule, mais cela a permis des échanges intéressants. Je les en remercie.
Père Noël m'a apporté ce beau livre nanti d'affiches étonnantes que vous ne risquez pas de trouver. Une cinquantaine de films esquissés, parfois bien avancés, ayant explosé en vol, souvent ahurissants. Le casting de ces ratages est hallucinant et les projets avortés ont peut-être bien fait d'avorter. Je ne vais pas faire la liste simplement vous dire que vous avez échappé ou vous avez manqué,c'est selon, à une histoire de Girafes avec salades sur le dos des chevaux, comprenne qui pourra de toute façon avec Dali et les Marx Brothers.
Mais aussi au Retour de St. Helen de Chaplin avec le thème d'un double de Napoléon, vaguement précurseur du Dictateur. Ou le très heureusement mort même pas né Brazzaville, envisagé par la Warner, sequel de Casablanca. Please,don't play it again. Un Jésus de Dreyer, un Kaleidoscope d'Hitchcock...
Un peu plus récemment et sur lesquels il y a davantage de documents citons Leningrad 900 jours de Sergio Leone, Le voyage de Mastorna de Fellini,le Napoléon de Kubrick. Le Megalopolis de Coppola. Et puis on retrouve les spécialistes des films impossibles, Orson Welles naguère ou Terry Gilliam aujourd'hui. Les raisons des pelliculae interruptae (cherchez pas, pure invention du génial créateur de ce blog) sont essentiellement les budgets, les abus d'abus divers, Peckinpah par exemple, la santé mentale de certains comme Peter Sellers pour les ultimes aventures de la Panthère rose, la grande faucheuse.
L'important c'est d'avoir rêvé. Les plus beaux projets sont ceux qui n'aboutissent pas. Ils conservent ainsi l'éventualité du génie. Un peu, toutes proportions gardées, comme le roman que j'essaie d'écrire et qui m'échappe depuis des décennies. Le plus somptueux, et là je suis sérieux, est dans l'iconographie de Les plus grands films que vous ne verrez jamais. Ces affiches magnifiques de designers contemporains sont de vrais bonheurs. Et si les films sont invisibles les affiches, elles, sont bien belles à voir.
P.S. A propos de ces affiches il va de soi que si quelqu'un venait à être lésé ces photos seraient sur le champ supprimées de cet article.
L'histoire compte quelques réussites sur le thème du cinéma dans le cinéma. On cite souvent à raison La nuit américaine, Les ensorcelés, Boulevard du Crépuscule, 8 1/2. On oublie Fedora,l'un des derniers films de Billy Wilder. Je viens seulement de le voir, 36 ans après sa sortie. Plus ou moins adapté d'une histoire de Thomas Tryon, ancien acteur chez Preminger notamment, Fedora est une fable cruelle sur le miroir d'Hollywood et le désenchantement. Sur une île grecque toute de bleu et de blanc la noirceur du Septième Art prend toute son amplitude comme une mouette dans le ciel de Corfou. Le film commence par les funérailles de Fedora. Flashback, deux semaines à peine plus tôt. Maintenant retirée, Fedora, la star jadis adulée, ne se soigne plus guère qu'aux substances, cadrée par une comtesse polonaise mystérieuse, un médecin douteux et sa gouvernante. Barry Detweiler, producteur-scénariste indépendant mais fauché (William Holden, grand acteur maintenant ignoré) essaie de la convaincre de revenir sur les plateaux pour une nouvelle version d'Anna Karenine. Seule certitude, Dorian Gray au féminin, Fedora ne semble pas avoir physiquement changé.
Mais dans sa Villa Calypso, bunker insulaire gardé par des molosses, Fedora, fragile ou manipulée, vit pratiquement comme voilée. On ne peut pas ne pas penser à Garbo (qui,au passage, joua deux fois l'héroïne de Tolstoï). Comme Norma dans Boulevard... du même Billy Wilder, Fedora est prisonnière de cette maison. Comme dans Boulevard... des acteurs jouent leur propre rôle (DeMille, Keaton jadis, Fonda, York aujourd'hui). Comme dans Boulevard... c'est William Holden qui à 28 ans de distance, involontairement, dénoue la tragédie. On a donc beau jeu de considérer Fedora, et ça les cinéphiles adorent le faire, comme le testament de Wilder et une ultime variation sur la décrépitude de Hollywood. Pas faux mais je pense que l'on peut transcender le mythe cinéma et y voir une parabole bien sombre du vieillissement.
La question serait plutôt à mon sens. Le film Fedora peut-il émouvoir? La construction peut en paraître artificielle et agaçante, la nostalgie forcée et pour tout dire mélodramatique comme un vieux film muet. Pourtant j'ai aimé Fedora, le film, invisible depuis 35 ans, car j'ai accepté la règle du jeu et les conventions du genre. Ce qui n'empêche pas l'ironie vacharde du vieux Billy Wilder, intacte bien que son aura de metteur en scène ait pâli à Hollywood, malgré les réussites tardives Avanti ou La vie privée de Sherlock Holmes, films d'ailleurs boudés par l'Amérique. De toute façon Wilder est toujours resté trop européen, trop critique. A travers le personnage du producteur démodé, c’est Wilder lui-même qui peste contre "ces nouveaux réalisateurs barbus" dans lesquels on reconnaît aisément les Lucas, Spielberg, Scorsese et Coppola qui incarnent alors le nouvel Hollywood.
Pour l'interprétation, si Holden est tout à fait à sa place, Marthe Keller, trop jeune et pas assez énigmatique, n'est pas l'icône espérée. L'ex grande star allemande Hildegard Knef, elle-même retirée du cinéma à l'époque, peut faire plaisir au cinéphile, comme un clin d'oeil entre initiés. A tout cela le public restera étranger et Fedora le film comme Fedora l'actrice demeurera comme une parente lointaine et absente depuis si longtemps qu'on ne sait plus bien si ce n'était pas du domaine du rêve... Fedora, à voir comme une apparition, à entrevoir comme une légende, à célébrer comme un culte.
Bande-annonce : Fedora - VOST
Et merci à Celestine pour le lien vidéo. Celestine, c'est un peu ma Fedora à moi, loin, trop loin et si proche.
C'est plus que jamais le moment de voir le très beau Timbuktu. Je n'aurais jamais cru que ce serait "à ce point" le moment. C'est presque indispensable en dépit de ses maladresses.
Abderrahmane Sissako le Mauritanien, l'un des très rares cinéastes africains un peu connus en Europe a abordé le problème du fondamentalisme d'une manière très personnelle qui parvient à mélanger l'humour et l'absurde à la gravité qui n'est pas esquivée. Scènes de la vie quotidienne, banales, banalisées, pour le pire des autochtones, du moins ceux qui n'ont pas encore fui la Tombouctou historique, berceau d'une civilisation avec mausolées et manuscrits. Mais que reste-t-il de ces symboles face à la bêtise abyssale?
Ils sont quelques-uns dans les villages voisins de la ville, la ville dont on ne verra rien, à tenter de continuer de vivre normalement malgré la présence et les consignes officielles des nouveaux maîtres sur des choses aussi dangereuses que le football, les mains nues des femmes ou la longueur des pantalons des hommes. Le cinéaste ose quelque chose de rare, montrer les tyrans intégristes comme des imbéciles, à peine capables de parler d'autre chose que de Zidane ou de Messi, ce qui ne les empêche pas de faire la chasse au ballon rond. A rire avant que d'en pleurer. Une calme soirée musicale entre amis est ainsi brutalement interrompue. C'est que la guitare est diablement décadente. A pleurer vous dis-je. Mais à pleurer de rage.
Car toute vie est réévaluée ou plutôt dévaluée à l'aune de l'extrêmisme. Ainsi l'homicide accidentel commis par Kidane le tranquille éleveur ne trouvera aucune circonstance atténuante. Ainsi redoubleront les mariages forcés et les lapidations. Ainsi le simple chant mène au fouet. L'une des forces de Timbuktu est de rendre presque ordinaires les brutes, j'entends par là leur ôter la moindre once de légitimité religieuse et de l'éventuelle noblesse que quelques individus tout aussi bas de plafond pourraient leur trouver. Timbuktu, d'après certaines critiques, transformerait cette force en faiblesse en simplifiant outrageusement l'histoire du Mali et en occultant les rebellions touareg et les différentes collusions entre ethnies, que je serais bien incapable de préciser. Ces mêmes critiques émettent ainsi des réserves sur ce qui reste un beau film, qui selon certains spécialistes, tiendrait plus du conte pour Occidentaux de bonne volonté que de la complexe réalité de l'ancien Soudan français.
Reste qu'un film africain, au moins en partie, n'est pas si fréquent sur nos écrans. Reste qu'au moins une scène est déjà entrée dans l'histoire, le match de foot sans ballon. Reste que dans le contexte actuel il est sûrement difficile de faire beaucoup mieux pour décrire les dramatiques turbulences d'un Mali en implosion.
L'avis de Dasola Timbuktu - Abderrahmane Sissako
Celui de Y a quoi à chercher CINEMA- TUMBUKTU : LA CULTURE AFRICAINE OTAGE DES DJIADHISTES
Quelques mots, subreptices, sur les derniers films vus en salle en 2014.L'excellent Mr. Turner de Mike Leigh, un peu long comme toujours chez Leigh, nous décrit le grand peintre anglais tout à la fois atrabilaire, misanthrope et désintéressé. Sa vie quotidienne n'a rien d'exaltant et Leigh ne nous livre pas vraiment le secret de son oeuvre. Néanmoins ces croquis d'une vie d'artiste à l'anglaise au milieu du XIXème nous entraînent aisément. Cet étonnant acteur, Timothy Spall, au physique assez particulier digne de l'univers romanesque d'un Mervyn Peake, n'y est pas pour rien et emporte la partie haut la main. Prix d'interprétation à Cannes. Et puis ça incite à voir les toiles de Turner, n'est-ce pas l'essentiel.
Un débat, très disputé, sur le film Marie Heurtin, de Jean-Pierre Ameris, a conclu une soirée de décembre. Ce beau film, simple et honnête, rayonne, palpite et force l'adhésion d'un public heureux. Vers les années 1890, à l'Institut Larnay, dans le Poitou, les religieuses prennent en charge Marie, jeune sourde aveugle. Ce film est une leçon de vie jamais doloriste, ni confite en dévotion. Isabelle Carré en Soeur Marguerite et la jeune Ariana Rivoire, elle-même sourde, sont toutes deux lumineuses. Lors de la discussion les échanges furent assez vifs de la part des sourds et malvoyants présents, concernant les techniques encore quasiment absentes d'audio-description dans les salles obscures. Un moment de partage très enrichissant entre référence à Helen Keller et thèmes du handicap, déjà évoqués quelques jours avant avec le joli film brésilien Au premier regard, de Daniel Ribeiro, sur les amours d'un jeune étudiant aveugle, tout en légèreté et finesse.
A mille lieues le polar américain du cinéaste belge Michael Roskam The drop (Le dépôt, stupidement appelé en français Quand vient la nuit) semble sorti de l'univers urbain de James Gray. Il se passe d'ailleurs à Brooklyn. Adapté d'un texte court de Dennis Lehane, à moins que celui ci n'ait réalisé une novelisation de son propre scénario, servi par des acteurs remarquables de vérité, le film vaut essentiellement par cette ambiance "ukrainienne" de ce quartier de New York et des personnages ordinaires crédibles. Ici guère de parrain prestigieux, une besogneuse mafia tchétchène quand même, peu d'action car on ne quitte pas beaucoup le bar Cousin Marv's, où officient le patron, enfin disons le gérant James Gandolfini (ultime rôle) et son employé Tom Hardy. Brooklyn n'est pas Manhattan ni le Bronx mais a son identité solidement entretenue par le cinéma.
L'un des plus beaux films du monde raconte un réveillon du début du siècle. Quand je parle du siècle je veux dire le XXème. J'ai dit mille fois mon admiration pour ce film. Un crépuscule, une aube. A l'heure où ce blog pourrait bien ralentir je voudrais souhaiter à toutes et à tous le meilleur pour l'an naissant.
Presque le bonheur, en tout cas pas longtemps. Prévert et Carné donnent à Gabin un court répit dans le très sombre et très beau Le jour se lève. Fin des années trente, le désespoir se porte bien. Marqué par la fatalité, le cinéma du réalisme poétique. Un film sur deux du fameux tandem comporte un suicide.
J'ai lu sur ce roman des critiques très favorables et je les trouve exagérées. Mais c'est un roman foisonnant qui recèle des moments vraiment excellents. Tony Pagoda, crooner napolitain plus de toute première fraîcheur, traîne son ennui chronique malgré le succès. Le succès, bon, c'est pas Sinatra non plus. Son couple en est à l'heure zéro, multicocaïné Tony ne rebondit plus guère, sex addict doucement en voie de garage, le latin lover sur le retour file un mauvais coton. Lire tout ça n'est pas le plus intéressant du livre. Mais Ils ont tous raison se sauve par une rage, une rage vacharde d'humour, une férocité qui apparaissait déjà chez le Sorrentino cinéaste de La grande bellezza, cette oeuvre protéiforme et comme enfantée par Fellini et Moretti.
Tony Pagoda finit par jeter l'éponge et se retrouve au Brésil où il vivra dix-huit ans, en ce pays de démesure. Manaus, Amazonie, capitale mondiale du cafard mais alors du cafard XXL, du cafard de prestige, du cafard de très haute volée. Quand il raconte ses démêlés avec l'insecte géant, on le sent admiratif, le Tony. Et puis c'est un sacré conteur, le gars, une rencontre avec Sinatra qui tourne court entre deux plus qu'éméchés, une extraordinaire scène à l'opéra de la jungle, digne du Fitzcarraldo de Werner Herzog, une bagarre homérique dans un bouge d'une favela, le comble du snobisme pour un monstre sacré de l'art lyrique dont il fait la connaissance. Tout ça sur fond d'overdose tant sexe que drogue à tel point que j'ai un peu une overdose d'overdoses. Lassant.
Sur le plan littéraire quelques trouvailles "Un jour, on n'est plus que le lumignon de soi-même". Quelle clairvoyance. Tony s'égare parfois dans les confidences qu'il nous fait, sur sa famille et ses amis musiciens. Hilarantes les relations entre un cousin avocat plus qu'obèse et bourré d'angoisses et son beau-frère magistrat proche du nabot et bourré, lui, de complexes. Paolo Sorrentino et sa créature Tony Pagoda ont de la famille à l'italienne une conception très particulière. Alors, vieux cinéphiles que nous sommes, on pense aux Monstres, à Affreux, sales et méchants, à ces films délicieux et arbitraires, géniaux et dérisoires, si proches malgré les Alpes qui n'ont jamais empêché chez moi une italianité qui revendique le droit, aussi, au mauvais goût, et un soupçon de misanthropie, moins cependant que dans l'extrait suivant:
"Tout ce que je ne supporte pas a un nom.(...) Je ne supporte pas les joueurs de billard, les indécis, les non-fumeurs, les imbéciles heureux qui te répondent "pas de souci", les snobinards qui pratiquent l'imparfait du subjonctif, ceux qui trouvent tout "craquant", "trop chou" ou "juste énorme", ceux qui répètent "c'est clair" pour mieux t'embrouiller (...), les fils à papa, les fils de famille, les enfants de la balle, les enfants des autres (...), les tragiques, les nonchalants, les insécures (...), les gagnants, les avares, les geignards et tous ceux qui lient facilement connaissance (...).Je ne supporte rien ni personne. Ni moi. Surtout pas moi. Je ne supporte qu'une chose.La nuance."
Quant à Tony Pagoda, finira-t-il par se laisser convaincre d'un retour au pays natal,ça le mènerait vers une Italie où les monstres et les histrions sont bien plus dangereux que ceux des films de Dino Risi? E pericoloso..., et ça, le Napolitain Paolo Sorrentino le sait mieux que quiconque.